Le Wrap Up de la semaine où l'on a pu traîner dehors jusqu'à 23h (semaine du 8 juin 2021)
5 bullet points : média, tech, société avec une pointe de culture
Au sommaire cette semaine :
Cathodique 📺 : le streaming reprend les codes de la TV
Boostés 💊 : le dopage des eSportifs
Pandémiques 💉 : quelles sont les tendances médias post-covid ?
Fluviale 🏝️ : quand Paris comptait 10 îles et deux fleuves
Croqué 🐧 : Xavier Gorce entre raison et dérision
Cathodique 📺 : le streaming reprend les codes de la TV
On a longtemps vanté le décollage initial de Canal Plus “au milieu des années 80” par la mise en place de deux piliers :
le football1 avec la retransmission des grands matchs du championnat de France;
et par le cinéma avec des accords interprofessionnels qui permettaient à Canal Plus d’offrir en contrepartie d’un financement du cinéma français, la 1ère exclusivité en TV de films français avec une chronologie favorable.
En vérité, on oublie souvent que le démarrage a été compliqué, que l’Etat a dû ralentir la pénétration des magnétoscopes japonais dans les foyers français, et surtout d’ajouter le rôle des plages en clair pour montrer l’attractivité et la liberté de ton développés par Alain de Greef et ses équipes, avec les talents les plus en vue de l’époque (Coluche, PPDA, les Nuls, …). De façon plus anecdotique (quoique), la diffusion de porno à la TV française a également permis de faire le buzz.
Cette semaine, Amazon n’a pas eu besoin de relire ses classiques pour miser sur la diffusion du sport pour renforcer l’attractivité de son offre Amazon Prime Vidéo.
La diffusion des matches de Roland Garros en soirée par Amazon, qui faisait là sa 1ère incursion dans le sport hexagonal, a connu un pic avec la diffusion de la demi-finale historique entre Nadal et Djokovic, mais d’après des commentateurs n’auraient rassemblé que 100 000 téléspectateurs par match (toutefois, le chiffre d’un million de visiteurs uniques circule par ailleurs concernant l’audience de la quinzaine sur la plateforme de streaming).
Le Géant de Seattle a plus que doublé la mise cette semaine en prenant Canal+ par surprise, en reprenant les lots que Mediapro avait rendu faute de financement, pour un total de 250 M€ par an, sur les trois prochaines saisons. Amazon diffusera donc pour 5,99€/mois (et 49€ par an) 8 des 10 matches diffusés des journées de championnat de la Ligue 1.
Avant / après la TV payante :
Dans un autre registre, c’est Roku (dont on a déjà parlé ici) qui annonce aux Etats-Unis qu’il allait “introduire des speakerines”, comprendre annoncer les programmes de la plateforme : “The 15-minute show will leverage Roku’s data to highlight the Top 5 titles for viewers to stream that week.”
La justification tient la route : “According to Nielsen data, the average streamer spends more than seven minutes searching for what to watch next” et l’article dépeint l’autre motivation de fond : avec l’intensification de la concurrence, il y a un manque de repère pour le consommateur entre les plates-formes sur les séries disponibles, celles qui le furent et ont été retirés et celles qui devraient prochainement l’être. Roku, très data-driven, mesurera l’utilité de son programme en termes de transformation vers de la consommation effective (et le nombre de spectateurs non consommateurs de TV touchés par ses pubs).
Les plates-formes vont ainsi de plus en plus vers de la scénarisation de leur propre catalogue (comme le populaire top 10 des contenus consommés sur Netflix), à croire que l’algorithme de recommandation seul ne suffit pas et que, comme pour la TV, les streamers chercheraient aussi à consommer les mêmes contenus que les autres… bref à recréer du lien social dans un univers émietté.
🎾 Carton de France 2 avec la finale Djokovic - Tsitsipas avec un pic à 7,7m de téléspectateurs (le match était aussi diffusé sur Amazon Prime Vidéo) lors de la balle de match. Meilleure part d’audience depuis 2008 (36,4%) sur une finale du tournoi.
📆 Pour rencontrer un patron des Sports HEU-REUX, rdv demain soir mardi 15/06 à 18h, avec Laurent Eric Le Lay lors de sa Masterclass devant les professionnels du sport et de médias de l’ESCP Alumni (ouverte à tous).
🙋♀️🙋♂️ Inscription sur le site des Alumni de l’ESCP : ici
Boostés 💊 : le dopage des eSportifs
On parlait la semaine dernière de la place qu’avait prise désormais l’eSport dans l’audience et l’économie mondiale du sport, il apparaît dès lors logique que l’apport massif de financement et son corollaire, la prime à la performance, conduisent à franchir la ligne jaune du dopage pour améliorer les performances des sportifs.
On connaissait déjà les Gaming Houses, véritables usines de préparation à champion de l’eSport, avec coach de préparation physique, massages, cours particuliers (pour ne pas totalement décrocher de l’école), cuisiniers pour s’assurer que les eSports mangent de façon équilibrée et seront au mieux de leur forme pour que l’influx nerveux ou leur agilité soient à leur maximum. Le staffing de ces gaming houses est à l’avenant : sessions de coaching, de debriefing, de méditation pour porter à leur plein potentiel de jeunes gamers dont le sommet de la carrière se situe vers 24 ans en raison notamment des blessures à répétition qui peuvent apparaître pour les stakhanovistes de la manette.
Ainsi, le dopage entre en scène avec les nootropes2 qui dans un “sport” qui privilégie surtout l’habileté et la dextérité des joueurs, visent bien à booster les capacités de concentration sur une longue période. Au-delà de l’habituel Red Bull pour stimuler l’éveil des joueurs, on voit apparaître des produits alimentaires spécifiques pour les gamers, mettant en avant des poudres pour booster les capacités cérébrales des joueurs. Là aussi, la cocaïne, la caféïne, le phosphore pour les capacités cérébrales ont depuis longtemps fait leur preuve pour les sportifs “intellectuels”, mais les produits Ghost ont développé un marketing dédié à cette cible.
Attention cependant aux effets de dépendance : comme le relate satiriquement ce journaliste du magazine US Esquire qui a été missionné pour tester ces produits et qui, satisfait de leur efficacité sur la concentration et l’absence de fatigue, s’est mis à développer une forme d’addiction légère. Palpitations et hypersensibilité à la lumière garanties :
At the time of my writing this, I haven't juiced for three weeks. But I crave the feeling of the white, grainy pebbles of GHOST Gamer dispersing in my bloodstream, like a tiny militia blasting Evanescence's "Wake Me Up Inside" throughout my hollow body. I crave the feeling of transforming like goddamn Goku into a pulsing ball of hellfire after one too many scoops of powder. I crave the feeling of a caffeine high so extreme that I believe that GHOST Gamer's artificial flavoring has triggered my metamorphosis into a monstrous, human-Swedish Fish hybrid. I miss you, GHOST Gamer. In my darkest hour, I will turn to you once again.
Pandémiées 💉 : quelles sont les tendances médias post-covid?
Bien que la situation vaccinale et économique ne soit pas vraiment similaire entre la France et les Etats-Unis (12 Etats américains ont des taux de vaccination 2ème vaccination au delà de 70% de la population), il est intéressant de voir les anticipations de tendances (ici Brian Morissey dans sa newsletter The Rebooting) dans le secteur des médias au sortir de la crise :
le retour des événements live : Vivatech la semaine prochaine est l’un des premiers grands salons à reprendre en présentiel et le besoin fondamental d’interactions sociales des humains saura également rééquilibrer la vie télétravaillée des derniers mois avec les formes hybrides. L’événementiel étant autant une occasion de rencontrer des pairs que d’apprendre des nouvelles choses en conférence. Fiabilité : 4/5 ;
L’âge de la pénurie : visiblement aux Etats-Unis, une vague de syndicalisation est à l’oeuvre dans les médias, où des syndicats apparaissent (the Atlantic serait le dernier du nom et avant lui l’équipe tech du NY Times), laissant augurer - à vérifier - un rééquilibrage du capital vers le travail. Fiabilité : 1/5
La consolidation est en marche : on en parlait ces dernières semaines, de nombreuses annonces de rapprochement ont été faites et ce ne sont probablement pas les dernières. D’une part, la place prise par le divertissement digital oblige à concentrer ses moyens et mettre en place des synergies là où on pensait précédemment que c’était impossible, d’autre part, la pandémie va offrir quelques cibles mal en point mais dont les fondamentaux ne sont pas mauvais. Fiabilité : 5/5
La renaissance de l’Ad Network : dans l’esprit de l’auteur, la programmatique aurait clairement dû avoir la peau des Ad Networks, en permettant de mettre en place un ciblage personnalisé au gré de la navigation individuelle des internautes ciblés par les annonceurs, cependant la fin du cookie amorcée par Google, Facebook et Apple et les réglementations type RGPD ont remis au goût du jour ces agrégats d’audience et facilitateurs de commercialisation. L’univers atomicisé des podcasts pourrait également en être une bonne illustration. Fiabilité : 4/5 ;
Les premiers pas des crypto médias : rien en vue, mais l’auteur suggère que les médias ont commencé à y travailler :
Right now, there is little to show for how crypto can change the media business. That will start to change in the back half of the year. Just yesterday, TCG announced it was bringing on former Washington Post exec and prolific crypto/Phish enthusiast Jarrod Dicker to focus on opportunities in blockchain and the creator economy. IAC’s Joey Levin indicated it would look to crypto opportunities, seeing the space as very analogous to the early internet.
Fiabilité : 3/5
A noter toujours dans la newsletter The Rebooting, cette réflexion intéressante sur l’obsession des médias pour l’abonnement avec cette remarque qui met en exergue l’email comme dernier bastion que les GAFA n’ont pas dynamité au détriment des éditeurs de presse et de médias (hormis le fait de filtrer les newsletters dans des onglets Promotion ou Spam de Gmail…). La fête touche à sa fin : Apple s’apprêterait à empêcher les “accusés de lecture” dans sa messagerie native sur Mac et iPhone, rendant ainsi impossible les statistiques d’usage et donc la connaissance consommateur pour l’éditeur sur ses abonnés… Rien ne leur sera épargné.
Fluviale 🏝️ : quand Paris comptait 10 îles et deux fleuves
Passionnant thread sur twitter sur l’histoire fluviale de Paris qui nous apprend deux faits marquants (merci Jérôme) :
1) La Bièvre a longtemps coulé en surfance dans Paris et particulièrement dans le lit de la Seine, puisque cette dernière arrivait de Bercy et empruntait un parcours qui passait bien plus au nord que son itinéraire actuel, sur les Grands Boulevards (qui ont été successivement bras mort du fleuve, une enceinte royale, un égout à ciel ouvert avant d’être le Cours qui donnera naissance à l’axe de transports Bastille- République - Grands Boulevards - Bd des Italiens jusqu’à Alma).
Fascinant de voir comment cette trace fluviale a durablement marqué la topographie et la toponymie parisienne (le Marais était donc bel et bien un … marais lorsqu’il était coincé entre la Bièvre et la Seine).
2) Paris au gré de son urbanisation a colonisé ses îles qui n’ont pas toujours été habités : longtemps elles ont servi de pâturages pour les vaches ou de lieu d’exécution pour les Juifs et les Templiers… On arrive à en identifier une dizaine dont notamment une sur laquelle repose aujourd’hui la Tour Eiffel !
Elles furent progressivement regroupées pour donner les ilots que l’on connaît aujourd’hui. De belles illustrations à la clef, piochées dans différents documents d’époque.
So What ?
il est fascinant de voir l’impact de la topographie et de l’hydrométrie sur la construction des villes et finalement sur les activités humaines. Autre exemple encore plus frappant les dépôts sédimentaires du Crétacée et leur influence sur les élections américaines (attention cependant selon l’adage : “corrélation n’est pas causalité”)
Croqué 🐧 : Xavier Gorce entre raison et dérision
C’est l’histoire d’un dessinateur de presse, Xavier Gorce, qui officie depuis de nombreuses années au Monde, toujours affublé du titre de “quotidien de référence”.
C’est aussi l’histoire d’une époque devenue épidermique sur les questions de société, de moeurs, avec de très bonnes raisons et des moins bonnes, souvent sous influence du du wokisme américain.
Quand ledit quotidien qui a validé un dessin dudit dessinateur décide unilatéralement de présenter ses excuses aux dizaines (et non milliers) lettres de protestation et à la bronca de certains réseaux d’influence sur twitter, le dessinateur Xavier Gorce décide que le pacte de confiance est rompu et quitte son emploi.
Le “tract” qu’il publie chez Gallimard intitulé Raison et Dérision, est l’occasion de revenir sur cet épisode, intervenu au moment du scandale Olivier Duhamel, alors président de la Fondation des Sciences Politiques, et du livre de Camille Kouchner la Grande Familia qui le révéla, sans régler ses comptes mais en essayant d’alerter sur les dérives politico-culturelles de notre époque.
Il y a 35 ans, l'affiche FC Nantes - AS Monaco était le tout premier match de football diffusé par Canal+. Créée cinq jours plus tôt, la chaîne cryptée frappait à nouveau le 9 novembre 1984 en proposant la diffusion des grandes affiches du championnat de France à ses abonnés. (source)
Les nootropes (du grec ancien νόος, nóos « psyché, esprit » et du suffixe -trope, de τρόπος, tropos « tour, direction, orientation ») sont des médicaments, plantes, compléments alimentaires et substances diverses possédant une action de modulation de la physiologie et de la psychologie impliquant une augmentation cognitive et qui ne présentent pas ou relativement peu d'effets nocifs sur la santé à dose standard. (wikipedia)
Très intéressante piste sur le "top 10" de Netflix que de penser qu'on cherche à reconstruire la culture collective qui manque cruellement à ces temps de visionnage fragmenté et délinéarisé... J'ai l'habitude de plaindre sur mon blog les jeunes générations, de ne pas avoir ce socle commun auquel nous enchaînait 3 chaînes (et vite 4, puis 5 et 6) et pas d'écran complémentaire... Je n'y avais pas pensé !