Le Wrap Up de la semaine où les Talibans ont repris Kaboul (semaine du 16 août 2021)
Quelques bullet points media tech avec une pointe de culture
Terrible spectacle, 19 ans après le début de l’intervention américaine en Afghanistan pour y traquer les groupes terroristes affiliés à Al-Qaida et Oussama Ben Laden, que le retrait précipité des troupes américaines et la remise en place avec la violence qu’on leur connaît de la Charia dans la capitale afghane. Je ne rajouterais pas au coeur des Cassandres qui découvrent le 16 août que le pouvoir des talibans est une terrible régression, mais tout de même quel aveu d’échecs pour la première armée du monde.
A croire que depuis les Anglais au XIXème (deux guerres contre l’Afghanistan), les Russes en 1978 et les Américains en 2002, il était écrit que les velléités des nations européennes de mettre au pas le pays se fracasseraient dans la passe de Khyber…
Au sommaire de notre Wrap Up Light de la semaine :
Contrit 🙇 : The Correspondent, un projet de journalisme digital qui est allé dans le mur - quelques enseignements
Distillés 🌯 : quelques burritos pour la route
Collectionné 🖼️ : 21 rue La Boétie d’Anne Sinclair
Contrit 🙇 : un projet de journalisme digital qui est allé dans le mur
C’est un des lieux communs du management de l’innovation : ne jamais tomber amoureux de sa première idée et ne pas s’en tenir à son premier business plan1 .
Dans un rare exercice d’autocritique, le NiemanLab qui est une mine d’or pour l’observation de l’évolution du journalisme digital, donne la parole aux protagonistes du projet The Correspondant.
L’idée initiale, pitchée par les Européens, était d’apporter, à l’appui de la rédaction néerlandaise de De Correspondent, un journalisme de qualité en ligne aux Etats-Unis (sous les slogans “Unbreak the News”2 et de l’astucieux : “global but in English”), un peu dans la même veine que la déclinaison de la BBC aux Etats-Unis.
The Correspondent devait se localiser à New York et recruter des éminences du journalisme US pour appuyer sa démarche qualitative. Fort d’une levée de 2,6M$ sur ce pitch, le projet est lancé en 2019… et sera fermé en décembre 2020 après deux années d’errance.
Jay ROSEN qui était l’une des cautions sérieuses du projet et les autres parties prenantes reviennent sur le péché originel du projet et les quelques enseignements à en tirer :
le projet initial était centré autour du pitch de corriger le journalisme US et de motiver des mécènes pour financer ce projet, cependant le succès initial de la campagne de levée de fonds encouragea les porteurs du projet à ne pas donner d’exemples concrets du type de journalisme qu’ils pourraient produire pour ne pas “démotiver” les donateurs (une façon de dire que chacun y voyait ce qu’il voulait) :
And I think the reasoning — he can correct me if I’m wrong — I think the reasoning was, if you get people excited about the principles of The Correspondent, they will each imagine it in their different way in the shape of the journalism they want to see, and this will cause them to become members. Now, inevitably, when you move from the stage of the campaign, where you’re exciting people about the possibilities of The Correspondent, to the stage where you actually have to start publishing, some of those people are going to drop out because it doesn’t turn out to be what they thought it was.
L’impossibilité d’un journalisme global : même si les citoyens de plusieurs nations peuvent partager des sujets de préoccupation communs, c’est une gageure de se dire global sans point d’attache particulier
I think the whole idea of global journalism is problematic and perhaps mislaid because there really isn’t such a thing as global citizenship… I think The Correspondent underestimated the difficulty of transforming its principles into practice at that level.
la petitesse de la levée de fonds : avec une levée initiale de 2.5M$ cela signifiait viser 5-6 journalistes aux US, ce qui s’éloignait quelque peu de l’ambition de “Unbreak the News”… L’info coûte cher, on le savait et l’info de qualité coûte encore plus chère…
Le seul média à ne pas avoir bénéficié du COVID : alors que c’était par essence une problématique “globale”, The Correspondent a vu les premiers abonnements survenir à l’occasion du COVID car les abonnés voulaient a contrario mais logiquement, une information qui pourrait les aider à voir de quelle façon le virus allait affecter leur quotidien…
Une bonne structure de fondation pour lancer le projet : l’idée était de couvrir les coûts d’installation de The Correspondant via des fonds de fondation pour le développement des médias et qu’ensuite les frais de fonctionnement soient couverts par les abonnements (de fait, près de 1,8M$ d’abonnement furent pris pour soutenir le titre, avec l’écueil prévisible de la première année pour voir si le titre était au niveau des attentes. Avec toujours une réticence des fondateurs de ne pas trop solliciter leurs financiers pour ne pas montrer leurs difficultés :
My sense is they were way more willing to help than we were willing to ask for help.
Evidemment, la volonté de redresser l’information ne s’est pas attiré les bonnes grâces de la part de leurs confrères de la presse institutionnelle, et a provoqué un bad buzz dès le lancement (en particulier une polémique sur la localisation de la rédaction de The Correspondant qui n’était pas celle annoncée initialement, et qui a donné le flanc à la critique sur la fiabilité de l’information de The Correspondant).
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Distillés 🌯 : quelques burritos pour la route
La poursuite de cette “édition d’été light” me contraint à vous livrer brut quelques informations pertinentes de la semaine passée, bientôt le retour normal de nos programmes.
Une série de tweets de Chris Dixon, un des piliers du fonds d’investissement A16Z au sujet de la blockchain et de ses applications programmables pour en souligner toute l’importance : the new computing frontier !
Dixon avec un sens de l’emphase qui le caractérise, décrit les nouveaux projets qui tournent autour de la blockchain comme les futures apps3 et prédit que les applications qui connaîtront les plus grands succès ne sont pas encore connus.
La stratégie d’Amazon dans le retail physique a été largement éventée la semaine dernière avec la révélation du Wall Street Journal ($) : la firme de Seattle prévoit d’ouvrir des “grands magasins” légèrement plus petits que la norme (environ 3000 m2) où seront proposés à proximité d’entrepôts Amazon, des showrooms pour les vêtements, les appareils électriques domestiques, visiblement deux catégories où la barrière de la dématérialisation est encore haute. Par ailleurs, le commerce physique, au delà de tous les services Amazon reliés que l’on peut imaginer, a l’avantage d’offrir un délai de livraison encore plus rapide que le 1-hour delivery...
Amazon executives have felt that bricks-and-mortar stores would enable better engagement with customers and provide a showcase for its devices and other products to shoppers who otherwise might not have tried them, a person familiar with the matter said. The company has sought to innovate in bricks and mortar while building a network of stores that could glean insightful customer data and provide new shopping experiences.
L’article ignore si la technologie Amazon Go de paiement sans caisse serait déployée dans ces magasins.
HBO Max teste l’idée de faire des recommandations de contenus sur sa plateforme de streaming, en fonction de votre … signe astrologique.
On a sans doute là franchi une nouvelle étape du profilage des consommateurs, mais je serais vraiment très curieux de voir si cet algorithme de recommandation a plus de succès que ceux qui reposent disons sur les comportements passés, les look-alikes âge-sexe-localisation-CSP, ou la communauté d’appartenance (on avait parlé de la segmentation marketing communautaire de Netflix à ce sujet).
Pour aller plus loin, je propose de demander à un chimpanzé de faire des recommandations de programmes (cela avait bien fonctionné pour la performance d’un portefeuille financier, pourquoi pas les programmes de prédilection d’utilisateurs).
Sur le front de la régulation de la Big Tech, il semblerait que la première mesure concrète de l’administration Biden en la matière serait une initiative bipartisane prise par les Chambres contre le monopole des stores : Apple (et Google dans une moindre mesure) pourrait faire les frais d’une Apple Store Law.
Les utilisateurs pourraient bientôt pouvoir télécharger des apps depuis d’autres stores, les vendeurs d’abonnement pourraient de leur côté pouvoir librement rediriger le consommateur vers son propre site pour souscrire un abonnement, sans passer par les fourches caudines d’Apple.
De son côté, Apple fait valoir que cela diminuerait la simplicité de gestion de ses abonnements et achats, et que cela mettrait en péril la confidentialité des données de “ses” utilisateurs.
Collectionné 🖼️ : 21 rue La Boétie d’Anne Sinclair
Nouvelle lecture d’été : une intéressante incursion d’Anne Sinclair sur les traces de son grand père, Paul Rosenberg, immense marchand d’art de la première moitié du XXème siècle, qui sera pendant une longue période, le galeriste exclusif de Picasso avant la Seconde Guerre Mondiale;
Il fera également la promotion de Matisse, Braque ou Juan Gris, ainsi que plus tard Fernand Léger et Marie Laurencin (celle de la chanson oui), au milieu des impressionnistes que l’époque commençait à apprécier (Van Gogh, Cézanne, Corot, Pissaro) qui servaient en quelque sorte de “produits d’appel” pour sa belle et grande galerie du 21 rue La Boétie.
Il sera méticuleusement spolié dès le début de l’occupation allemande, dans sa réserve de Paris et de Floirac où il sera réfugié pendant la Drôle de Guerre, y compris pour tout ce qu’il avait pris soin de mettre en lieu sûr dans le coffre d’une future grande banque française.
Déchu de sa nationalité, en dépit de sa participation à la Première Guerre Mondiale , il n’aura de cesse à la Libération, de vouloir réclamer les tableaux inestimables desquels il aura été spolié. Ayant passé la guerre à New York, il poursuivra après 45, l’aventure américaine de sa galerie.
La journaliste mène un travail d’enquête sur la personnalité et le parcours de son grand-père mêlant souvenirs personnels et accès aux archives, et en particulier à la correspondance de Paul Rosenberg. Cette richesse documentaire souligne à quel point il vécut à une époque où l’on s’écrivait encore. Que restera-t-il à part la sécheresse de nos e-mails pour les historiens et la peinture psychologique de notre époque ?
Le livre est intéressant, et souligne le flair et l’oeil incomparable de Rosenberg pour faire connaître l’Ecole de Paris dans le monde entier. C’était aussi une époque où les galeristes étaient de véritables marchands d’art, prenant leur risque pour faire connaître un artiste en lui achetant des toiles et gagnant leur vie en se faisant fort de les revendre à un meilleur prix, une époque presque révolue : aujourd’hui les galeristes qui jouissent en grande partie, des mêmes prérogatives que les anciens en conservant l’exclusivité sur des artistes avec lesquels ils ne font que partager le succès des ventes.
On regrettera le manque d’ambition du livre, là où dans le même genre, un Daniel Mendelsohn avec les Disparus avait réussi à faire tournoyer avec une poésie évocatrice puissante, son histoire personnelle avec la reconstitution historique des traces laissées par sa famille disparue.
Pour en savoir plus lire les travaux d’Alexander Osterwalder sur ces points
qu’on pourrait traduire pour reproduire le jeu de mots : “défracasser les infos” ?
des DAO (decentralized apps organizations), des social tokens, qui sont à la fidélisation à un service / un site ce qu’étaient les monnaies locales à l’économie de proximité, une façon d’être récompensé et d’être engagé dans sa consommation, les réseaux sociaux blockchain (vous seriez récompensés à la hauteur de votre contribution / engagement à la plateforme), des métaverses reposant sur la crypto (voir le concept de “Play to Earn” que nous mentionnions sur Axie Infinity)