Le Wrap Up de la semaine où l'expression dôme de chaleur est rentrée dans notre vocabulaire (semaine du 28/06/2021)
5 bullet points media, tech, société avec une pointe de culture
Au sommaire cette semaine dans l’actualité média tech :
Stretchées 🤸♀️ : la guerre des plates-formes sur la durée des vidéos
Appontée 🚁 : les consoles testent de la pub TV
Atermoyé ⏱️ : Google repousse la suppression du cookie tiers
Cohésif 👩🎓 : l’enseignement en ligne à l’ère “d’après-le-contenu”?
Peinturluré 👨🎨 : le documentaire “Tim’s Vermeer”
Stretchées 🤸♀️ : la guerre des plates-formes sur la durée des vidéos
C’est une affaire entendue : notre temps d’attention avec le rapetissement de nos écrans baisse toujours davantage (les dernières recherches font état d’un temps d’attention sur les vidéos de 8 secondes!).
Le snacking de vidéos (dite short-form) par opposition aux formats traditionnels de la vidéo a été le fait majeur de consommation médias après la naissance de Youtube en 2005. Aussi, il n’était pas surprenant que les nouveaux venues (Snap, Instagram, TikTok) aient cherché à toujours raccourcir davantage leurs formats, mixant à la fois de la vidéo courte et du scroll1 pour accroître l’effet zapping (et les shoots de dopamine qui vont avec)2 par rapport à un acteur “installé” comme Youtube.
Ce qui est encore plus intéressant à étudier est l’extension du domaine de la lutte : comment ces plates-formes une fois installées sur un créneau “temporaire” cherchent à aller chasser sur les terres d’acteurs existants souvent avec du contenu plus long3 :
d’une part pour favoriser l’engagement des utilisateurs (et incidemment une meilleure mémorisation publicitaire, du fait d’une meilleure concentration de l’utilisateur sur le contenu);
et d’autre part pour élargir l’offre de contenus à d’autres genres ne souffrant pas une diffusion de quelques secondes.
Les plates-formes disposent également d’autres leviers qu’on pourrait creuser :
la fonctionnalité du direct ;
le social à travers le commentaire ou l’interaction avec le producteur de contenus;
les modules d’interactivité permettant une interaction de masse (par exemple les sondages, quizzes ou d’autres formes de contribution …);
mais aussi de jouer sur la qualité de visionnage (la réception 4K) ou le fait de pouvoir consommer son contenu en étant déconnecté, ainsi que vient de le faire Youtube en proposant un abonnement à 20 $ par mois pour débloquer ces deux fonctionnalités.
Mais revenons à la durée : TikTok a ouvert cette semaine les hostilités en portant la limite de 60 secondes à 3 minutes pour la durée de ses vidéos. C’est un événement important dans la bataille de l’attention puisque cela va permettre à la plateforme :
de diffuser des clips vidéos : précédemment, Tiktok en popularisant les musiques renvoyaient massivement des utilisateurs vers Youtube et Spotify (cf. les tops Tiktok qui avaient fleuri sur les plates-formes de streaming musical), ainsi elle va pouvoir garder cette audience sur son écosystème;
de diffuser des bandes-annonces de films ou de séries et jouer comme un puissant apporteur de trafic vers des plates-formes de streaming vidéo. Publicitairement, TikTok ouvre les vannes pour les budgets Netflix, Disney+ et consorts ;
d’élargir la créativité de sa communauté et ainsi de pouvoir aller chercher des cibles démographiques moins attirés par les formats ultra-courts d’origine;
mettre fin à l’épouvantable expérience de la sérialisation des vidéos sur Tiktok (le fameux “Abonnez vous pour voir la 3ème partie de cette vidéo”);
enfin d’accepter des publicités plus longues : avec l’allongement des vidéos, l’acceptabilité pour des formats longs publicitaires va s’en trouver augmenter.
Autre annonce concomitante : la volonté d’Instagram d’assumer l’évolution de son modèle initial et de rompre avec son origine photographique. La plateforme vient de s’autoriser à diffuser des vidéos en plein écran sur votre mur de photos (y compris de comptes que vous ne suivez pas) et fait au 2nd semestre 2021 des créateurs, des vidéos, du shopping et de la messagerie ses nouvelles priorités.
"We’re no longer a photo-sharing app or a square photo-sharing app,” declared Adam Mosseri, head of Instagram. “Video is driving an immense amount of growth for all of the online platforms now, and I think it's something we need to lean into more. Right now we’re focused on four key areas: Creators, Video, Shopping and Messaging.”
Si l’on prend un pas de recul, ces différents mouvements rejoignent une tendance que nous observions déjà depuis un moment sur la convergence de toutes les plates-formes sociales. Tant pis pour les particularismes de chacune d’elles, tant mieux pour les fans de concurrence qui voient arriver sur leur plateforme préférée ce qui se fait de mieux ailleurs. En outre, on fera remarquer qu’il sera ainsi plus facile d’imposer l’inter-opérabilité des plates-formes comme remède aux entorses au droit de la concurrence une fois qu’elles auront toutes le même mode de fonctionnement.
Appontée 🚁 : les consoles testent de la pub TV
Cela devait bien finir par arriver : avec les audiences massives que génèrent les jeux vidéos sur console et la construction progressive d’un espace commun virtuel à travers les métaverses, le format publicitaire roi, à savoir celui de la publicité TV4, arrive sur les consoles (les publicités vidéo étaient déjà bien présentes sur les jeux sur mobile).
PlayerWON, régie spécialisée dans la pub in-game, veut proposer aux grands annonceurs de faire de la publicité auprès des segments de la population les plus jeunes (et les moins consommateurs de TV) en leur diffusant directement des spots made in TV. Electronic Arts et Tencent n’auraient pas dit non pour introduire ces éléments dans leurs jeux, et Unilever (Dollard Shave Club) et des organismes de crédit à la consommation font partie des premiers à tester.
Bien sûr, il est à craindre que les joueurs concernés voient d’un mauvais oeil ce format intrusif dans une expérience immersive forte. La carotte ? le déblocage de certaines armes ou armures au sein de leur jeu préféré contre le visionnage d’une séquence de 15 ou 30 secondes de pub. Pour vraiment faire en sorte que le gamer se laisse convaincre, le visionnage serait (pour l’instant?) facultatif.
Les analystes financiers de Morgan Stanley ont estimé en 2020 que le marché de la “publicité rétribuée sur console” pourrait atteindre près de 2 milliards de dollars, avec une hypothèse médiane : 45% des gamers accepteraient la proposition.
Atermoyé ⏱️ : Google repousse la suppression du cookie tiers
Alors que l’industrie publicitaire digitale s’apprêtait à vivre un hiver nucléaire, Google a annoncé repousser de deux ans la fin des cookies tiers pour “mieux anticiper les changements à venir”.
Les éditeurs et sans doute une partie des annonceurs soucieux de ne pas être monodépendants du point de vue de leur budget marketing/communication, soufflent mais restent inquiets.
Le dépôt de cookie tiers permet de tracker le parcours des internautes sur la toile et offre la possibilité à un éditeur de site vivant de la publicité de mieux connaître son visiteur et d’ainsi mieux le vendre à un annonceur intéressé. Pour l’annonceur, c’était une bonne mesure de la performance de ses budgets publicitaires digitaux.
La suppression annoncée par Google des cookies tiers dans Chrome (60% de parts de marché en France) avait fait l’effet d’une bombe tant elle semblait jouer sur la duplicité de la firme de Mountain View qui disait d’un côté défendre le droit à la vie privée des internautes (très RGPD compatible) tout en se ménageant d’autre part avec son écosystème Android+Youtube+Google Search+Maps+Gmail une base de données sur les internautes inégalable -sans parler de l’interconnexion avec ses outils de prise de commandes publicitaires déjà largement utilisés par les annonceurs et leur agence (Google Ads).
Certaines sociétés (Implict ou Captify) dans l’anticipation de ce switch-over tentent d’évangéliser le marché sur les solutions alternatives au cookie (notamment l’approche statistique) malgré une certaine myopie persistante de la plupart des acteurs. Ces premiers espérant tirer partie de cette opportunité de marché, en sont remis à attendre le basculement énoncé par Google quand les menaces de procès pour abus de position dominante seront sans doute moins pressantes.
Cohésif 👩🎓 : dans l’enseignement en ligne, l’expérience partagée détrône le contenu?
Wes KAO est la fondatrice de la startup Maven qui est derrière plusieurs succès remarquables dans le domaine de l’éducation en ligne de ces dernières années (Tiago Forte, David Perrell, notre Scott Galloway).
Elle a publié une note sur le média du fonds A16Z, Future, défendant la nouvelle génération d’edtechs, en particulier pour souligner à quel point ces nouvelles start-ups avaient cessé de se battre sur le front du contenu, pour se concentrer sur celui des méthodes d’apprentissage en ligne et plus précisément celui qui s’appuie sur l’expérience collective, ce qu’elle appelle le cohort-based courses (CBC).
We’re in a post-content age. It used to be that original educational content was scarce: a decade ago, such content was a major selling point for universities and accelerators. Today, however, educational content is cheap and abundant on YouTube, in newsletters, on blogs, and on social media.
L’enseignement par cohorte permettrait de davantage responsabiliser les élèves, de leur faire nouer des relations d’entraide, de co-apprentissage et enfin de leur donner un sentiment d’appartenance. (Commentaire tout personnel : on réinvente un peu la roue par rapport à l’enseignement classique mais passons… )
This gap between the grand promise of online education and its results has led to the rise of cohort-based courses (CBCs), interactive online courses where a group of students advances through the material together — in “cohorts” — with hands-on, feedback-based learning at the core. The key difference between this phase of online ed and the MOOCs in the past decade? They are engaging and real-time, not just self-paced, and involve community-driven, active learning, as opposed to solo, passive content consumption.
L’approche exprimée par Wes KAO est certes très biaisée, car elle sert précisément le propos de sa startup. Mais elle parlera à la floraison d’infopreneurs que nous avons vus émerger un peu partout depuis quelques années, très vite rejointe par de véritables arnaqueurs qui vendent la fortune future contre espèces sonnantes et trébuchantes à des internautes un peu trop crédules. La réputation des enseignants (ou des institutions qui les hébergent) devenant dès lors l’un des critères clés du choix de la formation en ligne (mais qu’est-ce que désormais que la réputation de quelqu’un ?5).
Méga-fusion sur les platesformes éducatives universitaires
Sur ce registre de la réputation des institutions, on notera, relatée par Mehdi Cornilliet, la méga-fusion pour 800 M$ dans le domaine de la digitalisation des institutions universitaires traditionnelles entre les plates-formes 2U et EdX (qui avait un statut associatif et réunissait entre autres, les prestigieuses universités d’Harvard et du MIT).
La combinaison de 2U et edX fait de la nouvelle entité un partenaire privilégie de 39 des 50 premières universités mondiales du classement d’US News. Si Harvard, le MIT ou Berkeley travaillaient d’ores et déjà avec les deux, 2U accède désormais à la NUS, l’Imperial College, Cornell, Princeton ou encore… La Sorbonne…
Peinturluré 👨🎨 : le documentaire “Tim’s Vermeer”
C’est l’histoire d’un spécialiste de l’image de synthèse qui a monté plusieurs sociétés dans ce domaine, qui en a revendu quelques unes, a fait fortune et s’ennuie. Tim JENISON est obsédé par le peintre flamand Johannes Vermeer et sa pate unique pour reproduire la lumière dans les intérieurs bourgeois de la Hollande du Siècle d’Or.
Il émet alors l’hypothèse saugrenue que Vermeer n’aurait pas été ce talent hors norme encensé mais que notre grand homme aurait été aussi un génie du dispositif recourant à des dispositifs optiques comme la chambre obscure (camera obscura) pour réussir à rendre aussi onctueuse la lumière de la domesticité (ou du “petit pan de mur jaune”6).
Le millionnaire texan va alors entreprend le pari d’égaler le maître dans le détail et les jeux de lumière en reproduisant la Leçon de Musique à l’aide d’outils optiques dont David Hockney reconnaîtra que ce sont probablement les mêmes dont Vermeer a dû se servir à l’époque (JENISTON ira jusqu’à répliquer l’intérieur de la maisonnée dans son entrepôt industriel avec les accessoires de l’époque).
Le film sorti en 2013 fut critiqué pour ne s’attacher qu’à l’aspect purement mécanique de l’oeuvre sans s’attacher à la sensibilité que le maître flamand a insufflé dans ses tableaux ainsi qu’aux scènes de genre qu’il a malicieusement imaginées.
Au delà de ces arguties pointilleuses, le film est divertissant et permet de mieux comprendre des notions optiques un peu ardues rendues tellement plus accessibles à travers l’art de Vermeer.
Défilement du mur de contenus (notre pouce parcourrait ainsi quotidiennement 80 mètres de hauteur!)
Qui se rappelle des premiers succès de Vine, la plateforme vidéo de Twitter dont les vidéos étaient limitées à 6 secondes et qui a manqué la marche de cette “diversification temporelle” pour devenir un acteur vidéo de premier plan ?
Youtube permet depuis 2017 d’uploader des contenus vidéos qui font plus de 15 minutes
Notion discutable mais avec la meilleure mémorisation à l’exception du cinéma et un des meilleurs ROI marketing, ça ne doit pas être loin de la vérité.
Sur ce sujet de notre culture commune et de nos référentiels à l’ère du digital, il faut lire l’absolument fascinante présentation sur la culture du “meme” sur internet produit par Jenny, sur laquelle nous reviendrons probablement la semaine prochaine (si vous n’avez pas le temps ou l’envie de le lire), merci de la découverte Marie Dollé
pour reprendre l’expression que Proust met dans la bouche du critique d’art Bergotte.