Le Wrap Up de la semaine où nous avons dit au revoir au Prince Philip (semaine du 12 avril 2021)
5 bullet points sur l'actu media, tech avec une pointe de culture
Au sommaire cette semaine a passé comme a candle in the wind :
Massmarketées 📺 : les marques (US) direct to consumer plus actives en TV
NFTisés 💬 : les planches de BD dans une impasse
Monnayé 🤑 : Clubhouse met en place du payant pour aider les créateurs
Déconstruite 🏗️ : la réussite de l’Occident, une affaire de psychologie sociale ?
Lu 📚 : l’Etreinte Fugitive de Daniel Mendelsohn
Massmarketées 📺 : les marques (US) direct to consumer plus actives en TV
On ne se refait jamais tout à fait, cette semaine l’histoire média qui a attiré notre attention est le renforcement de la présence des marques DTC (direct to consumer) en TV.
Ne nous y trompons pas : ces marques ont au départ construit leur notoriété en ligne et ont ces derniers mois considérablement accru leurs budgets digitaux en ligne également. Cependant, sans doute aidées par une forte baisse des CPMs TV classique, certaines ont pris goût à la puissance de la TV (particulièrement dans une année 2020 où l’audience de la TV a connu un regain d’attrait - en France, +18 minutes à 3h58 par jour pour la population 4 ans et plus !).
Un tiers d’un ensemble de 25 marques DTC ont augmenté leur investissement TV (signifiant aussi que les deux tiers ont surtout augmenté leurs investissements digitaux).
D’après l’article de The Information, les marketeurs DTC qui ont pris goût à la TV envisagent de continuer à faire grossir leurs investissements TV. Avec une petite nuance de taille cependant : ils dirigent leurs investissements surtout vers la “TV adressée” qui a fait ses premiers pas en France cette année. Ces services commencent à être pléthoriques aux US où ils sont pour la plupart couplés à une offre publicitaire :
While early video-streaming services, such as Netflix, are free of commercials, most of the recently launched services have a tier that is cheaper for consumers and carries ads. These include services offered by Discovery, ViacomCBS, NBCUniversal and, coming later this year, WarnerMedia’s HBO Max. Disney’s Hulu has long had an ad-supported tier.
Ainsi, la grande perdante de ce regain d’intérêt pour la TV pourrait être la TV elle-même … En effet, nous risquons de voir plutôt le phénomène des budgets TV “s’adressabiliser” dans les prochaines années : c’est à dire se déporter sur la TV adressée si la promesse de masse et de ciblage est au rdv; ce qui ne va pas manquer de susciter des arbitrages compliqués au sein des régies, en tout cas françaises, car même si les CPMs sont plus élevés sur la TV Adressée, il n’en reste pas moins qu’il faut passer par les fourches caudines des opérateurs télécoms qui rendent possible le ciblage et croquent au passage le gateau publicitaire.
One reason why some digital brands are attracted to TV is that it can help them reach a broader group of people than digital ads can. Digital campaigns allow brands to target an incredibly specific audience, but they often end up catching the same eyeballs over and over again, said Shane Pittson, head of growth and marketing for Quip, a startup that sells toothbrushes and floss on a subscription basis…
While traditional TV relies on Nielsen data to give advertisers a broad idea of the kinds of people who watch a show, streaming services can tell advertisers specifically how many people from the target audience segment watched.
💗 Si vous êtes arrivé(e) ici par hasard, recevez le Wrap Up chaque semaine :
NFTisées 💬 : les planches de BD dans une impasse
Vous n’avez pas pu passer à côté du phénomène des NFTs1, ces certificats digitaux échangeables qui signent la propriété d’une oeuvre numérique.
La semaine passée, c’est le monde de la BD qui est en ébullition. Historiquement, nous apprend le site ActuaBD, les dessinateurs qui contribuaient aux revues de BD de Marvel ou DC Comics et donc qui “empruntaient” les personnages de la galaxie du Docteur Strange pour créer de nouveaux épisodes, avait le droit de commercialiser comme complément à leurs revenus, “leurs” créations originales sous forme de planches vendues dans les galeries spécialisées aux amateurs.
Mais voilà le numérique est venu changé la donne : les dessinateurs modernes travaillent désormais à la palette graphique et leurs créations sont numériques. Fini donc l’âge tendre de la vente d’une planche unique à l’encre de Chine réservée aux vrais fans, puisque par définition, la création originale était numérique et donc potentiellement sans valeur pour les collectionneurs car démultipliable à l’infini.
Pour pallier cette absence de rareté, un des contributeurs réguliers à DC Comics ou Marvel, le dessinateur brésilien Mike Deodato Jr. a eu l’idée de “tokeniser” ses créations afin d’en vendre la copie originale numérique sur une plateforme d’enchères (rarible en l’occurence).
Les Majors ne l’entendent pas du tout de cette oreille et le poursuivent pour infraction du copyright des licences de Super Héros dont elles sont les dépositaires.
Les oppositions se font jour et chacun y va de son avis sur la question qui sera a priori tranchée par les tribunaux.
Pour aller plus loin, il faut lire Sean BONNER qui est un activiste dans le domaine de l’art et des crypto avec son blog de décryptage : NFT WTF avec cet article éloquent : tout le pouvoir aux artistes.
Il cite en exergue dans un de ses posts cette phrase qui résume bien l’état d’esprit des pionniers des NFTs et leur sentiment de participer à une révolution en marche :
“Il y a des décennies où rien ne se passe et des semaines où des décennies se produisent.” Lénine
Ca tombe à pic, ce lundi 19 est la journée internationale du Livre et du Droit d’Auteur…
Monnayé 🤑 : Clubhouse met en place du payant pour aider les créateurs
Ainsi que nous l’avions anticipé, l’application phénomène de ce début d’année, Clubhouse, met en place une “billetterie payante” pour les rooms de certains créateurs. 60 000 créateurs sélectionnés par la plateforme auront la possibilité de rendre l’accès à leur précieux babillage payant (ou de recevoir un pourboire de la part de leurs fans).
Petite surprise, Clubhouse reversera 100% du chiffre d’affaires aux créateurs, une bonne façon d’éviter la taxe Apple de 30%, car ces sommes servent directement à soutenir les “créateurs”.
Cette accélération est lancée pour contrecarrer les initiatives concurrentes des réseaux sociaux (dans le désordre : Twitter, Facebook, Linkedin, , autrement plus puissants, alors même que des rumeurs bruissent sur des discussions de rapprochement avec Twitter).
Il y a fort à parier que cet essai soit une façon d’anticiper une généralisation du paiement sur la plateforme (où la plateforme prendra évidemment une part des revenus) ou carrément des abonnements (à des rooms ou à un club), voire du sponsoring de room (opération de brand content), en espérant que la première hype autour de la plateforme saura tenir la distance.
Peter YANG, qui est product lead chez Reddit, souligne le défi des plates-formes virales de contenus audio ou vidéo face au désintérêt (i) des créateurs (maintenir des audiences dans la durée) et (ii) des utilisateurs (découvrir de nouveaux contenus intéressants dans un océan de médiocrité) :
Pour les créateurs : de constituer une “communauté” (interagir avec elle à travers quizz etc., remercier les fans les plus loyaux par des invitations sur scène et de la visibilité sociale (voir le décryptage de Douyin), produire des best-of);
Aider les utilisateurs à découvrir de nouveaux contenus pertinents pour eux (créer des verticals identifiées, créer un algorithme de recommandation personnalisé);
Introduire d’autres formats de contenu, permettant de varier la consommation des utilisateurs-fans (autoriser à créer des contenus courts, des clips des meilleurs moments d’une émission).
Déconstruite 🏗️ : la réussite de l’Occident, une affaire de psychologie sociale ?
Brice Couturier dans une sa chronique sur France Culture (le Tour du Monde des Idées) revient sur la question d’Adam Smith (qu’est-ce qui fait la Richesse des Nations?).
Il fait l’exégèse du livre de Joseph Henrich, biologiste et anthropologue, disciple de Darwin, The WEIRDest people on Earth, qui fait reposer un facteur décisif sur nos institutions en Europe pour expliquer son succès historique.
A l’heure où il y a une grande remise en cause des valeurs diffusées par l’Occident, que son passé est conspué, il est intéressant de comprendre pourquoi son mode de vie s’est imposé à la planète (WEIRD signifie Western, Educated, Industrialized, Rich and Democratic).
En particulier :
La lente destruction du communautarisme et l'avénement de l'exogamie :
“Aux yeux de Joseph Henrich, l’une des causes déterminantes du succès des Européens a été l’interdiction des mariages entre cousins, imposée par l’Eglise catholique à partir du XIe siècle. Sa prohibition pousse les individus à sortir du clan, à partir à l’aventure et développe une mobilité très particulière.”
Ce à quoi s’ajoute l’interdiction de la polygamie, facteur d'instabilité sociale avec des masses de jeunes hommes sans épouses à canaliser.
Une relation au temps qui mise sur la recherche de la productivité;
Un matérialisme assumé.
Cependant, prévient l’éditorialiste, gare au nihilisme qui guette les Européens à l'égard des mêmes valeurs qui ont assuré leur domination.
Lu 📚 : l’Etreinte Fugitive de Daniel Mendelsohn
Semaine de vacances oblige, la place des objets culturels est cette semaine plus importante : Daniel Mendelsohn est un de mes auteurs favoris (les Disparus, Une Odyssée, un père, un fils, une épopée), la façon qu'il a d’entremêler la petite histoire et les récits bibliques / mythologiques est souvent très fine, subtile, pleine d'enseignements lumineux. La façon dont il déplie les méandres de son histoire personnelle, les découvertes et la portée de ces découvertes sont très sensibles.
Dans ce premier livre, traduit en français après le succès des deux premiers, il établit déjà ce qui deviendra sa marque de fabrique : ce renvoi permanent entre études érudites des langues anciennes (ici le Grec et l’Hébreu), de leurs significations symboliques et l’historiographie familiale.
Mendelsohn s'attache à faire le récit de la découverte de son homosexualité, à travers classiquement le mythe de Narcisse de l'amour du même, d’un poème de Sappho sur l’amour inspiré par le regard de l’amour2, mais aussi de l'idiome du Grec Ancien men (μέν) ... de (δέ) ... qui est à la fois la juxtaposition d'une part / d'autre part, mais qui sous-entend aussi la continuité et l'unité, l’équivalent de notre “en même temps” macronien.
Par la suite, il tirera le fil de ce concept à travers l’expérience de la paternité de substitution qu’il connaîtra : comment il se sentira à la fois pleinement homosexuel vivant au coeur dans les années 1980-90 du quartier gay new-yorkais de Chelsea, menant la vie d’excès caractéristique de cette période, mais “en même temps” en dehors en endossant, malgré lui au départ, le rôle de père de substitution auprès du fils de son amie Rose, dans le New Jersey.
La dernière partie s’attarde sur la figure de son grand-père, passeur de l’histoire familiale, qui fera du thème de sa grande tante, promise comme contre-partie à l'immigration de sa famille polonaise auprès des cousins déjà établis en Amérique, qui mourra “une semaine avant sa noce”, histoire familiale également reprise dans Les Disparus, le thème du mensonge, de la reconstruction et de la mythification de toute l’histoire familiale. Le mythe d'Antigone servira de toile de fond, assez classique, à l’argumentation entre les devoirs familiaux et les lois de la cité.
L’ouvrage est émaillé de réflexions sensibles et profondes :
- “la Grèce captive a conquis son brutal envahisseur et a apporté les arts dans l'Italie sauvage.” (Horace)
- “Ce qui est inhérent à cette langue [grecque], par conséquent, c'est la reconnaissance du caractère profusément conflictuel des choses.” (au sujet de men ... de...)
- “Car cette information confortait une perception de moi-même qui avait été cruciale dans la formation de mon identité, aussi longtemps que je pouvais m'en souvenir : cette part de moi qui trouvait un plaisir érotique et intellectuel à sentir que j'nétais jamais moi-même complètement absorbé dans une chose ou un lien ou une expérience et que, quoi que je fass, quoi que j'éprouve, il y avait en moi un endroit que je gardais en réserve, qui me donnait du surplomb sur moi-même.”
- “Topos le terme utilisé pour décrire certains concepts stéréotypes à la fois dans la littérature et dans la politique, est un mot grec qui signifie en réalité endroit - l'idée étant que nous revenons à des tournures de phrase ou à des habitudes de pensée familières avec autant de soulagement que nous rentrons chez nous ou dans notre quartier”.
- “Les Grecs savaient que l'identité n'était pas une réponse, mais l'énigme en soi.”
- “Le mot identité vient en fin de compte de l'adverbe latin identidem, qui signifie répétitivement. Identidem n'est en fait rien de plus qu'une duplication du mot idem, le "même" : idem (et) idem. L'une des manières au moins de déterminer ce qu'est une chose est de voir si, après tout, elle reste toujours elle-même et rien d'autre.”
NFT pour Non Fungible Tokens, des tokens non substituables, donc uniques.
Il me fait l’effet d’être l’égal des dieux -
L’homme qui est, assis en face de toi,
Murmurant des mots doux à ton oreille,
Attend une réponse.