Le Wrap Up de la semaine où le Bélarus a arraisonné un avion commercial européen (semaine du 24 mai 2021)
5 bullet points : média, tech, société avec une pointe de culture
Certains faits vous frappent plus que d’autres. Je ne connais pas particulièrement la situation politique du Belarus1 au delà de ce qu’on en entend dans les médias, mais l’arraisonnement par des moyens militaires d’un avion de Ryan Air entre la Grèce et la Lituanie par le Gouvernement Belarus, en prétextant une menace terroriste du Hamas pour arrêter un opposant de second rang, Roman Protassevitch, au président dictatorial Loukachenko, a révulsé les citoyens européens.
On peut se réjouir de l’heureuse coïncidence qui a placé un sommet européen le lendemain de l’arrestation et provoqué ainsi une réaction rapide et salutaire, mais dont on peut douter de l’efficacité à moyen terme. La pétition d’intellectuels français est ici pour en savoir plus.
Au sommaire cette semaine :
Amusée 🎥 : Amazon rachète la Metro Goldwyn Mayer
Opposées ⚔️ : les récriminations sur le rapprochement TF1 - M6
Non-régulés 👩⚖️ : quel cadre juridique pour les métaverses ?
Comptés 🔫 : les réseaux sociaux de l’US Army, combien de divisions ?
Renaissant 🧐 : Le Corps et l’Âme au Quattrocento
Amusée 🎥 : Amazon rachète la Metro Goldwyn Mayer
Confirmation cette semaine de la rumeur qui enflait la semaine dernière sur l’acquisition du studio MGM par Amazon pour 8,45 Md$, soit sa seconde acquisition la plus importante depuis les supermarchés Whole Foods (13,7 Md$).
Cette acquisition pourrait bien marquer un tournant dans la stratégie que les géants de la tech ont adopté jusqu’à présent : les services de streaming d’Amazon, d’Apple ou même de Netflix étaient jusqu’à présent plutôt acquéreurs des contenus desdits studios.
Amazon a dévoilé l’ambition à l’aune de cette acquisition :
“We can reimagine and redevelop that IP for the 21st century. The work would be fun and people who love stories will be the big beneficiaries.” Jeff Bezos
Le prix payé dépasse de loin - de l’ordre de 40%- les offres des concurrents et s’expliquerait par :
par la puissance financière d’Amazon (une simple dilution indolore de l’ordre de 1% de la capitalisation boursière du second groupe le plus valorisée au monde);
le gain de talents, de franchises et de catalogue (Amazon dépense actuellement 11 Md$ en contenu par an en augmentation de 40% vs. 2020) avec des succès divers et variés et la MGM avec ses 4 000 films, 40 000 heures de programmes et 17 000 épisodes de TV2 est une prise appréciable pour gagner et du temps et de l’argent, et avoir l’accès à des franchises réutilisables (voir sur les groupes de divertissement le Wrap Up de la semaine dernière sur les franchises : le love building que permettent les grandes franchises) ;
la finalité du contenu qui est d’alimenter la machine à fidélisation d’Amazon qui avec 175 M d’abonnés Prime qui consomment le contenu d’Amazon Prime Video, ont une dépense moyenne sur Amazon de près de 3 000 dollars par an, soit plus du double que les consommateurs habituels d’Amazon ! Cet élément est suffisant à justifier, encore une fois, que le contenu vidéo est un formidable facteur d’attraction et de rétention du consommateur mais n’en fait pas pour autant un business viable stand-alone, ce qu’en d’autres termes on pourrait énoncer par ce théorème : le média est une caractéristique (a feature), pas le produit final !
Opposées ⚔️ : les récriminations sur le rapprochement TF1 - M6
Tout d’abord un erratum (“pan sur le bec” dirait le Canard) déjà publié sur la page de l’édition de la semaine dernière mais pas envoyé à vous lecteurs du Wrap Up. Donc merci à notre lecteur attentif HappyHip (à l’identité mystérieuse, avec lequel/laquelle je ne peux donc pas profiter de la réouverture des terrasses en lui payant une bière).
Merci à elle/lui d’avoir souligné que le 90% mentionné dans l’article de l’édition passée était le taux de distribution de dividendes sur les cash flows libres et donc une fois les investissements du nouvel ensemble réalisés. Ainsi, les capacités d’investissement du nouvel ensemble devraient donc bien être supérieures aux 46 M€ mentionnés initialement.
Pour donner une idée, en 2020, les deux groupes avaient investi, hors dépenses courantes, 360 M€ (respectivement 320 M€ pour TF1 et 40 M€ pour M6) ce qui ne les avaient pas empêché de dégager 366 M€ de free cash flows (respectivement 160 et 206 M€).
Au-delà de cette correction, la semaine dernière a continué d’être une belle semaine de prise de position au sujet de ce rapprochement, chacun y est allé de son couplet, bien que chaque intervenant jure la main sur le coeur qu’il ne s’oppose pas à la fusion en tant que telle :
Les annonceurs par la bouche de Jean-Luc Chetrit de l’Union des Marques dans Petit Web, ont commencé à élever la voix pour prévenir qu’ils ne voulaient avoir en TV ce qui leur était imposé dans la pub digitale avec Google (constat intéressant au passage) :
“Si cet accord se fait, nous aboutirons à une situation où le nouveau groupe fixera le prix de manière unilatérale, comme quand Google annonce une hausse unilatérale de 2%.”
Molotov aux prises avec M6 et TF1 s’inquiète de son côté, de l’effet du nouvel groupe sur la distribution de chaînes sur Europe 1:
“Attention aux effets de bord que cela peut engendrer pour demain dans la publicité, la production ou la distribution, et plus généralement pour la pluralité d'expression et la pluralité d'exploitation”
Côté producteurs, ce rapprochement “est une déflagration pour toute l'industrie dans les différents genres" (fiction, animation, documentaire comme émissions dites de flux), déclare à l'AFP Stéphane Le Bars, délégué général de l’USPA; le SPECT est légèrement plus pondéré :
"Cela pourrait créer une dynamique, encore faut-il nous le prouver", réagit auprès de l'AFP, son président Jérôme Caza, tout en mettant le projecteur sur les programmes de flux :
"Si TF1/M6 décidait de produire uniquement en interne toutes les émissions de flux, pour lesquelles il n'existe pas de régulation, nous n'aurions plus que nos yeux pour pleurer".
Une allusion à peine voilée aux capacités de production dont les deux groupes pourront se prévaloir entre Newen pour TF1 et les filiales de C Prod, Studio 89, W9 Productions ou encore SND.
Même si Philippe Bailly de NPA Conseil rappelle dans le Point, que les changements introduits par un récent décret sur les SMAD3 devraient considérablement réhausser les obligations pesant sur les plates-formes de SVOD en termes de production française (par exemple : entre 150 et 200 M€ par an uniquement pour Netflix), et ainsi améliorer le sort des plus gros producteurs.
Enfin les éditeurs digitaux ne sont pas en reste avec le Journal du Net (propriété du Figaro) qui pointe malicieusement que TF1+M6 sera aussi un acteur important sinon dominant dans l’édition avec la combinaison des sites du groupe Unify et ceux du groupe M6 (à travers ses acquisitions de Cyréalis et d’Oxygem, ou de Czar dans l’influence marketing).
En associant leurs audiences web, les deux groupes sont en mesure de se hisser dans le top 5 du web hexagonal, derrière les intouchables Google, Facebook et Microsoft, mais en faisant jeu égal avec Le Figaro-Ccm Benchmark (éditeur du JDN).
On le voit au-delà de la dimension purement TV, les aspects production, publicité, distribution ou encore édition digitale vont venir bien nourrir les nuits des avocats concurrence pour les prochains mois…
Non-régulés 👩⚖️ : quel cadre juridique pour les métaverses ?
On a longuement fait le parallèle entre la piraterie des mers au XVème siècle et la piraterie informatique (devenue récemment plus spécifique en changeant de dénomination : le piratage informatique), dans les deux cas, de nouveaux horizons s’ouvraient devant les protagonistes de l’époque remettant en jeu les visions du monde d’alors.
Tant par jeu intellectuel que par volonté d’identifier de potentiels nouveaux dossiers pour ses clients, le cabinet d’avocats anglo-saxon Reed Smith s’est penché sur la question du cadre juridique des métaverses4 appliqué aux médias et au divertissement.
Le sujet est complexe et néanmoins passionnant. Dans les grandes lignes, on peut retenir les points saillants suivants :
Publicité : un nouveau marketing, le Direct to Avatar, va faire son apparition, le rapport aux marques va se virtualiser d’avantage, et les NFTs dont nous avons déjà parlés, vont recréer, dans le virtuel, un succédané de propriété sur un objet entièrement virtuel, donc infiniment reproductible. Le droit de la propriété intellectuelle va s’en trouver chambouler, comme la régulation publicitaire en tant que tel (que voudront dire les limitations horaires des chaînes de TV dans un univers virtuel entièrement aux mains des marques et sociétés ne devant rien à la ?) ;
Jeux vidéos : voilà l’industrie la plus à même avec la musique, à subir de plein fouet la révolution des NFTs, en particulier sur l’aspect désintermédiation des éditeurs; Pour l’instant, ces derniers précisent bien que les consommateurs utilisent des licences payantes des produits du jeu, ça n’est pas à proprement parler une vente;
“The hype around NFTs is far too intense for logic and reason to prevail, but we would urge caution as licenses are far less easy to trade than property rights and may well cause more than one game NFT to not be worth the digital ink it has been written with” est une autre façon élégante de dire que les NFTs pourraient ne rien valoir…
There may be those who envision a metaverse that transcends the boundaries of jurisdiction and platform, but they will run headlong into the reality of intellectual property, antitrust, privacy regulation, and the capitalistic spirit that has powered the video game industry for decades.
Par ailleurs, les avocats de Reed Smith pointent du doigt les évolutions législatives récentes qui souhaitent de plus en plus appliquer les plates-formes digitales aux mêmes règles que les médias traditionnels en particulier quand il s’agit de protection de l’enfance… Verra-ton prochainement à la Matrix, des agents gouvernementaux (comme Mr Smith) aller faire des incursions dans les métaverses pour constater les infractions qui y sont commises ?
Musique : au delà des capacités de production de concert dans les métaverses qui dépassent de loin en possibilités, les retransmissions en streaming de concerts existants (représentation de l’artiste sous la forme de son avatar, interactions plus fortes avec le public, unicité du lieu de représentation malgré une multiplicité de lieux pour la présence physique des artistes), ce sont les artistes virtuels qui donnent le plus de tournis à nos avocats média : le rappeur virtuel FN MEKA a plus de 9m de followers sur Tiktok alors que le rappeur “réel” Chance the Rapper dépasse à peine les 2m.
La musique était déjà l’un des domaines les plus plastiques en matière de droits de propriété : l’appropriation facile de l’environnement sonore des métaverses par les utilisateurs et l’éventuelle reconnaissance du “droit au remix” pour les utilisateurs va continuer de créer des nouveaux challenges et potentiellement de nouveaux droits, dont les éditeurs des plates-formes où cette musique sera diffusée, les éditeurs de la musique qui mettront à disposition leurs contenus, ne voudront probablement pas s’en laisser déposséder.
Do you want to perform some Whitesnake with your virtual buddies, only to a drum and bass beat and combined with Dizzee Rascal lyrics, while playing your virtual DJ decks and sharing your live set with your new metaverse friends in Bangalore? No problem.
S’ensuit dans le rapport une étude minutieuse des différents champs du droit impactés par les métaverses : du droit de la propriété intellectuelle, à la protection des données personnelles, à l’usage traditionnelle des licences d’exploitation en passant par le droit de la concurrence ou le droit bancaire, peu de domaines seront vraiment exemptés par cette révolution. Des notions aussi essentielles que la territorialité, la temporalité et l’individualité (capacité et responsabilité) qui jusqu’à présent encadraient la pratique du droit vont s’en trouver chamboulés.
Comptés 🔫 : les réseaux sociaux de l’US Army, combien de divisions secrètes ?
D’après un article de Newsweek cette semaine, il semble que les forces américaines soient engagées sur les réseaux sociaux avec approximativement 60 000 (soixante mille!) personnes servant sous les drapeaux de ce métier appelés “Signature Reduction” servant à crédibiliser les couvertures “online” de ses agents infiltrés :
Altogether the companies pull in over $900 million annually to service the clandestine force—doing everything from creating false documentation and paying the bills (and taxes) of individuals operating under assumed names, to manufacturing disguises and other devices to thwart detection and identification, to building invisible devices to photograph and listen in on activity in the most remote corners of the Middle East and Africa.
Alors que la vie numérique fait désormais partie intégrante de l’identité des citoyens, il devient crucial pour conduire des opérations sous couverture de créer et maintenir toutes les conditions de la normalité des agents servant dans les rangs de l’armée américaine (y compris de protéger la vie privée des troupes sur les théâtres d’opérations).
This quiet company can transform any object, including a person, as they do in Hollywood, a "silicon face appliance" sculpted to perfectly alter someone's looks. They can age, change gender, and "increase body mass," as one classified contract says. And they can change fingerprints using a silicon sleeve that so snugly fits over a real hand it can't be detected, embedding altered fingerprints and even impregnated with the oils found in real skin. Asked whether the appliance is effective, one source, who has gone through the training, laughs. "If I tell you, I'll have to kill you."
Renaissant 🧐 : Le Corps et l’Âme au Quattrocento
L’exposition Corps et Ame était un excellent prétexte pour retourner fouler les dalles et parquets du musée du Louvre.
L’exposition qui met à l’honneur la sculpture de la Renaissance italienne s’arrête sur la production de la seconde partie du XVème Siècle, période marquée par une grande stabilité politique à la suite de la Paix de Lodi (1454) qui fixa peu ou prou les contours des Etats du Pape, du Royaume de Naples (sous domination aragonaise), des Duchés de Toscane (avec les Médicis) et de Lombardie (sous la férule des Sforza).
L’exposition est organisée thématiquement de la libération de la Sculpture avec la redécouverte des oeuvres de l’Antiquité et sous les coups de burin de Donatello jusqu’à Michel-Ange, en passant par Léonard de Vinci.
Une conférence du Louvre captée juste avant le Reconfinement permet de bien appréhender les thèmes principaux que sont les représentations de la grâce et de la fureur, l'expression du pathos et de la théâtralité dans les œuvres religieuses, la richesse symbolique des œuvres profanes et enfin le développement d'un nouveau style puissant et magnifique qui aboutit au classicisme romain et sublime de Michel-Ange.
🌯 Quelques burritos pour la route :
Chanceux : Netflix teste l’équivalent du bouton de Google “I’m feeling lucky” avec le bouton “Play Something” sur les mobiles Android (le lien) qui jouera aléatoirement un contenu (mais correspondant à nos goûts décryptés par l’algorithme), un peu l’équivalent de notre zapping TV;
Qui sera le “Netflix des Jeux Vidéos” (et si c’était Netflix?) : Netflix serait en train de recruter pour superviser le développement d’une verticale jeux vidéos, si possible sous la forme d’un bundle à la Apple Arcade avec un lancement en 2022.
j’ai compris cette semaine pourquoi il ne faut plus appeler le Belarus, la Biélorussie : cette appellation date de l’Union Soviétique et sonnait plus russe, alors que le terme d’origine tournerait autour plutôt de la notion de “pays des Rus”.
Petite incise : MGM ne détient que 50% des droits sur les James Bond, en particulier Barbara Broccoli et son frère Michael Wilson qui détiennent l’autre moitié, ont la prééminence sur la partie créative décidant quand faire un nouveau James Bond, qui jouera l’acteur principal et si l’on pourra faire un remake ou des adaptations TV (lisez adapter le produit en streaming first). Qu’on se console : MGM contient tout de même les classiques Rocky, Handsmaid’s Tale (peut-on encore infliger davantage à cette pauvre Offred / June Osborne??), Robocop, Thelma et Louise ou encore la Panthère Rose.
Services de médias audiovisuels à la demande
littéralement par delà l’univers : “The metaverse is a space where you can interact with virtual objects in real life with real- time information.” synthétise le rapport. Une autre façon de voir les choses est l’application des règles du monde physique (échanges entre particuliers qu’ils soient verbaux, monétaires ou d’autre nature) au monde virtuel.