Le Wrap Up de la semaine où les licornes françaises ont bondi (semaine du 10 janvier 2022)
5 bullet points sur les médias, la tech, les NFTs avec une pointe culturelle à la fin
Cette semaine, trois entreprises hexagonales Qonto, Backmarket et Ankorstore ont revendiqué le statut de licorne avec des levées de fonds record, laissant bien peu de places à la petite levée de 55 M€ de l’acteur de logiciel Saas de commercialisation, Sellsy…
Au sommaire de la semaine :
Surpris 🙀 : Google aurait trompé ses clients publishers et annonceurs ?
Série Prédictions 2022 🔮: 2/4 - Olivier Ezratty
Enrichi 💰 : le Web3 se concentre…
Décillé 🎭 : Tiktok devient sérieux
Comparés 🗿 : Rodin-Picasso deux sculpteurs qui cherchent (et trouvent)
Surpris 🙀 : Google aurait trompé ses clients publishers et annonceurs ?
Google et le marché publicitaire, épisode 692 : cette semaine le Wall Street Journal nous apprenait que des procureurs américains allaient porter plainte contre Google pour tromperie et dissimulation.
Il y a dans cette accusation un air de déjà-vu, sans doute normal quand on s’est hissé à une position duopolistique comme Google avec Facebook sur le marché de la publicité digitale.
Fondamentalement, les deux géants, avec des nuances, sont vus comme juges et parties car ils vendent le produit et en proposent la mesure interne (non audité par des tiers, même si les méthodes de comptabilisation sont elles-mêmes auditées par le MRC depuis 2017).
La nouveauté de cette plainte tient au fait que Google aurait mis un point une certaine distorsion dans le rendu des prix aux éditeurs et aux annonceurs, minimisant les revenus pour les uns et gonflant les prix pour les autres, et empochant la différence.
C’est tout l’inconvénient de présenter un système d’enchères dont la beauté du modèle réside dans le fait de laisser la main invisible du marché trouver le prix d’équilibre…
Le même papier appuie les accusations de collusion entre Google et Facebook, selon lesquelles Facebook avait signé un volume deal avec Google pour s’assurer de remporter un pourcentage déterminé d’enchères auprès de Google (pour la promotion de ses propres produits) en violation du principe des enchères.
According to the lawsuit, Facebook’s chief operating officer, Sheryl Sandberg, was “explicit that ‘this is a big deal strategically’” in a 2018 email thread about the deal that included Facebook’s CEO.
En 2022, je voudrais dépasser avec le Wrap up les 1 000 abonnés.
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Série Prédictions 2022 🔮: 2/4 - Olivier Ezratty
Photo by Arthur Ogleznev on Unsplash
Chaque année, le consultant Olivier Ezratty se lâche et donne libre cours à son imagination sur l’année qui s’ouvre, en se gardant de céder aux banalités (l’IA dans les entreprises), en qualifiant de bullshit tous les termes à la mode (l’informatique quantique, le Web3 va tout bouffer - voir plus bas) et en profite au passage pour régler ses comptes avec les choses qui l’énervent.
Cela donne un long papier des plus divertissants sur différentes notions en pleine effervescence sur la scène tech, en vrac :
les cryptomonnaies seraient un scam
Le sous-jacent politique des cryptomonnaies est libertarien si ce n’est anarchiste. Il consiste à créer un système indépendant des États et sans monopole… Il veut remplacer des systèmes démocratiques imparfaits par une anarchie sans règles ni contrôles…
Il est probable que de nouvelles niches de cryptomonnaies émergeront deci-delà mais sans impact majeur sur l’économie et vous continuerez longtemps de régler vos achats en ligne avec votre carte de débit classique.
les NFTs inutiles mais à surveiller si beaucoup de personnes se mettaient à leur attribuer de la valeur
Si un objet numérique est facilement copiable, le couple objet numérique et NFT ne le serait pas. Mais à quoi bon être le propriétaire en titre d’un objet qui serait toujours facilement copiable, comme une photo ? Comme l’indique fort bien Yuval Harari dans Sapiens, la monnaie est une fiction sur laquelle la société table pour faciliter les échanges commerciaux. Les NFT constituent des fictions encore plus fictionnesques… On se consolera en rappelant que la valeur des choses correspond au prix que les gens sont prêts à payer pour les obtenir, même s’ils achètent du vent sans s’en rendre compte.
les Métaverses : rien de nouveau, car les casques de réalité virtuelle sont encore impropres à une consommation prolongée
Cela ressemble surtout à une bulle spéculative parfaitement orchestrée… ce marché va certainement continuer de grandir, surtout dans les jeux vidéo, mais pas dans ces proportions extravagantes (800 milliards de dollars de revenus en 2024 selon Bloomberg)
Le Web3 : “L’utopie de la décentralisation est donc de retour.”
Comme le Web3, c’est aussi du bullshit en barre, direction Stephen Diehl et son bel opus Web3 is Bullshit ! C’est surtout une énorme usine à gaz qui rend tout plus compliqué, plus lent et plus énergivore pour faire des choses très simples comme transférer un simple fichier (via FileCoin). Elle sert surtout à rebrander les actifs en Blockchains et crypto-assets.
Au delà de ces piques d’humeur, Ezratty se fit à un autre indicateur infaillible : pour détecter la pénétration réelle de ces nouvelles tendances (et finalement de leur succès potentiel), il observe leur adoption par … sa belle famille.
En chemin il s’attaque aux fake news qu’il tentent de démonter sérieusement (les puces 5G dans les vaccins), on apprend quelques fun facts au passage : les tailles des transistors actuels sont plutôt situées entre 5 à 10 nm… Les processeurs de smartphone actuels comprennent entre 5 et 15 milliards de transistors 🙀
L’intelligence artificielle :
J’entrevois un grand potentiel encore non exploité dans les innovations logicielles exploitant les outils de traitement du langage (NLP, GPT, etc)
En plus appétissant, des experts de Sony prévoient que l’IA va voir des cas d’usage en gastronomie, comme pour optimiser les saveurs ou l’équilibre nutritif des préparations, surtout pour les professionnels. Mais le grand public est probablement preneur d’outils dans le domaine.
Tendance 2022 : J’invente au passage un nouveau terme : le néganultracrépidarianisme qui consisterait à assumer de ne rien savoir sur tout ou presque, hors de sa spécialité… comme le dit très bien Etienne Klein, pour savoir que l’on est incompétent, il faut être compétent.
Enrichi 💰 : le Web3 se concentre…
Dans le prolongement des remarques incrédules d’Olivier Ezratty, Scott Galloway s’attache aussi à démonter certaines thèses du Web3. Faut-il voir dans cette montée des « intellectuels » et spécialistes de ces questions, la preuve que le sujet devient sérieux ?
First they ignore you, then they laugh at you, then they fight you, then you win. (Gandhi)
Toujours est-il que Scott Galloway qui fait quelques prédictions pour les NFTs en 2022, veut nuancer la hype autour du Web3, notamment le fallacieux mythe de la décentralisation :
The advertised decentralization of power out of the hands of a few has, in fact, been a re-centralization of power into the hands of fewer. The top 9% of accounts hold 80% of the $41B market value of NFTs on the Ethereum blockchain. The practice of “whitelisting” keeps the bulk of NFT profits within a tight circle of insiders. Bitcoin is even more centralized: The top 2% of accounts own 95% of the $800 billion supply of Bitcoin, and 0.1% of Bitcoin miners are responsible for half of all mining output. If it were a country, Bitcoin would have the greatest inequality in the world.
Pour montrer l’évolution des choses, il souligne aussi que quand Ethereum s’est lancé il y a 7 ans, les connaisseurs en contrôlaient 15%. Mais les récents projets développés sur la plateforme laissent plutôt entendre que ce pourcentage est monté à 30% - 40%, certains montants même à la classique répartition 80/20 entre les insiders et le public, typique d’une introduction en bourse d’une société de la tech.
Quant à la promesse de l’inclusion que porterait en elle le Web3, on n’en est actuellement extrêmement loin :
Every member of Forbes’s 2021 cryptobillionaires list is a man. A third of them attended Stanford or Harvard. Out of the 12 listed, only one isn’t white. The web3 narrative feels like a Ted-X talk given to a survivalist group.
Il indique, à juste titre, que le potentiel d’établir des rentes de marché est précisément ce que les fonds d’investissement recherchent et financent, et à en juger par l’afflux d’argent actuellement dans les entreprises du Web3, les OpenSea (et sa commission de 2.5% sur chaque transaction) ou Coinbase (qui n’a pas oublié d’instituer une double classe d’actions dont celles des dirigeants et des fonds détiennent 20x les droits de vote du grand public) seraient de bonnes illustrations de cette tartufferie, répondant cependant par là à un besoin humain fondamental : faire simple.
The truth is, people don’t want to run their own servers, and they don’t want to have to write code every time they buy a loaf of bread, so “centralized” services will inevitably arise to make web3 actually work for regular people…
Avec une analogie toute américaine, il rappelle que l’Ouest Sauvage était précisément décentralisé, mais que les pionniers ont rapidement eu recours à des Shérifs et à des protocoles centralisés (c’est à dire des lois). Pour tenter de cerner le problème : les arnarques et les vols en crypto auraient atteint 14 milliards de dollars en 20211…
Enfin concernant les DAO (pour decentralized autonomous organizations), qui sont des communautés auto-régulées unis autour des différents projets où chaque voix compterait, les quelques structures qui ont émergé ont déjà d’après lui, des soucis de représentativité. On en revient à des fondamentaux de philosophie politique :
Leadership, expertise, and accountability improve outcomes, vs. shallow decisions on long-term issues, subject to the biases and heuristics of what Kahneman describes as our System 1 thinking. What’s been positioned as a bug (the friction of centralization) is the feature — it forces us to present evidence and argument to other fiduciaries, grind away, and craft better solutions. It’s frustrating, expensive, and (mostly) works less poorly than any system of its kind.
Pour finir sur une touche d’optimisme (après avoir tout de même réhabilité le concept de centralisation des pouvoirs) :
There is likely great potential in blockchain technology, tokens, and smart contracts, and much of this innovation will be enduring. DAOs offer the potential to modernize organizational and corporate governance, a cornerstone of American capitalism that is still largely misunderstood by the public. NFTs offer the potential for creators to be better compensated for their work… However, like most “revolutionary” technologies, they will ultimately prove evolutionary, changing lives in ways that are meaningful, but likely less dramatic than envisioned. This is the great truth of technological progress: It’s always more boring than we expect.
Décillé 🎭 : Tiktok devient sérieux
La colonne de The Economist, Schumpeter, qui traite comme son nom l’indique d’innovation, se penche sur la redoutable efficacité de l’algorithme de Tik Tok, pilier de son succès à retenir les utilisateurs pendant des heures sur son app (App Annie qui fait autorité dans les datas concernant les apps mobiles, indiquait qu’en termes de temps passé, TikTok avait rattrapé Facebook en 2021 et dépassé WhatsApp et Instagram).
Tiktok en se concentrant sur une seule fonctionnalité (le visionnage de vidéos) et en limitant les interactions avec les proches (pas de pollution avec le dernier plat cuisiné ou la photo du petit cousin), peut ainsi se concentrer sur ce que l’utilisateur consomme le plus en termes de vidéos divertissantes, et peut in fine se concentrer sur l’amélioration permanente des performances du feed.
Cependant, la monétisation a été jusqu’à présent nettement en deçà de sa nouvelle part d’audience, la raison probablement à des annonceurs effrayés ces derniers mois par les menaces trumpiennes, mais trois indicateurs montrent que la machine à cash est en marche :
la publicité : en proposant aux marques d’être encore plus parties prenantes des contenus consommés, TikTok peut automatiser le placement produit et le marketing d’influence à travers les challenges et les hasghtags sponsorisés, et attirer ainsi de grosses enveloppes d’investissement;
l’ecommerce : son partenariat avec Shopify est susceptible de faire rentrer nombre de commerces indépendants, de TPE-PME “dans la danse”. Son application-soeur DouYin qui sévit en Chine où la part du commerce indépendant est bien plus grande, lui permettra d’apprendre rapidement;
l’économie de la création : les 7 plus grandes stars de TikTok auraient totalisé 56 m$ en 2021 (un doublement par rapport à 2020). Pour aller plus loin, TikTok a récemment introduit la possibilité de rémunérer directement les stars du réseau avec des cadeaux ou des pourboires, encourageant davantage la création de contenus exclusifs et les volumes sur lesquels Tiktok perçoit des commissions (là encore un usage importé de Chine).
Cependant, ces voies de monétisation ne serviront à rien si l’application frôle à nouveau la mort. Pour contrecarrer toute menace américaine de démantèlement, la société s’est éloignée de sa maison mère ByteDance en se relocalisant à Singapour, perçue comme plus neutre et a nommé à sa tête un Singapourien d’origine chinoise ayant effectué une partie de sa carrière « à l’Ouest ».
Sans négliger ses propres challenges d’auto-régulation (l’addiction aux écrans, la protection de l’enfance et la protection des données personnelles), l’application n’a pas souffert des lancements de Reels d’Instagram ou des Shorts de Youtube, signe que l’application est en bonne voie pour une place de premier rang dans la compétition mondiale des réseaux sociaux.
Comparés 🗿 : Rodin-Picasso deux sculpteurs qui cherchent (et trouvent)
A défaut d’avoir pu voir Eva Jospin au Musée de la Chasse et de la Nature (il faut désormais systématiquement réserver les jours d’avant pour quasiment toutes les expositions parisiennes), nous nous sommes “rabattus” sur le Musée Picasso où se donnait la belle exposition comparative entre Rodin et Picasso (une symétrie ingénieuse a été mise en place avec le Musée Rodin qui accueillait jusqu’à début janvier une exposition Picasso - Rodin).
L’avantage des 70 000 oeuvres produites par Picasso c’est que pour un artiste aussi prolixe les sources d’inspiration ont été nombreuses et variées, ce qui donne autant de prétexte à toutes les séries d’expositions croisées qu’on peut imaginer : Picasso - Millet, Picasso - Cézanne, Picasso et les Maîtres de la Renaissance, Picasso - Giacometti (dans le même musée), ad libitum…
Ce que l’exposition s’efforce de démontrer à travers une dizaine de sections thématiques c’est une somme d’intentions similaires : ce sont deux chercheurs, qui à travers l’expérimentation en série (les bustes de Clémenceau et les croquis préparatoires de Picasso en offrent une belle illustration), fouillent, défrichent (sans nécessairement finir les oeuvres reprenant le Non Finito de Michel-Ange), testent les limites, jusqu’à définir, malgré une production protéiforme tournée autour de l’innovation, un style personnel.
dans un secteur économique de 240 milliards de dollars en 2021.