Le Wrap Up de la semaine où la Super League de Football marqua contre son camp (semaine du 19 avril 2021)
5 bullet points médias, tech, société avec une pointe de culture
Plein de choses passionnantes dites ou pensées la semaine dernière, au sommaire du Wrap Up de cette semaine :
Déformée 💎 : Prisma bientôt dans le giron de Vivendi, interview de Rolf Heinz
Dépassés 🚅 : le rdv manqué des médias (français) avec la tech
Distinguée 📜 : la dernière lettre de Bezos aux actionnaires
Trompés 🤖 : les deep fakes entre bon grain et ivraie
Quelques burritos 🌯 pour la route : chiffres Mediapart, HBO Max, Netflix Q1, et Amazon de coiffure,
Déformée 💎 : Prisma bientôt dans le giron de Vivendi, interview de Rolf Heinz
Eric Garault pour Stratégies (c)
Rideau de fin ou nouvelle ère ? l’interview du patron de Prisma Media, Rolf Heinz, est la première depuis que le groupe de presse français, précédemment détenu par Bertlesmann est en passe de prendre le pavillon de Vincent Bolloré (normalement au deuxième trimestre 2021).
Dans l’interview qu’il donne à Stratégies, on apprend que le groupe a enregistré en 2020 un CA de 271 M€ (en baisse de -10% vs. 2019) pour un EBITDA de 45 M€, soit une rentabilité de 17% … La communication sur le seul EBITDA permet peut-être d’offusquer les dépréciations liées à la paume Presstalis, mais le chiffre reste impressionnant; la croissance externe commence à dater avec AdVideum et Groupe Cerise (Oh!MyMag et Gentside) et n’est plus le contributeur de croissance et de résultat, même si ces acquisitions ont contribué à accélérer la mutation du groupe de presse vers un acteur vidéo avec plus de 500 M de vidéos vues par mois (hors Réseaux Sociaux).
Le PDG de Prisma revient sur les raisons du désengagement de Bertelsmann : une volonté de jouer dans la cour des grands sur les métiers à fort potentiel comme la musique, l’édition (de livres avec Penguin RandomHouse), l’e-learning (Udacity) et les services B2B (Arvato) ainsi qu’une volonté de leadership local sur sa zone linguistique d’origine (l’Allemagne).
Sur la question des synergies, certains rapprochements avec les métiers de la musique ou plus basiquement de la cross-promotion est abordée, sans convaincre tout à fait, sans doute là aussi en raison de l’examen en cours des autorités de concurrence. On n’avait pas vu nécessairement les synergies entre précédemment Universal, Canal et Havas être très flagrantes, mais le PDG esquisse l’apport d’un Prisma dans l’Univers Vivendi, comme celui d’une expertise, publicitaire certes, mais également celle du “payant consommateur”.
Chose promie, chose due, je tenais à remercier ici tout particulièrement Pierre de la Touche pour son soutien au Wrap Up à travers la page Tipeee. Pierre est actuellement à la Société Générale aux Pays-Bas et regarde du côté des médias pour son prochain mouvement pro, tant il aime ce secteur fécond et en perpétuel réinvention.
Vous aussi comme Pierre vous pouvez soutenir le Wrap Up :
Distinguée 📜 : la dernière lettre de Bezos aux actionnaires
Jeff Bezos dans une lettre aux envolées lyriques a adressé ses adieux aux actionnaires de la société qu’il a créée il y a 27 ans.
Le thème qu’il y a développé tient autant à la psyché américaine qu’à la réussite éclatante d’Amazon. Sans pour autant verser dans le Bezisme (les externalités négatives générées par notre usage immodéré d’Amazon sont légions et bien documentés, jusqu’à la récente tentative avortée de constituer un syndicat au sein d’un entrepôt), et sans s’apesentir sur le “survival bias” (ce biais cognitif qui consiste à n’être réceptif qu’aux histoires de succès éclatantes, sans tenir compte des nombreuses tentatives infructueuses du même ordre), la réussite de Bezos est incontestable : la société est aujourd’hui valorisée plus de 1 700 milliards de dollars, dépasse les 380Md$ (+37,6% vs. 2019) pour un résultat net de 21 Md$ (+50% vs. 2019).
La newsletter reprend les thèmes habituels de Bezos sur le Day1 (chaque jour est un nouveau défi, comme si c’était le premier jour), le consommateur (toujours l’avoir au coeur des réflexions du groupe), du mantra d’Amazon “d’apporter plus qu’elle ne prend” tant en termes d’écologie ou de conditions de travail des salariés.
Cependant, l’importance de cette dernière lettre tient davantage dans sa conclusion autour du thème du combat contre “l’habitude” et la “normalité” : partant du constat que tout environnement tend à créer une situation d’équilibre, il juge primordial pour les individus dans tous les domaines (personnels, professionnels, sportifs, …), de ne pas se laisser entraîner par cette pente de la normalisation, de résister et de persévérer dans leur distinction, tout en soulignant la difficulté de cet état d’esprit (dans des termes qui feraient sourire Bourdieu) :
Trompés 🤖 : les deep fakes entre bon grain et ivraie
Marie Dollé revient brillamment dans sa newsletter In Bed With Tech sur le phénomène des deep fakes. Vous avez de gré ou de force été exposé cette année à ces altérations de la vérité par l’usage de la technologie. Comme souvent, l’adoption de l’innovation fut d’abord massivement faite par l’industrie pornographique, même si aujourd’hui elle est de fait très minoritaire.
Marie relève avec son travail habituel de fin limier, les applications de deep fakes les plus popularisées (et les plus dingues aussi) :
Reface, financée par le fonds US a16z, est l'exemple le plus emblématique de ce mouvement. Téléchargée plus de 100 millions de fois, elle s'est hissée au sommet des meilleures applications ludiques sur l'App Store et sur Google Play en 2020. Reface permet de morpher votre visage puis de le swapper avec des célébrités afin de l’incruster dans des clips et autres séquences cultes de la télévision ou du cinéma.
Wombo. Avec trois millions de téléchargements sur l'App Store en mars 2021, Wombo permet de synchroniser le mouvement de vos lèvres et, ainsi, de faire chanter n'importe qui à partir d'une simple photo.
Deep Nostalgia de MyHeritage peut, quant à lui, insuffler la vie à partir de n’importe quelle photo. Vous pouvez par exemple l'utiliser pour animer des personnages historiques ou un membre disparu de votre famille. Cool mais un peu creepy, je vous l’accorde.
Avatarify permet de créer des avatars en échangeant votre visage avec une célébrité, le tout doté d’une fonctionnalité gestuelle. Vous pouvez même l'utiliser dans des appels vidéo en direct sur Zoom ou Skype. C'est tout de même mieux que de louer une chèvre pour animer son call, n'est-ce pas ?
Zoomer, de son côté, entend proposer aux étudiants de générer leur propre deepfake afin de les remplacer lors des cours en ligne. No comment.
Au-delà des aspects anecdotiques de ces expérimentations, elle se livre, notamment à l’appui des travaux du Samsung Next que nous avons déjà évoqués ici, à une réflexion sur l’évolution des médias dits synthétiques, ultime stade après :
les “vieux médias” qui diffusaient un contenu limité, de qualité au plus grand nombre (grâce à la technologie broadcast);
les nouveaux médias qui révolutionnent la distribution point à point et abaisse les barrières d’accès à la production de contenus (grâce à l’internet).
Les médias synthétiques permettront eux, au plus grand nombre d’accéder à la création de contenus de qualité par l’intelligence artificielle et la réalité virtuelle. Avec l’abaissement de la frontière entre réalité et virtualité, les avatars seront ces êtres hybrides “ni tout à fait les mêmes que nous, ni tout à fait autres”1 qui peupleront nos contenus médias et tous les champs de notre activité (de l’éducation, au marketing en passant par la chirurgie réparatrice y compris virtuelle).
Bien sûr cette nouvelle donne médias ne fonctionnera que si la confiance est au rendez-vous, la moralité des acteurs tech sera encore davantage un prérequis; évidemment, les écueils sont nombreux et il y aura une vraie course de vitesse entre les acteurs du deepfake et ceux qui voudront les traquer2, avec ce risque ultime : la défiance généralisée, voire l’apathie informationnelle.
Dépassés 🚅 : le rdv manqué des médias avec la tech
Photo Charles Forerunner / Unsplash
Frédéric Filloux (plusieurs fois mentionnés ici) a occupé plusieurs postes de direction dans les médias (Il a dirigé Libération, créé le journal 20 Minutes, travaillé pour le groupe norvégien Schibsted avant de prendre la direction du numérique aux Echos) et a également travaillé comme chercheur à Stanford sur les médias, c’est dire s’il parle d’autorité sur les médias et si son regard critique est informé sur les occasions manquées par les médias pour participer à la révolution de l’information qui s’est déroulée sous leurs yeux inattentifs.
Il revient dans un article sans concession sur les 9 erreurs fondamentales qu’ont commis les médias (principalement français même si les mêmes travers s’observent aussi avec des exceptions, à l’étranger) et qui font que la situation dans laquelle ils se trouvent aujourd’hui semble inextricable :
Le grand bouleversement de la pub : un attachement irréfragable à des modes de commercialisation endogame, de gré à gré avec marges arrières alors que s’installaient partout dans le numérique, les enchères automatisées3, le yield management, l’alignement entre le temps de consommation et les investissements pub et la promesse d’une meilleure mesure de l’efficacité publicitaire;
Le cas des petites annonces : moins pertinent pour les groupes français et encore moins pour les groupes médias non presse, mais une source de déperdition colossale que néanmoins certains acteurs clairvoyants ont embrassé avec un succès éclatant (Springer, Schibsted avec le Bon Coin ou encore Napsters en Afrique du Sud) ;
Un investissement dans la tech insuffisant : une dévalorisation de cette fonction absolument clé, dont Bezos, dont il est question plus haut, démontrera avec éclat l’ineptie en reprenant au Washington Post les méthodes du succès chez Amazon avec la data ;4
Les systèmes de recommandation : encore une impasse nourrie à la croyance idiote que le parcours des lecteurs est de venir picorer un contenu et repartir du site, sans tentative de rétention autre que l’affermage confié à Outbrain. D’après Filloux, “85% de ce qui est regardé sur Netflix vient de son moteur de suggestion”
Le social : on ne referra pas l’histoire des rdv manqués, mais Filloux souligne le succès des Skyblogs pour dire à quel point les médias français sont restés dans une culture verticale sans se rendre compte qu’ils créaient une communauté très forte, sans même évoquer celle de la presse magazine thématique à la Prisma5. L’écueil des forums de lecteurs a effectivement dissuadé plus d’une rédaction de ne pas perdre de temps à réguler cette jungle des opinions, sans voir la valeur de l’engagement qui pouvait s’en dégager.
La curation : les journaux et les magazines passent leur temps à recommander des disques, des expos, des films à voir, mais ils n’auraient pas été capables de recommander le contenu de qualité à lire chez leurs concurrents. Une autre occasion gâchée surtout à la lumière du fait qu’ils passaient inévitablement du temps à lire ce que leurs confrères écrivaient… Il est vrai que du reste que les journaux se livraient une course à l’audience où l’on ne pouvait pas se permettre de faire fuire du trafic chez ses concurrents. Filloux reconnaît lui-même que peu de médias étrangers ont su mettre en oeuvre cette stratégie (tout au plus aurait-elle pu se mettre en oeuvre au sein du groupe présidé par Niel, Berger et Pigasse, avec des machines de guerre comme Le Monde, le Nouvel Obs, Télérama ou encore La Croix);
Les newsletters, l’atomisation des marques médias : la messe n’est pas dite de ce côté là (la monétisation pourra-t’elle représenter un horizon de rentabilité pour les journalistes qui tenteront l’aventure solo?) ; par ailleurs, on ne peut pas dire que les groupes de presse n’ont pas essayé avec les blogs ou les forums; Les groupes TV auront de leur côté plutôt loupé le coche avec les influenceurs et les chaînes Youtube;
La collaboration avec les plateformes : le sujet est complexe et peut-être structurellement antagoniste, mais Filloux dénonce l’attitute de la presse française qui semble avoir retrouvé avec les plates-formes, son réflexe de quémander des aides (cette fois par le truchement des pouvoirs publics qui menacent les plates-formes de taxation en cas d’absence d’accord);
La gestion du talent :
« Trop longtemps des gens médiocres ont été laissés à des postes importants par le fait d’une pullisanimité générale ; trop de journalistes se sont retrouvés à gérer des équipes importantes sans que quiconque se soit soucié de les former pour ça. (Je mets tout au passé par bonté d’âme car le problème persiste largement). »
Quelques burritos 🌯 pour la route :
Le cap des 220 000 abonnés pour Médiapart, les abonnements représentent 98% des revenus, 93 000 nouveaux abonnés, pour un gain net de 48 000 en 2020, une faible externalisation des métiers techniques pour les 118 salariés dont la moitié des journalistes, abonnement pour 11€ par mois (Stratégies $) ;
HBO pourrait lâcher OCS et lancer sa propre chaîne en France (SoftPower);
Signe du départ du glabre Jeff Bezos, Amazon teste le concept d’un salon de coiffure à Londres surtout pour tester la réalité augmentée des colorations à travers des produits sur l’étagère et des écrans qui simulent le rendu capilaire (Techcrunch);
Les paroliers et les compositeurs sont les laissés-pour-compte de la révolution du streaming musical (Variety) alors que le morceau de musique n’a jamais eu autant d’importance ;
Netflix a communiqué sur un recrutement trimestriel d’abonnés en deça des attentes des analystes, certains y ont vu un effet Disney+, Netflix s’en défend et impute cette contreperformance aux recrutements records de l’an passé (Quartz $)
Hastings added that, outside of China, the number of households paying for regular TV peaked at 800 million. Netflix thinks that’s how big its market is, even with Disney and other deep-pocketed companies joining the global streaming party.
Le poème de Paul Verlaine Mon Rêve Familier
selon le principe de Vickrey
A ce sujet, lire le billet de Nicolas Demorand sur le syndicat tech du New York Times: 650 effectifs tech vs. 1600 journalistes du quotidien ! On aime aussi cette phrase : un quotidien de référence, un journal qu’on adore et qu’on déteste à la fois
seule note positive peu relevée : le succès de Marianne2 qui a vécu sa propre vie, avec ses propres moyens, en face du magazine éponyme pendant de belles années.
"Signe du départ du glabre Jeff Bezos, Amazon teste le concept d’un salon de coiffure à Londres". Cette PUNCHLINE 👌