Le Wrap Up de la semaine où Maurice Genevoix a été panthéonisé (semaine du 9 novembre 2020)
5 bullet points de la semaine écoulée : média, tech et société
Maurice Genevoix n’est pas un auteur extrêmement lu. Il a suffi de sa panthéonisation le jour de la commémoration de l’armistice de la Première Guerre Mondiale, pour que les quelques exemplaires poussiéreux de nos librairies click-n-collectées s’arrachent au point d’être en rupture de stock. C’est heureux pour nos libraires, désespérés passagers du radeau de la Méduse, ce serait encore mieux s’il était lu, en particulier le très de circonstance, Ceux de 14 (ici le lien vers Paris Librairies).
Au sommaire cette semaine :
Transformés 👾 : comment la tech transforme les contenus des médias ?
Tidal 🌊 : les valeurs tech boostées par le COVID à l’heure du reflux ?
Synthétiques 🤖 : les deepfakes dans les médias et les leviers pour s’en prémunir
Frappée ₿ : la bonne cryptomonnaie chasse-t-telle la mauvaise ?
Eloquent 🎙️ : les discours du Général de Gaulle lus par les Comédiens français
Transformés 👾 : comment la tech transforme les contenus des médias ?
Matthew Ball est un VC star sur les médias au sein du fonds Makers Fund, il a écrit un long billet de blog sur les médias et la tech que je vous conseille pour vous refaire la rétrospective historique passionnante sur les changements techniques et l’impact sur les modèles économiques des médias.
Il avance que les médias sont en eux-mêmes des technologies et non pas des contenus qui s’expriment à travers des technologies (ex: itunes : téléchargement de musique, spotify : streaming de music, Sirius XM : diffusion de musique par satellite).
La musique mute en fonction des supports
C’est parce que la technologie segmente le type de contenus et le type de business model correspondant que le média serait donc une technologie (bon passons l’épistémologie). A titre d’exemple : on sait désormais que les musiciens et chanteurs ont tendance à produire des chansons plus courtes car les plates-formes de streaming musicale rémunèrent les ayants droit au morceau écouté (au delà de 30 secondes) et non pas à la durée d’écoute. Exit donc les intros, il faut que les morceaux “percutent” rapidement les auditeurs pour l’engager au-delà des 30 secondes et qu’après ils enchaînent sur un autre morceau.
En conséquence, les titres des morceaux raccourcissent aussi : ils augmentent ainsi leurs chances d’être facilement trouvés dans les résultats de recherche ou en recherche vocale sur les enceintes connectées (un véritable SEO de la musique).
Ci-dessous les illustrations graphiques de ces phénomènes :
(Dans la même veine, je ne résiste pas au plaisir de vous citer l’anecdote qui veut que le support CD - les plus jeunes on vous expliquera - ait une longueur maximum de 75 minutes, qui est la durée de la 9ème symphonie de Beethoven, devenant ainsi le mètre-étalon de ce qui fut le premier support numérique musicale).
Plus tard, si Apple porta un coup à la notion d’album en démocratisant considérablement la vente de morceaux à l’unité, Spotify, Apple Music, Deezer et consorts ont révolutionné la rémunération en la rapportant à l’usage et non à l’acte de vente du titre.
Le hit de 2019 Old Town Road de Lil Nas X qui fut numéro 1 pendant 19 semaines consécutives ne dure qu’1 minute 53 secondes !
Les effets de ce phénomène de dataisation de la musique vont plus loin : elles permettent notamment d’accréditer la thèse qui dénonçait l’ostracisme dont était victime la musique noire sur les grandes radios. Le tracking de l’écoute sur Spotify permet de rapidement démontrer le caractère dépassée des indicateurs de vente (plus discriminant socialement) comme indicateur pertinent.
La musique est rarement qualifié de média à part entière. Pourtant elle a plus que le print ou le cinéma ou la TV fait l’objet de mutations technologiques fascinantes qui ont à chaque fois apporté des changements économiques fondamentaux (sans compter l’opportunité de renouvellement de parc avec des consommateurs qui ont dû souvent “racheter” la musique qu’ils avaient déjà sur étagère pour suivre les nouveaux médias) :
La TV n’a cessé de croître sans faire disparaître les couches antérieures
Par la suite, en quelques lignes, Matthew Ball refait l’histoire économique de la TV aux US et de l’énorme création de valeur induite par la diffusion et l’ampleur de ce medium dans les foyers américains :
S’il passe du temps sur le développement de la TV broadcast et par câble qui génère des types de contenu bien différents, c’est aussi pour souligner les spécificités de l’émergente vidéo digitale :
The advent of digital video opened up the technology/business model/content loop yet again. Today, a network can reach consumers without dedicated infrastructure (i.e. the multi-purpose internet versus TV-specific coaxial cable), and so they sell directly and individually. This means exclusives are frequent, content fragmentation is high, and some networks (e.g. Netflix) have many times the customers as another (e.g. Epix).
Similairement à la musique, le contenu TV s’en est trouvé profondément modifié :
sans contraintes publicitaires, plus besoin de format calé sur le temps publicitaire (un 52 minutes, un 28 minutes, …), de cliffhangers torrides pour tenir en haleine le TVspectateur au delà de l’espace pub. Place aux séries feuilletonantes à durée variable (The Mandolorian saison 2 a par exemple des épisodes de 35 minutes et d’autres de 54 minutes !).
Voyons même avec quelle rapidité nous avons adopté ces normes de binge-watching au point que nous ne comprenons plus comment Canal, Disney+ ou Apple+ peuvent diffuser sur un rythme hebdomadaire leurs séries stars; elles cachent aussi sans doute par ce biais, le rachitisme de leur catalogue. Si on pouvait “binger” leurs séries phares, il y a fort à parier qu’on se désabonnerait au bout du premier mois.
[Petit apparté : écoutez les 80 secondes de Nicolas Demorand sur France Inter faire l’éloge de la brièveté, notamment en matière de séries : Soyez courts !]
Dans le streaming vidéo, sans surprise, la rémunération des producteurs se fait aussi à la durée du contenu livré. On s’explique mieux ainsi l’impression “d’épisodes de transition” comme on dit pudiquement dans cet univers.
Dernière partie et source d’étonnement perpétuel : le jeu vidéo
Le raz de marée des jeux vidéo
Voilà donc un secteur média qui a été totalement insensible à la cannibalisation et qui ne cesse de croître en temps et en valeur :
La diversification des business models a, là, également été stupéfiante : des jeux d’arcade simple et répétitif aux jeux sans véritable fin de jeu comme World of Warcraft etc.. rémunérés sur les items achetés par les joueurs, jusqu’au modèle de Roblox dont le principe est de vous permettre de construire votre propre jeu à partir des briques de Roblox, ce qui appliqué à la taille de marché de ces jeux casuals, donne des ordres de grandeur délirants :
The results of Roblox’s innovative approach to game creation have been profound: More than 50 million games have been made on Roblox Studio, of which 5,000 have had more than one million plays, and more than 20 have had more than one billion plays. The Roblox top game, Adopt Me, had more than 1.6 million concurrent players in April. In total, Roblox counts more than two million developers, of which 345,000 generate income.
Retour aux studios
Le VC conclut sa rétrospective d’ensemble par l’audio et les développements récents sur l’audio avec un focus particulier sur les podcasts, les concerts. Le trait commun de l’audio est, d’après l’auteur, sa relative stabilité dans le temps en termes de format. Les durées et les titres des chansons sont des épiphénomènes, la musique n’a pas connu de transformation majeure de son produit : toujours (et depuis les temps immémoriaux) des gens qui chantent et qui font vibrer des cordes.
Les podcasts sont un succès notamment via leur distribution par syndication RSS mais c’est aussi leur écueil : peu de voie de retour, ni de statistiques d’usage (même si des solutions existent)… Peut-être que les tentatives de “privatisation des podcasts” à travers la politique agressive de rachats d’un Spotify est un préalable pour voir ce genre inventer des formes nouvelles d’expression (à ce sujet et doucher les plus enthousiastes, seulement 5% de l’écoute des podcasts serait des fictions “radiophoniques”) ou d'’innovation plus marquée. Cependant les niveaux de consommation sont déjà tellement hauts, qu’on a peine à imaginer qu’ils portent plus loin cette consommation.
Le concert quant à lui connaît des limitations physiques bien comprises qui rendent sa croissance limitée (sa capacité à scaler dit l’auteur), alors même que les expériences lives ont tendance à être les formes les plus valorisées de divertissement et de média (les plus intenses, les plus spontanées; même lorsqu’une émission de divertissement comme Vendredi Tout est Permis est diffusée en direct, l’audience est significativement plus importante). Ces expériences immersives ou tout simplement événementielles ne génèrent pas cependant dans la musique la plus grosse partie des revenus, seulement un quart des revenus musicaux (et un 1/5ème des revenus audio).
Si l’on se livre à une petite comparaison avec le sport professionnel, le concert musical est sévèrement défavorisé :
Les concerts virtuels vont peut-être être une alternative, bien que l’expérience soit sans commune mesure; on voit pourtant passer des chiffres records (le groupe de K-pop BTS aurait vendu 993 000 billets pour ses prochains concerts virtuels).
On a déjà parlé du nombre astronomique de spectacteurs pour les concerts donnés sur Fortenite (28 millions live pour Travis Scott en avril dernier !), mais effectivement à une époque où les concerts in situ ont disparu, est-ce que l’expérience des “concerts à la maison” ne va pas être revue à la hausse ?
Les spectateurs de spectacle live pourraient demain voter pour la chanson suivante, jouer collectivement avec les lumières de scène (un peu à la façon des briquets / lumières de téléphone dans la foule), voire interagir avec les artistes avec des picture in picture “sur scène”, les virtual goods remplaçant le traditionnel merchandising. Les retransmissions dans un univers immersif à la Fortnite ont une saveur expériencielle un peu plus forte, et on pourrait aisément imaginer des capteurs de mouvement pour reproduire dans la plateforme de jeu, un jeu de scène IRL.
▶️ Lire le long billet de Matthew Ball
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Tidal 🌊 : les valeurs boostées par le covid à l’heure du reflux ?
De même que le Covid avait retourné les marchés financiers, il fut intéressant la semaine passée de voir un léger inversement de tendances sur les marchés financiers. Reflux des actions saccagées par la crise sanitaire (transports, hôtellerie, médias tradis, …) et baisse des chéries du confinement : Zoom, Peloton et même Amazon. Par extension, est-ce à dire que les startups qui travaillaient sur le Future of [je vous laisse compléter] vont déchanter ? Les startups qui ont levés tous azimuts pendant la crise (voire infographie du JDD ici) appuyés par les montants des plans de relance, vont-elles à présent éprouver quelques difficultés ?
Techcrunch ($) pense que :
les dépenses en logiciel des entreprises vont ralentir (le grand basculement vers le tout distantiel n’aura pas lieu)
les dépenses de confort des ménages vont baisser (finis les machines à pain ou les altères)
le boom de l’e-éducation va décélérer (back to school)
Léger ralentissement aussi à prévoir du côté des fintechs et de l’e-commerce ( (même si un pli sans tout de même pris, la croissance sera moins vigoureuse, pour l’ecommerce : la fin d’année approche à grands pas tout de même)
▶️ Lire la réaction à chaud de Techcrunch sur le rebond des marchés financiers post-annonce de Pfizer
Synthétiques 🤖 : les deepfakes dans les médias et les leviers pour s’en prémunir
Un des premiers films des Frères Lumières, la Bataille de Boule de Neiges en 1886, a été recolorisé et retravaillé grâce à une IA: les comparaisons ici.
C’est entendu, l’Intelligence Artificielle (que Luc Julia voudrait que nous appelions plutôt Intelligence Augmentée) dans les médias a beaucoup d’aspects positifs pour les médias :
créer à la volée, des vidéos didactiques;
éditer la piste audio d’un podcast enregistré;
fournir des voix synthétiques pour les studios de jeux;
créer un coach synthétique pour votre session de sport quotidienne;
créer des sets de données simulés en médecine pour entraîner des IA à analyser les IRMs de personnes cancéreuses;
flouter avec des visages d’acteurs, des témoins vulnérables dans un reportage (comme dans celui sur la persécution des LGBTQ en Tchétchénie sur HBO Welcome to Chechnya).
Mais c’est aux aspects litigieux que s’attaque à la structure d’investissement de Samsung, Samsung Next : le principal reproche est la capacité grâce à l’IA de tromper le public en général et en particulier des groupes crédules ou inflammables à des fins d’influence, d’extortion ou de mise en cause public. On le voit avec la prolifération des deepfakes, y compris à des fins ludiques.
Depuis 2017, les vidéos “altérées” ont été vues à la hauteur de près de 6 milliards de fois sur Youtube!
Une des premières applications est comme souvent, celle de la pornographie : le revenge porn (fait d’utiliser l’image de son ex dans des vidéos porno), voire encore plus choquant et plus massif : recréer des vidéos de sexe non consenti mais sans êtres humains réellement impliquées, donc soit disant moins répréhensibles (cf. cet article de Vice le bien nommé décrit le phénomène, l’Etat de Virginie le non moins bien nommée a criminalisé la diffusion et le relai de telle vidéo).
"A key trend we identified is the prominence of non-consensual deepfake pornography, which accounted for 96% of the total deepfake videos online," The State of Deepfakes, by Deeptrace
Cependant, ce sont bien les deepfakes politiques et économiques qui sont les plus craints compte tenu de leurs implications à grande échelle.
Nous serions ainsi à la veille d’une crise majeure de la crédibilité de l’information : alors que les institutions (DARPA, Google et Facebook en tête) sont à pied d’oeuvre pour mettre au point les technologies de détection, les pirates du deepfake seraient 100 fois plus nombreux. C’est pourquoi ce “solutionnisme technologique” (Evgeny Morozov) n’est pas la seule réponse :
L’algorithme ne sera pas la seule réponse à l’algorithme, l’éducation sera en jeu (depuis 2016, les jeunes Finlandais ont des cours de détection de deepfake au lycée);
Mais aussi la collaboration entre les médias et la tech : le projet Origin -BBC et Microsoft- et la Deep Trust Alliance visent à authentifier les contenus certifiés);
Enfin, l’autocensure sera également une possible source de limitation de cette prolifération : la startup Reface qui nous régale de ces vidéos de nos amis sur des clips ou des extraits de films célèbres, restreint l’usage de sa technologie à des extraits connus.
▶️ Lire l’analyse de Samsung Next sur l’éthique de l’IA
Frappée ₿: la bonne cryptomonnaie chasse-t-elle la mauvaise ?
Vous vous êtes déjà peut-être frottés à la blockchain et autres bitcoins. Mais si, comme moi, une petite révision s’impose, je vous recommande le podcast de Fabien Roques, Anti-Brouillard, déjà souvent cité ici et qui s’attache à décrypter, démystifier la tech. Il a interviewé cette semaine passée Owen SIMONIN, aka Hasheur, youtubeur qui évangélise depuis longtemps sur les cryptomonnaies.
Cette interview vous permettra, entre autres, d’apprendre :
que la crypto n’est pas plus criminogène que le dollar (et ainsi contredire notre ministre de l’économie);
que la traçabilité des cryptomonnaies nous garantirait justement que du crypto-argent sale le reste pour l’éternité et se démonétise en conséquence;
le B-A-BA pour devenir mineur de crypto-monnaies.
▶️ Pour écouter le podcast Anti-Brouillard avec Owen Simonnin
▶️ Pour aller plus loin : lire les notes du guru de la tech, Naval RAVIKANT, sur les cryptomonnaies
Eloquent 🎙️: les discours du Général de Gaulle lus par les Comédiens français
Commémoration oblige, je vous recommande rapidement (Substack me tape sur les doigts), certains des discours et des mémoires du Général de Gaulle lus par Bruno Raffaelli, sociétaire honoraire de la Comédie-Française.
▶️ Visionner cette vidéo sur le site de la BNF
Super synthèse de la note de Matthew Ball qui écrit aussi pour The Economist ;-)