Le Wrap Up de la semaine où le GIEC a remis son rapport (semaine du 9 août 2021)
Quelques bullet points media tech de la semaine écoulée
Chers lecteurs,
100 fois sur le métier remettez votre ouvrage, c’est sous l’égide de cet adage de Nicolas Boileau que je continue inlassablement à publier le Wrap Up en ces semaines estivales plus lentes qu’à l’accoutumée, tout au plus je me contente de moins d’articles et de liens que d’ordinaire.
Avant toute chose, en lien avec le titre de ce billet, je vous conseille de lire le rapport synthétique du GIEC (la version courte en 42 pages), histoire d’aller à la source et de vous faire votre propre opinion. Si le concours de pétanque ou l’appel de la baignade est trop fort, La seconde c’est de vous abonner au compte Bon Pote qui en a fait une bonne synthèse, le compte instagram se veut volontiers alarmiste, mais il explique aussi pourquoi il y a lieu de l’être, de quoi réfléchir avant de monter dans l’avion pour la Grèce ou de reprendre de la côté de boeuf au BBQ.
Au sommaire du Wrap Up Light de la semaine :
Séparé 💔 : le digital signe-t’il la fin de l’espace commun ?
Empaquetés 🌯 : quelques burritos pour la route
Revisité 🗽 : Civilizations de Laurent BINET
Séparé 💔 : le digital signe-t’il la fin de l’espace commun ?
Je suis tombé sur deux articles cette semaine qui de façon bien différente, m’ont semblé aller dans le même sens : la tendance au repli individuel à l’aune des réseaux sociaux.
On avait déjà eu des prémices de ce phénomène avec les bulles de filtre qui avec la part croissante des réseaux sociaux dans notre information quotidienne, nous maintenait dans un environnement fermé, où nous étions exposés à des informations qui étaient susceptibles de conforter nos croyances et nos opinions politiques.
Ici les deux articles prennent des points de départ différents :
L’interview de Libération de l’anthropologue Fanny Parise traite de la question des métaverses et de la possibilité dans un futur proche que ces espaces représentent notre nouvelle réalité. Le jeu vidéo et le télétravail nous font déjà entrevoir ce que pourront être ces espaces où nous passerons une part croissance de notre temps éveillé. Ce qui inquiète le plus la sociologue, c’est que ces espaces sont gérés par des entreprises privées, avec cette interrogation digne de Libération sur la finalité poursuivie : la tentation ne sera-t’elle pas trop forte pour ces entreprises qu’en contrôlant notre espace et nos relations et nos interactions, elles pourront aisément façonner notre conception du monde.
En effet, le problème du métaverse, c’est qu’il nous immerge dans un univers visuel qui nous empêche de prendre de la distance. Pour les entreprises, en fonction de ce qu’elles créent, ça sera plus facile de nous faire adhérer à des modèles de société, des modèles politiques… Qui nous dit que l’univers sera construit selon des raisonnements éthiques ? Et pas des partenariats commerciaux ? Ce qui est intéressant, c’est que l’histoire se répète après la création d’Internet. Avant, on avait l’idée que ça serait un espace de liberté, dans lequel on pourrait créer des nouvelles manières d’interagir. Maintenant, c’est devenu un endroit où la vie physique et commerciale se reproduit. On n’invente rien.
L’autre article vient de Vox Media est encore plus dérangeant, car il ne suppute pas notre prochaine réalité, mais part de nos comportements actuels sur les réseaux sociaux et de l’insensibilisation progressive que notre usage de ces plates-formes créerait.
Multiple studies have suggested that digital technology is shortening our attention spans and making us more distracted. What if it’s also making us less empathetic, less prone to ethical action? What if it’s degrading our capacity for moral attention — the capacity to notice the morally salient features of a given situation so that we can respond appropriately?
D’après l’article, cette histoire d’attention à l’autre est une vieille antienne philosophique (voir chez Pierre Hadot : chez les Stoïciens, la prosoché - l’attention à l’autre est l’attitude spirituelle fondamentale). Mais c’est surtout Simone Weil (l’autre) qui l’a remise au goût du jour en posant l’attention à l’autre la première étape vers une conduite éthique :
Weil argued that plain old attention — the kind you use when reading novels, say, or birdwatching — is a precondition for moral attention, which is a precondition for empathy, which is a precondition for ethical action.
Les plates-formes sociales de leur côté, encourageraient la rivalité mimétique1 et l’article de citer une pléiade d’articles qui viennent corroborer notre perte d’attention (une vérité aussi bien établie à présent que la responsabilité de l’homme dans le réchauffement climatique).
Digital tech doesn’t only erode our attention.It also divides and redirects our attention into separate information ecosystems, so that the news you see is different from, say, the news your grandmother sees. And that has profound effects on what each of us ends up viewing as morally salient.
Il en est de même avec les bulles d’attention déjà évoquées plus hauts. Le plus triste proviendrait des enseignements de Facebook quand il essaie de se corriger de lui-même et de filtrer les fake news : le nombre d’ouvertures de Facebook par utilisateur diminuerait alors…
La façon de résister à cette pente dangereuse, selon l’auteur, consisterait en deux remèdes : la régulation et l’auto-régulation.
Pour la première, l’article semble assez optimiste dans la capacité de résistance de nos démocraties, même si elle doute de la célérité de la réponse …
Pour la seconde, la prise de conscience grandit2 et les incantations à plus de méditation de pleine conscience, de lecture offline y incitent également (Je fais l’impasse sur les apps3 qui elles-mêmes vous apprennent à vous passer des apps
On le voit ainsi avec la virtualisation et l’individualisation de notre environnement quotidien, c’est bien la question des valeurs partagées qui se retrouve posée: dans un environnement où chacun vit dans son couloir, quid de ce qui nous relie, nous unie et qui fait que nous sommes en société.
Pour creuser :
Empaquetés 🌯 : quelques burritos pour la route
Une floppée de nouvelles passées inaperçues la semaine dernière, dont très honnêtement, je n’ai pas vraiment réussi à faire un vrai bullet point. Je vous les livre en vrac pour votre sagacité et votre propre curiosité :
Salesforce investit massivement dans la création de contenus vidéo (Axios) pour ces clients. La plateforme baptisée Salesforce+ propose à ses clients dans leur abonnement existant, des contenus censés les éclairer et les guider dans leurs choix tactiques :
Salesforce has produced 6 original series that will debut at launch. Some programs, like “Leading Through Change” and “The Inflection Point,” highlight work and challenges faced by corporate leaders. Others, like “Boss Talks” and “Simply Put,” will focus on professional growth and building business skills.
Une cinquantaine de professionnels aurait été recrutée pour l’occasion.
On apprit cette semaine qu’Apple dans le cadre du procès qui l’oppose à l’éditeur de jeux, Epic Games au sujet de l’Apple Tax (on en parlait ici), aurait été tenté de simplement racheter son détracteur pour le réduire au silence;
Le DJ allemand @3Lau annonce qu’il va commencer à commercialiser dans les prochaines semaines des NFTs de ses morceaux ouvrant droit à la recette que ces morceaux vont générer, à suivre.
Lionel Messi aurait reçu dans le cadre de son nouveau contrat avec le PSG, des jetons du club (tokens émis sur la plateforme Socios.com), jetons qui ouvrent le droit à leurs détenteurs d’influer sur certaines décisions du club.
L’application Tiktok aurait été au global, davantage téléchargée que l’application Facebook !
Revisité 🗽 : Civilizations de Laurent BINET
Laurent Binet réussit un tour de force avec son uchronie à mi-chemin entre Candide, la Gloire de l’Empire (Jean d’Ormesson) ou encore Baudolino (Umberto Éco). L’hypothèse principale est la suivante : que se serait-il passé si le Nouveau Monde à la suite d’une expédition viking plus méridionale que les autres aux alentours de l’an mil, aurait apporté à certains peuples d’Amérique, le fer, le cheval et ses microbes aussi. Est-ce que cette transmission aurait pu entraîner par la suite, l’échec de l’expédition de Christophe Colomb et par un effet de balancier, aurait provoqué le débarquement dans l’Ancien Monde d’un chef inca déterminé à la tête d’une troupe de 200 guerriers.
Si cette troupe de 200 personnes était tombée sur une Europe divisée et tiraillée entre Valois, Habsbourg, Stuart, Médicis, entre les luthériens, les anabaptistes et les catholiques, les Barbaresques et les Turcs et en avait profité pour se tailler une place de choix en Europe, voire même unifier sous la bannière du dieu Soleil, l’Europe désunie ?
Le livre est rythmé par 4 parties qui sont autant de pastiches : la saga de Freydis Eriksdottir, le journal de bord de Christophe Colomb, les chroniques d’Atahualpa au rythme de ses conquêtes européennes (la partie la plus fournie) où l’on croise El Greco, Laurent de Médicis, Erasme et Thomas More ou encore le conquistador empêché Pizzaro. Le livre se conclue sur les aventures de Cervantès qui relate aux premières loges, la bataille navale historique de Lepante.
Le tour de force est remarquable par la bonne distance et la synthèse qu’il accomplit entre le récit, le détail des situations et les grands mouvements historiques du XVème siècle, au point que par moment on ne sait plus si on est dans le récit historiographie, la fable ou l’amalgame.
On s’ennuie un peu par moments dans cette reconstruction historique imaginaire assez ambitieuse. Emporté peut être un peu par l’ambition de son projet, on sent que Binet qui tente de tenir son rang d’historiographe, s’empêche de trop romancer des événements déjà issus de son imagination fertile. On reste un peu frustré de ne pas pouvoir connaître les conséquences de ces péripéties, en particulier sur notre monde contemporain en fin de compte.
Une théorie développée par le philosophe René Girard
le succès du livre How To Do Nothing de Jenny Odell ou encore Nyr Eyal et son Undistractible (en Français : Imperturbable)