Le Wrap Up "light" de la semaine où l'avion d'Evguéni Prigogine s'est écrasé (semaine du 21 août 2023)
📱 : 2012 l’année de bascule dans le monde mobile ? - 🇺🇳 : l’IA pourrait rendre moins nécessaire l’apprentissage des langues? - Best 2023 🏆 : Worldcoin = IA + Crypto - 📚 : Don Quichotte
Au sommaire de cette semaine du Wrap Up encore en formule estivale
Rétrospectif 📱 : 2012 l’année de bascule civilisationnelle grâce au mobile ?
Babylonien 🇺🇳 : l’IA pourrait rendre moins nécessaire l’apprentissage des langues
⌛️ temps de lecture : 6 min 10 sec
Rétrospectif 📱 : 2012 l’année de bascule civilisationnelle grâce au mobile ?
⌛️ : 2 min 3 sec
Le billet du blog The Intrinsic Perspective revient sur un thème connu, les bascules générationnelles : comment se distinguent-elles, en quoi ont-elles une nouvelle génération se construit-elle et a-t-elle l’impression de faire l’histoire (mais l’homme ne sait pas l’histoire qu’il fait, rétorquerait Marx), les nouvelles ères culturelles et aussi … ses objets technologiques.
En particulier, Erik Hoel revient sur la diffusion massive du mobile dans nos vies qu’il place en 2012 (alors plus de 50% de pénétration des smartphones aux US) et l’impact que ce phénomène semble avoir eu sur … tout un tas de marqueurs “civilisationnels”, citons pêle-mêle :
La santé mentale des jeunes générations.
The answer is actually rather clear. For whenever I now see a graph plotting out something by years, my eyes now jump to a certain date: 2012. And, more often than not, there is evidence of some kind of fulcrum there. Others have also started to take notice as well: 2012 was a “tipping-point” year…
In comparison, 2012 appears to be more like 1968 in that it marked changes primarily cultural and psychological, not economic. Of course, we should expect it to be harder to measure cultural tipping-point years rather than economic ones, since what makes for healthy psychologies and cultures is often immeasurable.
D’autres corrélations explicitées de santé publique dans l’article semblent vouloir créer une forme de causalité, corroboré par d’autres études (notamment des études internes de Meta qui ont été divulguées par la lanceuse d’alerte Frances Haugen) :
Manque de sommeil (by 2015 a full 57 percent more teens were sleep-deprived than in 1991, 60-70% of American teens live with a borderline to severe sleep debt.),
Saut du petit déjeuner (1/3 des ados),
Progression des taux de dépression et de suicide;
La culture marque aussi pour l’auteur, une évolution à partir de 2012, année pivot : l’explosion des chansons “explicit lyrics” dans le top 100 des chansons, des remakes et des séries dans la production cinématographique, décollage dans le discours public US des termes relatifs aux phobies culturelles et sexuelles, qu’on nommerait wokisme (à tort ou à raison) aujourd’hui;
The point to all this is just to make explicit what I think so many already know and feel: if we were forced to pinpoint a year, 2012 appears to be a good choice for when the modern world was invented, and we’ve been living in it now for a little over a decade.
S’ensuit des tentatives d’extrapolation à la situation économique des Etats-Unis. Dans l’ensemble, la thèse de l’article (année 2012 étant l’année pivote de cette bascule civilisationnelle) est assez faiblement étayée (avec des données qui viennent toutes au service de la démonstration) mais elle a la mérite de tenter de cerner les changements de mode de vie que nous pressentons chacun aujourd’hui (peut être est-ce aussi le privilège des enfants de boomer de sentir que le nouveau monde leur échappe également et que “c’était mieux avant”), en tout cas ce billet pose le débat du début :
Babylonien 🇺🇳 : l’IA pourrait rendre moins nécessaire l’apprentissage des langues
⌛️ : 1 min 24 sec
Vieille antienne luddite1 : les technologies nous rendent moins travailleur à mesure qu’elles nous facilitent la vie.
Il est donc naturel qu’à mesure que progresse l’intelligence artificielle dans le domaine linguistique, on en vienne à se demander l’intérêt d’en continuer l’apprentissage à nos enfants.
The Economist se saisit de la question remettant en cause au passage le mythe du globish, du nom de ce sabir anglais qui permettrait de se faire comprendre partout (seul un petit milliard d’individus la parlent sur 8 milliards d’habitants de notre planète). Mieux que Google Translate ou DeepL, ChatGPT qui n’était pas initialement conçu pour cela, s’avère être une solution plus que convenable.
As AI translation becomes an even more popular labour-saving tool, people will split into two groups. There will be those who want to stretch their minds, immerse themselves in other cultures or force their thinking into new pathways. This lot will still take on language study, often aided by technology. Others will look at learning a new language with a mix of admiration and puzzlement, as they might with extreme endurance sports: “Good for you, if that’s your thing, but a bit painful for my taste.”
L’édito conclut hâtivement que le bénéfice de parler une langue étrangère ne se réduit pas à se faire comprendre, mais très largement dans la connexion que l’on crée à une autre personne d’une autre culture.
Quels impacts pour les médias ?
Si l’on veut bien un tout petit peu me laisser extrapoler ce sujet sur celui des médias : La question du multilinguisme est un vieux débat en particulier dans la production ciné et TV.
Il est vraisemblable que l’IA générative arrive à terme à complètement remodeler nos contenus (voire de les générer à la volée). Cependant à plus court terme, la première application serait celle de pouvoir reconnaître, retranscrire, traduire, et même de doubler avec les effets d’articulation des lèvres des acteurs, tout cela en quasi temps réel. L’incidence est énorme sur les industries créatives, au delà de l’impact sur la profession de doubleur : les contenus vont réellement avoir une portée mondiale en matière de distribution, je pense en particulier aux podcasts et émissions de radio dont le marché potentiel et la concurrence en résultant vont être colossaux.
Best of 2023 🏆 : Worldcoin un projet reliant crypto et intelligence artificielle
⌛️ : 20 sec
C’est LE projet qui inquiète et inspire la tech : acter de l’explosion très probable de la production de contenus, aidée par de l’IA, et chercher une certification universelle de l’origine de ces contenus.
En clair : demain, Worldcoin, dont Sam Altman (DG d’OpenAI) est l’un des instigateurs, veut mettre la copie de votre iris sur la blockchain pour devenir votre passeport numérique infalsifiable, et disqualifer ainsi tous les contenus qui ne seront pas “signés” par voter Worldcoin.
Sinon cette semaine, on aurait aussi pu parler de :
des NFTs Barbie de Mattel avec Boss Beauties (où Margot Robbie traite au passage les crypto-bros de “Kens”)
Des restaurants qui adoptent à la vitesse de l’éclair leur menu en fonction des dernières tendances de Tiktok #girldinner
Du Grand Prix de Hollande qui propose aux détenteurs de billets, un souvenir numérique avec un segment de la piste du circuit de Zaandvort et évidemment “bien plus encore”..
Lecture d’été 📚 : Don Quichotte
⌛️ : 2 min 23 sec
Que dire quand tout a été dit sur un des chefs d’œuvre de la littérature européenne, voire mondiale? Répéter ce qui a été dit ?
Don Quichotte marque la naissance du roman moderne occidental (Kundera le souligne dans l'Art du Roman), celui d'un monde en désillusion, qui s’inscrit au tournant du XVIIème siècle, ce moment de “la crise de la conscience européenne” (1680-1715, selon l'expression de Paul Hazard).
L'idée centrale du roman est de moquer le déferlement de littérature picaresque qui farcie littéralement la tête des jeunes gens du temps de Cervantes (Don Quichotte sera son roman de la maturité, écrit vers 50 ans, au succès foudroyant) : "mon livret est tout entier, une invective contre les romans de chevalerie".
C’est un peu comme si l'on écrivait aujourd'hui une diatribe contre les influenceurs tiktok.
Le premier des deux tomes (séparés en écriture de quelques années) est d'une fraîcheur intacte, on s’y divertit beaucoup, le style est très allant et humoristique à foison. Certes, nous avons quelque peu perdu l'ambiance des romans de chevalerie et ne goûtons par conséquemment que moyennement la satire qui en est faite à travers Don Quichotte et le fidèle Sancho Panza, mais le sujet des modes données à la jeunesse est intemporel, tout comme l'infatuation qu'elle génère auprès de cette dernière qui en fait un modèle de vie.
Comme l'écrit la préface (de Louis Urrutia) :
"Parodie des romans de chevalerie, farcie de romances et de poèmes héroïques, épiques ou chevaleresques; roman pastoral pour deux longs épisodes qui sont deux chefs-d'œuvre (l'histoire de Marcelle et Chrysostome, les noces de Camache); roman sentimental (l'histoire de Cardenio et Luscinde, Don Fernand et Dorothée); roman de captif [état dans lequel se retrouvera Miguel de Cervantes après la bataille de Lépante, bataille dont on a oublié le séisme géopolitique qu'elle provoqua]; nouvelle italienne, à l'image d'autres insérées parmi les Nouvelles exemplaires (le Curieux malavisé); récit picaresque (épisode des Galériens, de l'hôtellerie plusieurs fois visitée, des archers de la Santa Hermandad, de Ginès de Pasamonte alias maître Pierre et son Retable des Merveilles, etc.); imitation de l'Arioste (la grotte de Montesinos), de Garcilaso et des poètes bucoliques, des vieux romances; reprise d'adages, proverbes et contes populaires selon la veine érasmienne."
Le chef-d'œuvre de Cervantès apparut au carrefour de deux siècles. "Il dessine, comme le dit excellemment Michel Foucault, dans les Mots et les Choses, le négatif du monde de la Renaissance", ajoutant, à un autre tournant explicatif de son ouvrage, que "peut-être Justine et Juliette (héroïnes du marquis de Sade), à la naissance de la culture moderne, sont dans la même position que Don Quichotte entre la Renaissance et le classicisme".
Le livre peut apparaître par certains aspects répétitifs et on se demande comment Cervantes va parvenir à nous tenir en haleine des aventures de son anti-héros tout au long de ces 500 et quelque pages, mais la brièveté des chapitres et le style et l'imagination de l'auteur parviennent ainsi à renouveler l'intérêt pour les pitreries des deux compères. L’illustre auteur change aussi les points de vue et la nature des histoires évoquées (pendant que Don Quichotte se repose d'une nouvelle défaite), ce qui nous repose un peu des désillusions répétées du héros.
On aimerait que des gens talentueux adaptent la verve comique de Cervantes à notre époque, tant chaque époque se pare de lubies et d'illusions, et se noient dans les eaux dans lesquelles elle se plaît à s'admirer.
ps : Il semblerait que Terry Gilliam soit finalement parvenu après deux essais infructueux, notamment l’un dépeint dans Lost in La Mancha avec le regretté Jean Rocherfort, à faire/refaire l’adaptation cinématographique du roman en 2018 avec l’Homme qui tua Don Quichotte avec Adam Driver et Jonathan Pryce (le Prêtre des oiseaux de Game of Thrones), la bande annonces donne le ton et semble être l’aboutissement d’une lubie vieille de 25 ans.
du nom de ce mouvement ouvrier anglais du XIXème siècle qui cherchait à casser les machines qu’ils accusaient de détruire leur emploi
Merci. J’apprends toujours de nouvelles choses 😀