Le Wrap Up de la semaine où Bertrand Tavernier nous a quittés (semaine du 22 mars 2021)
5 bullet points sur l'actu média, tech et société
Au sommaire cette semaine :
Décryptée 🔐 : Douyin, l’app dans l’ombre de TikTok
Scruté 🔬: le Président et les médias français
Entrevu 🔮 : l’avenir de la presse
Départagé 💸 : tu me passes tes codes Netflix ?
Souri : le Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier
Décryptée 🔐 : Douyin dans l’ombre de TikTok
C’est un produit encore peu connu en France (et pour cause : il n’est pas disponible), mais qui est un raz de marée en Chine. Douyin pourrait être, rapidement, considérée comme la version chinoise de TikTok, mais au-delà de la navigation et de la présence de courtes vidéos musicales, et une société mère commune ByteDance (désormais la société privée chinoise la plus valorisée à 180 milliards de dollars), les fonctionnalités et la monétisation des deux apps diffèrent beaucoup.
L’histoire de Douyin
A près de 600 millions d’utilisateurs par jour5 qui y passent en moyenne près d’une heure et vingt minutes, Douyin est la 2ème app sociale en Chine, derrière Instagram et près de deux fois plus importante que Snapchat. Elle rapporterait par an, près de 18 milliards de dollars, soit presque autant que Youtube dans le monde. Les fonctionnalités de Douyin sont intéressantes car elles pourraient prochainement apparaître dans Tiktok tant elles ont fait la preuve de son succès.
Tout d’abord, quelques éléments de rappel du contexte :
La Chine est devenu le plus grand marché d’utilisateurs de smartphone dès 2011;
30% des utilisateurs utilisaient de la 4G dès 2015;
En 2012, la première société de livestreaming, YY, entre en bourse sur un business modèle de pourboire et revendiquait 60 millions d’utilisateurs par mois.
ByteDance avait posé très tôt l’idée que le contenu devait aller à l’utilisateur et non, bêtement, l’inverse suivant un modèle de moteur de recherche : les algorithmes de recommandations ont ainsi pris leur essor très tôt en Chine. Après un premier succès massif, d’engagement et de monétisation, avec Toutiao une app de news, ByteDance n’en reste pas là et teste des nouvelles apps à tout va, notamment dans la vidéo à partir de 2016 avec trois initiatives séparées.
Les caractéristiques premières
Initialement, les quatre partis pris pour l’une de ces initiatives, l’app Douyin, reposait sur :
du Full screen, HD video (verticale s’entend) : assez rare à l’époque compte tenu du coût de bande passante et de stockage;
la musique : laissant plus de possibilités aux créateurs de s’inspirer et de remixer à leur façon ;
les filtres spéciaux : les apps spécialisées sur ce sujet dominaient alors les classements d’apps en Chine ;
la recommandation personnalisée : la pâte de ByteDance.
Travaillant étroitement avec les utilisateurs, les développeurs de Douyin en vinrent rapidement à se focaliser sur les “danses de geste” plus faciles à réaliser que des danses complètes, à simplifier la captation vidéo pour les créateurs et à proposer une bibliothèque de sons à fort potentiel de viralisation (aujourd’hui les plates-formes de streaming musicale suivent avec attention les prochains succès musicaux d’après les trending musics de TikTok!).
Les synergies avec ByteDance furent aussi nombreuses :
le groupe ByteDance fonctionne sur une bibliothèque de fonctionnalités partagées, notamment l’algorithme de reco de Toutiao;
Une classification fine des vidéos (notamment par une armée de personnes à bas coût, occupées à qualifier correctement les vidéos pour l’algorithme au delà des basiques lipsync ou danse);
Le datascientist en chef Zhu Wenjia, débauché de chez Baidu en 2015, serait le maitre d’oeuvre avec ses équipes de l’algorithme couronné de succès de Douyin.
Douyin préfiguration du TikTok à venir ?
Bien que TikTok et Douyin soient semblables en de nombreux points, elles diffèrent sur des points encore substantiels et qui ont des caractéristiques peut-être très adaptées pour le marché chinois et qui ne verront en partie jamais le jour dans Tiktok, mais peut-être aussi préfigure-t’elle des évolutions de l’app star de 2020. Parmi les éléments encore particuliers à Douyin :
La durée : fin 2019, Douyin leva la durée limite des vidéos à 15 minutes vs. 60 secondes dans TikTok; L’absence de Youtube en Chine fait de Douyin la plateforme de destination pour les éditeurs semi-pros; la qualité des vidéos y est en moyenne beaucoup plus élevée;
Le Livestreaming : fin 2020, 85% des utilisateurs de Douyin regardaient des livestreams (de divertissement, de gaming et d’ecommerce), les boutons vers cette catégorie (dont des livestreams audio, tiens tiens) sont nombreux dans l’appli et restent souvent en surimpression sur d’autres contenus pour y drainer toujours plus d’utilisateurs ; Au point que beaucoup de chaînes (celles avec une petite enveloppe rouge) proposent même des dons en cash aux utilisateurs pour venir regarder un stream ! L’eCommerce est très favorisée avec des lucarnes dans la vidéo pour présenter le packshot du produit proposé, un panier d’achat en permanence à l’écran, une régie publicitaire interne pour permettre aux utilisateurs de promouvoir leur vidéo ;
La gamification à outrance : les utilisateurs ont affiché en permanence sous leur nom d’utilisateur, leur classement dans l’application (en fonction de leur participation aux streams, de leurs dépenses dans l’appli); réciproquement les créateurs voient combien il leur manque de followers pour monter d’un degré dans des classements live des streamers; Leur assiduité est également récompensée par l’appli qui peut leur verser des primes pour les plus actifs.
Higher levels users unlock a "splashier" entrance -- instead of getting buried in the chat feed, their entrance is emphasized by their name flying in from the right and staying for a few seconds on top of the chat.
Un moteur de recherche approfondi : les fonctionnalités de recherche incluent la possibilité pour les utilisateurs de filtrer les contenus à différentes périodes dans le temps, en fonction de la pertinence ou des likes. Longtemps Baidu a été le leader incontesté de la recherche en Chine, mais les murs érigés par toutes les apps réduisent fortement sa portée et l’indexation fine des contenus est devenu un enjeu; cette fonctionnalité introduite en 2018 fait de Douyin est un des tout premiers moteurs de recherche chinois pour apprendre de l’anglais, voir les dernières infos, chercher un travail ou apprendre à cuisiner ;
Les fonctionnalités de messagerie sociale : Douyin étant bloqué par la messagerie leader, WeChat6, a beaucoup plus développé des messages, des audio et vidéos calls que TikTok (comble au pays du parti unique : ByteDance a intenté à Tencent un procès pour abus de position dominante sur ce point).
La géolocalisation des services locaux : le système de localisation des vidéos permet à présent à chaque échoppe ou chaque attraction locale qui le souhaiterait de proposer sa billetterie, avec des fonctionnalités à la Groupon, d’achat collectif !
La philosophie des Super Apps Chinoises
Cet article, très complet, s’achève sur quelques considérations générales très intéressantes :
Les super apps chinoises s’efforcent de suivre à la trace la Customer Journey de leurs utilisateurs, contrairement à notre vision, plus occidentale, de ne se concentrer que sur une ou deux fonctionnalités remarquablement exécutées;
Les super-apps chinoises ont beaucoup intégré la dimension monétisation et ecommerce, a contrario d’un modèle occidental exclusivement centré sur l’expérience publicitaire; la prédominance d’Apple et son rôle de gatekeeper dans les pays occidentaux expliquant peut-être en partie cette orientation;
Elles reposent en grande partie sur la gamification et le besoin de reconnaissance sociale des créateurs / utilisateurs que procurent les applis : les fan clubs créent ainsi de véritables communautés d’appartenance autour des créateurs, sans doute exagérément joués par les tableaux de classement ou les indicateurs de ce qu’il faut pour passer au niveau supérieur. L’acceptation, dont on a beaucoup parlé en Occident, de la notation sociale des individus, y trouve peut-être aussi son reflet en virtuel.
Scruté 🔬: le Président et les médias français
Le Monde, à travers ses journalistes Sandrine Cassini et Olivier Faye, se livre à une enquête comme ce journal en a le secret, sur les relations entre les médias et le pouvoir. La perspective de la prochaine présidentielle n’est jamais loin et les puissants non plus.
Dans la mesure où les grandes radios (RTL, Europe 1), les grandes TV (M6), et quelques grands tirages de presse (Paris Match, le JDD, mais récemment Voici1, Capital) et leurs orientations “politiques” peuvent dans les prochains mois changer de main, l’article souligne les rapports ambigus du Président en exercice et des grands argentiers du secteur : entrent en scène Bernard Arnault2, Vincent Bolloré3, Daniel Kretinsky (CMI)4 et Xavier Niel.
Les journalistes à travers des verbatims souvent anonymisés, dessinent un portrait de Macron, distant, très éloigné de la connivence qu’entretenait Hollande avec cette corporation, attentif à “ne pas interférer avec son indépendance”, mais qui la scrute scrupuleusement, la décortique régulièrement, la houspille avec véhémence quand les articles ne lui sont pas favorables et tente d’orienter la recomposition actuelle du paysage. Curieusement ou non, Nicolas Sarkozy se trouve mêlé à ce jeu de pouvoir : il tente d’interférer en faveur de Bolloré, continue d’entretenir Arnault et défend Lagardère où il siège au conseil d’administration.
Au final, en ressort, un tableau balzacien, un brin passéiste, peu flatteur du pouvoir et encore moins des dirigeants des médias, peu habités par l’intérêt économique du secteur en tant que tel, mais plutôt par les rapports qu’il permet d’entretenir avec le pouvoir exécutif.
Entrevu 🔮 : l’avenir de la presse
Jeudi soir dernier, nous avions le plaisir dans le cadre d’un webinar ESCP Media, d’interroger Franck ANNESE et Ari ASSUIED, respectivement fondateur de SOPRESS et de CAFEYN. Les deux patrons de presse se sont livrés à l’exercice de donner des raisons d’espérer dans la presse (Ari Assuied rappelait que c’était une des premières industries de contenus dans le monde, à près de 145 milliards de revenus, devant la musique - 20 milliards).
Parmi les éléments de cette conférence (replay disponible ici), l’idée que le salut de la presse passera par une meilleure distribution (l’appli d’agrégation Cafeyn est née de l’indisponibilité des titres de presse à l’étranger, l’Equipe en particulier, lorsqu’Ari y faisait ses études) et par un contenu qui plaît, destiné à connaître des formes d’exploitation diverses (comme un livre ou une série à venir après la publication phare de l’été dernier sur Xavier Dupont de Ligonnes).
Quelques éléments glanés sur les deux groupes :
Lancé en 2006, Cafeyn a désormais plus de 2m d’utilisateurs actifs par mois, dans 14 pays, agrégeant plus de 550 éditeurs de presse (soit 140 000 articles publiés par mois); Des consommateurs qui picorent l’information sans vouloir s’attacher à une publication en particulier.
Rachat de Blendle aux Pays-Bas et de MiLibris en France;
A la jonction entre éditeurs, lecteurs et d’éventuels tiers distributeurs de ces offres (en particulier les FAI et autres services d’abonnement premium);
250 employés avec beaucoup de développeurs;
Depuis 20 ans, SoPress revendique de son côté, sa fabrique artisanale, “d’épiciers” où les sujets ou les nouveaux titres sont portés avant tout par les envies des journalistes qui, à l’usure, obtiennent de leur patron, le droit de partir sur leur projet. On pourrait presque dire que le groupe fonctionne comme un “startup studio” (terme que renierait Franck Annese) lançant des nouveaux titres et voyant rapidement s’ils rencontrent leur public (Dada, consacré aux “chevaux, aux masques de boue mais surtout aux chevaux”, n’aura connu que 3 numéros).
Les revenus du groupe de presse se répartissent entre pub à 24% et pour 76% aux ventes de numéros (au numéro : 35% / Abonnement : 45% / Digital et vente directe : 20%)
Les journalistes ne sont pas attachés à un titre en particulier, ils peuvent écrire pour tous les titres (pour reprendre le slogan d’un groupe punk des années 80 cité par Franck en contre-exemple : “trop de chefs, pas assez d’Indiens”)
Diversification : plutôt que de céder les droits à d’autres, étant producteur, notamment de spots de pub (ce qui ne serait pas étranger à une partie de la rentabilité du groupe), SoPress devient aussi coproducteur de ses déclinaisons audiovisuelles, avec la possibilité pour ses journalistes de devenir co-scénéristes;
Depuis 20 ans qu’on travaille dans ce secteur, je n’ai toujours connu QUE la crise de la presse, donc je ne peux pas vraiment savoir si c’était mieux avant … On a un taux de marge dans la presse qui est de 1,7%, donc on arrive à ne pas perdre d’argent, ce qui est déjà pas mal... On se repose beaucoup sur les lecteurs, plus que sur les annonceurs. (Franck Annese)
Départagé 💸 : tu me passes tes codes Netflix ?
D’après une note d’un analyste de Citi, Jason Bazinet, le partage de mots de passe serait au niveau de l’ensemble de la filière vidéo par abonnement (SVOD) de l’ordre de 25 milliards de dollars, avec la part du lion allant à Netflix : 25%, soit près de 25% de ses propres revenus de 2020. Le cabinet de recherche Magid indiquait en février dernier qu’un tiers des abonnés à Netflix partageait ses codes avec au moins une personne.
On a déjà évoqué ce sujet, et comment pendant longtemps ce sujet a fait l’objet d’un certain laissez-faire de la part de la firme au tadoum légendaire. Ca n’est plus le cas aux Etats-Unis, où il faut désormais une double authentification pour accéder à son compte Netflix. Pour ces délinquants qui décideraient de rentrer dans le rang, Netflix rétablit exceptionnellement la période d’essai de 30 jours qu’il avait supprimé l’an dernier.
« If you don’t live with the owner of this account, you need your own account to keep watching. »
A l’apparition de ce message, il faudra désormais aux US rentrer le code d’authentification envoyée sur le mail ou le téléphone du souscripteur du compte Netflix.
Souri 🏛 : le Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier
France 2 diffusait dimanche soir, le Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier, tiré de la BD de Christophe Blain et Abel Lanzac. Thierry Lhermitte y joue avec jubilation Alexandre Taillard de Vorms, l’incarnation de Dominique de Villepin.
La BD était très bonne, le film est réussi, on y rit franchement et on est surpris de voir Tavernier se risquer à ce genre. Niels Arestrup, Julie Gayet et Raphael Personnaz ont des rôles savoureux aussi.
Il emprunte de nombreux gags visuels à la BD (les feuilles volent à chaque entrée en trombe du ministre) et retranscrit, on pense, fidèlement l’ambiance vacharde, brillante, suffisante et haletante des cabinets ministériels.
Pour le (re)voir en VOD, c’est ici ($).
Pour y voir la malice du réalisateur parler de son film, c’est là sur Arte. (Tous les films du grand réalisateur qui vient de nous quitter y sont d’ailleurs commentés par ses soins).
Des burritos pour la route 🌯 : liens rapides
Disney Plus a annoncé cette semaine son intention de diffuser sur Disney+ Premier Access (pour 30$ supplémentaire) deux films, la Veuve Noire et Cruella, en même temps que leur sortie en salle. Par ailleurs, l’abonnement basique connaître aux US sa première augmentation et passera de $6.99 à $7.99 par mois;
Amazon Prime Video annonce le renforcement de ses productions made in France, évidemment sans espoir particulier de rentabilité sur ces projets.
Tiens tiens, Netflix va tester des sorties hebdomadaires : Netflix va pour une fois, diffuser deux émissions (des jeux de téléréalité The Circle et Too Hot to Handle) à raison de quelques épisodes par semaine sur plusieurs semaines. Convergence TV?
Pour se rendre compte de l’évolution des métiers de la pub TV vers la tech, NBCUniversal tient sa première conférence à destination des développeurs : ONE21
Après la France, c’est visiblement la Belgique que le groupe RTL souhaiterait céder.
Oui Voici et Paris Match : on se rappellera de la peoplisation du couple Macron lors du campagne en 2017, par l’intermédiaire de Mimi Marchand, à la tête d’une des principales agences de presse people.
les Echos, Radio Classique, le Parisien
Vivendi, Canal+ et donc CNews, bientôt Prisma Media
une part minoritaire du Monde et de l’Obs, Elle, Marianne