Le Wrap Up de la semaine où Sora a fait ses premières démos (semaine du 19 février 2024)
🦍 : Don King Sora - 🃏 : LVMH dans la production - 🧑🔬 : Luxottica veut être une tech co - 📴 : Docu déconnexion - 🧔🏼♂️ Le plus grand écrivain ? Hugo, hélas
Au sommaire de cette semaine :
⌛️ Temps de lecture : 6 min 45 sec
Catastrophé 🦍 : Sora meets Hollywood
⌛️ : 2 min 16 sec
Difficile d’échapper cette semaine à la déferlante SORA. C’est le petit nom du modèle d’OpenAI dédié au text-to-video - le terme Sora désigne le ciel en japonais. Les premières démos (et ce ne sont que des démos) sont assez époustouflantes dans la mesure où elles semblent résoudre ce qui était un peu approximatif jusqu’à présent dans les exemples de RunWayML, de Pika Labs, la persistance des images et des personnages lors des travellings de la caméra. La question de la consommation de GPUs n’est pas pour l’instant abordée, mais on ne doute pas qu’elle soit relativement démesurée en l’état de l’art comme on dit pudiquement ; cependant si le résultat est à la hauteur de ces bandes vidéos de démonstration, on ne doute pas que la redoutée autant qu’espérée révolution de l’industrie vidéo s’en trouve accélérée.
L’impact ne s’est pas fait attendre à Hollywood comme le relève Emily Turrettini dans son billet sur linkedin : Tyler Perry, éminent réalisateur et producteur, a marqué un coup d'arrêt spectaculaire à l'expansion de son studio pharaonique à Atlanta, évalué à 800 M$. Ce projet d'expansion, ambitieux, envisageait l'ajout de 12 nouveaux plateaux de tournage, mais voilà que selon The Hollywood Reporter tout est mis en pause, une décision lourde qui serait dictée par la prise de conscience de l'impact potentiel de Sora (les raisons sont souvent plus obscures que ce genre de sensationnalisme immédiat mais gageons de la bonne foi des protagonistes1).
Perry, après avoir été témoin des prouesses de Sora, a été frappé de stupeur par son potentiel disruptif, un potentiel tel qu'il remet en question les méthodes traditionnelles de production cinématographique. Il ne tarit pas d'éloges sur Sora, soulignant combien cette avancée technologique pourrait radicalement transformer le paysage cinématographique, notamment en rendant obsolètes les tournages en extérieur et la construction de décors physiques.
I no longer would have to travel to locations. If I wanted to be in the snow in Colorado, it’s text. If I wanted to write a scene on the moon, it’s text, and this AI can generate it like nothing. If I wanted to have two people in the living room in the mountains, I don’t have to build a set in the mountains, I don’t have to put a set on my lot.
Cette technologie, par ses capacités, pourrait bien anéantir le besoin de plusieurs métiers traditionnels dans le secteur, de la figuration aux équipes de postproduction, mettant ainsi en péril l'emploi de milliers de personnes qui font battre le cœur de l'industrie du divertissement (les plus optimistes argueront que de nouveaux métiers devraient apparaître pour faire tenir les longs métrages debout).
I just used AI in two films that are going to be announced soon. That kept me out of makeup for hours. In post and on set, I was able to use this AI technology to avoid ever having to sit through hours of aging makeup.
Si les avantages en termes d'efficacité et de réduction des coûts sont indéniables, le réalisateur met en garde contre le coût humain de ces progrès. Il appelle à une réflexion collective et à l'adoption d'une démarche unifiée pour gérer cette transition, impliquant non seulement les acteurs d'Hollywood (à travers leur syndicat) mais également des instances législatives comme le Congrès.
There’s got to be some sort of regulations in order to protect us. If not, I just don’t see how we survive.”
Tyler Perry met en lumière une préoccupation fondamentale : l'importance de ne pas laisser les avancées technologiques se faire au détriment de ceux qui ont construit et qui continuent de nourrir l'industrie du divertissement. Son appel à l'action résonne comme un avertissement : si l'intelligence artificielle promet des montagnes, il ne faut pas oublier le coût humain de l'ascension.
Diverti 🃏 : LVMH se lance dans la production
⌛️ : 1 min 24 sec
Dans le prolongement de l’annonce la semaine dernière de l’entrée du holding familial de la famille Arnault au capital de Webedia, on apprend cette semaine que LVMH inaugure une nouvelle division “22 Montaigne Entertainment”, dédiée au divertissement.
Pilotée par Antoine Arnault — héritier du trône et figure de proue de l'image et de l'environnement chez LVMH — ainsi que par Anish Melwani, stratège en chef des opérations nord-américaines du groupe, cette initiative vise à “transcender les frontières traditionnelles du marketing de luxe”. On imagine que cette initiative fait suite au premier succès du genre rencontré par le documentaire sur le joaillier Bulgari Inside the Dream diffusé sur Prime Video en 2022.
La division prendra la forme d’une alliance avec la société de production californienne Superconnector Studios. Cette alliance aspire à réinventer la narration de marque, en s'associant avec “l'élite” des créateurs, producteurs et distributeurs pour élaborer conjointement des projets cinématographiques, télévisuels et audio. L'enjeu ? Infuser l'essence du luxe dans des récits autour des 75 marques de luxe du groupe, amplifiant encore davantage la résonance des produits LVMH dans l'imaginaire collectif, sans sombre on l’imagine trop grossièrement dans la publicité déguisée.
Ce mouvement reflète la tendance de fond où les frontières entre luxe et divertissement s'estompent progressivement. Les défilés de mode, déjà transformés en spectacles grandioses par des maisons telles que Dior ou Louis Vuitton, témoignent de cette hybridation. L'été dernier, le défilé de Pharrell Williams pour Louis Vuitton Hommes a brillé par son cortège de célébrités, illustrant la fusion entre le monde de la mode et celui de la musique et du cinéma (avec présence de Rihanna, de Beyoncé et de son époux, Jay Z, qui a donné un concert privé sur le Pont Neuf privatisé pour l’occasion du défilé).
Cette stratégie n'est pas l'apanage exclusif de LVMH. Kering, éternel rival, avait fait ses premiers pas avec la création d'une société de production brandée Yves Saint Laurent (et qui avait produit le récent Strange Way of life, de Pedro Almodóvar, très critiqué pour son côté placement produit, néanmoins présenté à Cannes).
Artémis, la holding familiale des Pinault, a d’ailleurs pris le contrôle de Creative Artists Agency (CAA), une des agences de talents les plus influentes à l'échelle globale, signe éloquent de l'entrelacement croissant entre le luxe, le cinéma, le divertissement et le sport.
Technologisé 🧑🔬 : tout le monde veut être une techco.
⌛️ : 1 min 14 sec
Luxottica, le colosse italo-français de l'optique (le géant pèse 90 Md$ de valorisation boursière et emploie 200 000 personnes) est à l’affût de tout ce qui pourrait venir changer son métier de lunetier et verrier. Sous la houlette du nouveau CEO, Francesco Milleri, disciple et successeur de l'emblématique patron du groupe, Leonardo Del Vecchio, Luxottica, fort de son mariage avec Essilor en 2018, déploie une vision ambitieuse qui dépasse l'horizon des simples verres et montures (bien que ce métier demeure extrêmement lucratif et que le groupe se trouve attaqué partout dans le monde sur sa position dominante).
L'entreprise n'est pas à son premier essai dans l'univers des “lunettes intelligentes”. Les souvenirs de l'échec de Google Glass, fruit d'une collaboration avec le géant de la tech, n'ont pas ébranlé sa détermination. Aujourd'hui, avec l'avènement de dispositifs comme les Spectacles 3 de Snap et le casque VisionPro d'Apple, Luxottica renouvelle sa poursuite de la prochaine innovation en s'associant à Meta pour lancer une nouvelle version de lunettes Ray-Ban, équipées d'une caméra plus performante et d'une autonomie prolongée, capables de capturer et de retransmettre le champ visuel de l'utilisateur.
Parallèlement, Milleri développe une vision où Luxottica se réinvente en entreprise de technologie médicale.
La firme s'apprête à lancer en août des lunettes dotées d'aides auditives intégrées, destinées à un public souffrant de pertes auditives modérées - une population estimée à 1,25 milliard d'individus. Ces lunettes, qui se veulent discrètes et abordables, incarnent une révolution dans la prise en charge de la déficience auditive, libérant ses utilisateurs du fardeau et du coût des appareils auditifs traditionnels. L'acquisition de Nuance Hearing, une start-up israélienne à la pointe de la technologie auditive, souligne l'engagement de Luxottica dans cette voie, promettant une expérience auditive améliorée grâce à des algorithmes avancés (l’algo reconnaîtrait la voix importante dans la conversation pour ne se concentrer que sur celle-ci dans la transmission à l’auditeur empêché).
Cette ambition de Luxottica de se métamorphoser en acteur majeur de la tech et de la santé témoigne d’une volonté de rester à l’affût.
Déconnecté 📴 : Et si on levait les yeux de nos écrans ?
⌛️ : 1 min 8 sec
Le sujet est de toutes les conversations entre parents. Le Président de la République s’en est lui-même saisi en promettant une régulation prochaine : la place des écrans dans notre société et tout particulièrement auprès des plus jeunes.
Un de mes plus proches amis, Guillaume Combastet, condisciple de Sciences Po, ancien consultant du BCG et reconverti en producteur talentueux à la tête de Wake Up Prod, vient de produire son tout premier documentaire, diffusé sur Public Senat, sur le sujet.
Avec “Et si on levait les yeux? une classe face aux écrans” réalisé par Gilles Vernet, professeur des écoles à la ville, il confronte une classe de CM2 à l’omniprésence des écrans dans leur foyer et leur vie2 (certains élèvent chronomètrent jusqu’à 7 heures de consommation quotidienne), pour mieux en comprendre les mécanismes de cette nouvelle addiction et vrai sujet de santé public.
Le documentaire touche par la naïveté des enfants qui se prêtent à l’exercice, il a la bonne idée d’impliquer également les parents dans le processus de réflexion et met en scène enfin la bonté de Gilles Vernet s’échinant à transmettre le goût de la lecture et du contact avec le dehors, la nature. Différents experts interviennent et viennent apporter leur pierre à l’édifice (notamment le , peut-être celle à une muraille pour protéger l’enfance de ce danger fascinant ?
(Sur le même sujet mais avec une approche radicalement différente Matthieu Stefani parle de l’opportunité business de ce mal de société dans sa newsletter hebdo).
Pour prolonger les débats : je vous invite à écouter le podcast 4h42 qui a été réalisé avec les experts qui interviennent dans le documentaire. Voici le lien vers le podcast de Philippe Bihouix, auteur du Désastre de l’Ecole Numérique où il bat en brèche l’idée que la tech vient améliorer les processus d’apprentissage (on est passé d’éduquer AU numérique à éduquer PAR le numérique).
🌯 Quelques burritos pour la route :
Cette semaine, j’aurais aussi aimé vous parler de :
Comment Google ajoute la capacité de générer des vidéos à son outil d’aide à la performance publicitaire PMax, ou comment le support devient également réalisateur de pub ; Aïe les agences créa.
Instagram qui instaure une place de marché pour mettre en relation les marques et les influenceurs, ou comment le réseau social devient intermédiaire avec les influenceurs ; Aïe les agences médias.
Les constructeurs de TV connectée draguent les PMEs pour faire de la pub directement dans le poste (voir l’article sur Walmart qui rachète Vizio) ; Aïe les diffuseurs TV.
Ad Fontes Media noue un accord avec une plateforme programmatique, The Trade Desk, pour encourager les annonceurs à refaire de la pub sur les sites d’informations de qualité ;
Hugolien 🧔🏼♂️ : Luchini lit encore Victor Hugo
⌛️ : 45 sec
Encore pour “encore Luchini ?” et en même temps pour “Hugo, encore!”
J’ai eu la chance de me procurer des places cette semaine pour aller voir une des dernières lectures de textes choisis de Victor Hugo par Fabrice Luchini au Théâtre des Mathurins.
Comme à chaque fois, le cabotin gratifie son public (grisonnant et conquis) de bons mots, d’anecdotes rigolardes, de mises en garde sur les raclements de gorge et la qualité du silence du public “ce soir-là”, mais comme à chaque fois, il fait chavirer les cœurs en s’appuyant sur les textes du plus grand écrivain français (Gide rajoutait “hélas”).
Dans un parcours relativement chronologique, il déclame les textes évoquant Léopoldine, l’exil à Guernesey, les séances de spiritisme, Demain dès l’aube bien sûr, l’admiration de Proust pour Booz endormi dont la récitation avec cet acteur-là à ce moment-là saisit son public devant la beauté des mots, des rimes, leur cadence et le pouvoir de leur évocation.
Le spectacle est bien sûr complet, mais vous pouvez d’ores et déjà réserver pour la rentrée 2024. A défaut, vous pourrez prendre votre mal en patience avec cette émission de Répliques où deux boomers intellos dénigrent leur époque en célébrant le génie du père Hugo.
Mme de Sévigné dont on attend le biopic avec Karine Viard la semaine prochaine : “
“Comme on ne connaît d'abord les hommes que par les paroles, il faut les croire jusqu'à ce que les actions les détruisent.”
4h42 : c’est le temps qu’un enfant de 10 ans passe en France devant un écran !