Le Wrap Up de la semaine où Donald Trump a perdu les élections (semaine du 2 novembre 2020)
5 bullet points de la semaine écoulée : médias, tech, société
Cette semaine au programme :
Décortiquée 🔬 : une note du Conseil d’Analyse Economique sur la régulation des GAFA
Dopaminé 💊 : l’avénement de l’investisseur-consommateur à travers les apps financières
Prédictif 🔮 : les tendances social media en 2021
Rappelé à l’ordre 😖 : l’IPO repoussée d’Ant Group
Prémonitoire 🔮 : Dead Zone avec Christopher Walken / Stephen King
Décortiquée 🔬 : une note du CAE sur la régulation des GAFA
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A en croire la belle analyse des économistes du Conseil d'Analyse Economique (Marc BOURREAU et Anne PERROT) sur la régulation des acteurs de la tech, nous serions à un tournant du capitalisme moderne.
La puissance accumulée par les GAFA en particulier (économies d'échelle, effets réseaux et "contrainte de gratuité" pour Google/Facebook), leur résilience à la crise économique actuelle (dans un scénario dystopique, Jeff Bezos aurait eu l'information du Covid en 1998 et n'aurait créé Amazon qu’à cette fin de pouvoir être en position de force lors de notre crise du COVID actuelle), ces éléments rendent difficiles leur régulation, voire même, ce qu'avancent les auteurs, leur démantèlement. Ce dernier représentant un risque de déstabilisation bien trop grand pour l'économie et la société (nous en sommes est là!), en raison des "effets incertains sur la concurrence et d'une mise en oeuvre complexe et coûteuse".
A la place :
- ils proposent une régulation à l'échelle européenne en s'attachant particulièrement au consentement du recueil des données utilisateurs;
- ils préconisent également une idée, déjà évoquée ici et qui est dans l'air du temps : permettre l'interopérabilité des plates-formes pour casser l'effet réseau;
- voire même le multi-homing (qui consisterait à se loguer au gré des humeurs sur des plates-formes différentes et d'avoir les mêmes contacts et le même historique de messages sur toutes les plates-formes sur lesquelles nous serions inscrits).
- En outre, il serait demandé davantage de transparence et de contrôle par les utilisateurs des algorithmes d’affichage des messages (par ordre chronologique, par popularité ou affinité) .
La partie d'analyse de la note peut paraître revêche, elle est néanmoins très éclairante, elle fait plusieurs constats :
1) par leur taille, les plates-formes atteignent en effet un "pouvoir de marché structurant", du fait de leur caractère incontournable (par exemple Amazon Market Place pour une PME ou Booking.com dans l'hôtellerie);
2) par l'adoption comme modèle d'affaires d'intermédiation, elles introduisent dans leurs stratégies tarifaires et non tarifaires souvent des biais d'intermédiation (par opacité des prix, ou quand Google ou Amazon de moteur de recherche biaisent leur résultat pour nous orienter vers leurs propres services);
3) par l'agrégation de données sur les utilisateurs (aux fins d'amélioration de leurs produits ou simplement de monétisation publicitaire); amenant ainsi les auteurs de la note à les considérer comme des "facilités essentielles" au sens du droit de la concurrence (c'est à dire qu'elles deviennent tellement essentielles qu'il faudrait les contraindre à en ouvrir accès à ses concurrents potentiels pour rendre possible la concurrence) ;
4) les plates-formes structurantes parviennent à se protéger de la concurrence de nouveaux entrants par l'intermédiaire de barrières au développement (en particulier la data) ou par le recours à des “acquisitions tueuses”.
5) Contractuellement, les plates-formes ont imposé des clauses de parité tarifaire (pas de possibilité de proposer moins cher sur d'autres sites) ou de parité de disponibilité (toute l'offre doit être proposée sur la PF), en partie pour éviter le “free-riding” des utilisateurs se renseignant là pour acheter ailleurs, mais ayant aussi pour effet d’étouffer de potentiels nouveaux entrants et les acteurs de ces marchés.
Par ailleurs les pratiques de ventes liées (les bundles) sont également en cause, avec ce rappel utile :
"Cependant, toute pratique de vente liée n’est pas nécessairement anticoncurrentielle, l’analyse de cette question renvoyant à plusieurs facteurs comme le caractère substituable ou complémentaire des biens vendus ensemble, l’ampleur de l’avantage tarifaire résultant de la vente liée, le caractère prédateur ou non des prix proposés, la capacité des concurrents sur le marché secondaire à servir une partie substantielle de ce marché, etc."
Pour répondre à ces entorses à la libre concurrence, les auteurs mettent en avant une régulation ex-ante, tentant de faire du démantèlement le dernier ressort de l'action publique (ce moyen surtout utilisé en contrôle des concentrations, est peu approprié dans les logiques d'abus de position dominante de type congloméral, il faut notamment prouver le bénéfice économique que retirerait le consommateur à ce démantèlement). S'il est vrai que les GAFA ont tendance à livrer une concurrence féroce sur les nouveaux marchés, les PDM dominantes sur leur secteur d'activité d'origine est problématique.
Plusieurs préconisations plutôt inventives sont mentionnées :
1) Une des solutions pour sortir des dilemmes de la régulation a priori ou a posteriori dans les rachats d’entreprise, on pourrait définir une liste dynamique de sociétés dont les acquisitions pourraient faire l'objet d’un examen quel que soit la taille de l’acquisition (elles compliqueraient aussi les exits de startup en direction des GAFA...).
2) Dans le domaine de la data, le régulateur pourrait demander aux plates-formes de lui soumettre en amont toute décision significative qui restreindrait le champ de la concurrence (ex : la décision de Chrome de supprimer les cookies tiers à partir de 2022). (cette régulation ex ante apparaît sous le nom poétique de "sunshine regulation"), voire d'étendre les compétences au niveau européen pour renforcer l'expertise de la régulation tech.
3) Enfin, l'interopérabilité pour les plates-formes structurantes est, on l'a déjà vu, particulièrement séduisante, cependant elle pose la question de définir ce qu'est un "service standard" alors que l’architecture et la gamme des services proposées varient en grande partie.
La portabilité des données est dores et déjà inscrite dans le RGPD, même si dans les faits, ce droit ne concerne que les “données personnelles” de l'utilisateur et pas celles de ses connexions... il faut donc entrevoir une “portabilité de l'identité”.
▶️ Pour lire la note du Conseil d'Analyse Economique (12 pages), c'est par ici
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Dopaminé 💊 : l’avénement de l’investisseur-consommateur à travers les apps financières
Photo by Nick Chong on Unsplash
Packy McCormick est analyste financier de formation. Dans sa newsletter Not Boring, il tente de souligner la mutation de comportement d’une partie des investisseurs financiers, à savoir les petits porteurs, en véritables investisseurs-consommateurs. Cette activisme de ce groupe serait d’ailleurs une des raisons pour lesquels les cours continuent de monter dans le contexte actuel (écrit avec rebond lié aux annonces de Pfizer sur un éventuel vaccin).
Avant son explication, il introduit une notion intéressante en revenant en quelque sorte aux fondamentaux : Maslow. Le rendement financier des investissements n’est pas le seul critère de décision, tout particulièrement dans la Silicon Valley, où le statut social découlant de certains investissements “en early stage” compte pour beaucoup voire même plus que le rendement attendu. Ces investissements sous l’effet des biens dits de Veblen, aussi appelé “effet de snobisme” : la valeur s’accroît avec leur prix, plus ils sont demandés plus ils font l’objet de demande.
In San Francisco, owning a Ferrari wasn’t nearly as cool as owning pre-seed shares in Stripe or Uber. In some ways, startup equity behaved more like a Veblen Good -- one that paradoxically sees more demand as the price goes up -- than like an investment. How else to explain the mad dash to invest in Clubhouse at any price? A high price signaled a more competitive round, which meant more social status for getting in.
Pour revenir à notre affaire de la hausse des cours, McCormick retient trois facteurs principaux :
Les conditions économiques : des taux d’intérêt au plus bas et un stimulus fiscal injecté par le Gouvernement atténuent le risque financier ressenti par les ménages;
la force de la tech : les sociétés tech ont dans l’ensemble bénéficié de l’effet covid et comme leur poids dans les indices est sans cesse grandissant, elles poussent les cours ; en outre, l’adoption des solutions tech par le grand public crée sans doute une familiarité qui ouvre cette catégorie d’actifs à de petits épargnants;
l’ennui domestique : les investisseurs confinés chez eux ont moins d’occasion de dépenser, par conséquent ils investissent (voir ici “boredom markets hypothesis”).
Au delà de ces trois points, l’hypothèse centrale qu’il retient et développe est la suivante : la tech est en train de rendre accessible la finance aux particuliers, et l’investissement pour les consommateurs offre des dimensions supplémentaires au seul gain financier : statutaire, éducationnelle, divertissante, un peu à la manière des celles des digital goods. L’émergence de l’investisseur-consommateur (consumer investor) représenterait désormais 25% des volumes d’investissements quotidiens sur les marchés US (vs. 10% précédemment).
Software is eating the markets. Flush with cash and empowered by new tech platforms that blur the lines between investment, experience, entertainment, and digital assets, a segment of consumer investors are shifting money from consumption to investment. Consumer investors expect different things from their investments than professionals do and value assets differently as a result. New technologies, regulations, social trends, and asset classes mean that this shift is here to stay, and could continue to gain momentum after COVID is gone. This time, maybe it really is different.
McCormick passe ensuite en revue les applications stars pour chacune des différentes classes d’actifs qui permettent cette révolution financière :
des actions cotées (notamment la désormais fameuse application Robinhood aujourd’hui valorisée près de 12 Md$ et regroupe près de 16 M d’investisseurs actifs par mois);
des actifs alternatifs (notamment la société Rally Assets qui permet de titriser des biens aussi ésotériques que des voitures d’exception, des montres, livres rares et autres bouteilles de vins ou encore Otis ou MasterWorks qui permet de détenir une part d’une oeuvre d’art, d’une basket ou d’un objet de collection, à la nuance près qu’on ne peut pas vraiment l’exposer chez soi et qu’on peut revendre ses parts avant que l’oeuvre ne soit elle-même revendu); voire même avec Pipe ce qui paraît encore plus fou, des contrats SaaS de start-ups offrant ainsi une rentabilité et une visibilité sur des actifs de start-up…
des actions hors marchés (private equity) : à travers des syndicats de business angels ou des fonds d’investissement roulants (dont les souscriptions seraient trimestrielles) - AngelList aurait ainsi près de 2 md$ de dollars en fonds sous gestion; voire les plates-formes d’échanges pre-IPO où les salariés dotés de stock-options des plus prometteuses licornes US peuvent les céder avant l’introduction en bourse souhaitée (la plus connue de ces plates-formes s’appelle Forge.)
enfin les cryptomonnaies promises selon l’analyste, à un avenir radieux après la folie spéculative qui entoura le BitCoin.
▶️ Lire la newsletter Not Boring et son inventaire des nouvelles applications financières
Prédictif 🔮 : les tendances social media en 2021
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C’est le podcast le SuperDaily qui couvre les dernières actualités des plates-formes sociales, qui attire notre attention sur le rapport annuel de Hubspot et TalkWalker concernant les éléments qui devraient continuer à dominer les “social media” pour l’année à venir.
Le rapport est assez complet et je vous invite (en bon inbound marketing) à vous inscrire sur le site pour y avoir accès, pour ceux que la démarche rebuterait et qui voudrait juste en connaître la substantifique moëlle de ce rapport, voici les nouvelles tendances relevées par le podcast :
✊ L’engagement (social) des marques pour faire la différence : avec l’exemple emblématique est Nike autour des violences policières (until we all win) pour la génération alpha.
Commentaire personnel : Attention, bien sûr, au woke-washing qui serait quasiment une contre-tendance en soi et au slacktivisme qui est ce militantisme du fond de canapé à coups de likes, demandant pour les néo-activistes un engagement relativement faible.
👩🎤 le remixing : la pratique marketing de mettre à disposition de sa communauté des graphiques, des vidéos, des GIFs qu’elle va pouvoir s’approprier pour produire du contenu (exemple : les hastag challenges sur Tiktok où il faut repliquer à sa façon une copie originale). L’engagement serait de près de 30% supplémentaire avec ce type de format.
👶 Les memes : 55 % des 13 à 35 ans envoient des memes au moins une fois par semaine ! les marques auraient tout intérête sans sombrer dans la récupération, de s’approprier ces traînées de poudre digitales.
En prime le plus ancien meme connu :
😔 La nostalgie : le retrogaming, le marketing de Netflix (notamment via Stranger Things), tendance également très en vogue sur Pinterest.
A titre d’illustration voir le succès du compte Instagram Hellofromthe90s
🎮 le social gaming dépassant le simple cadre de streaming de jeux pour devenir des espaces de socialisation (thème déjà traité dans le Wrap Up à travers les multiverses créées par ces jeux) : en question les Twitch / Discord / YouTube Gaming, sans compter à venir le lancement par Facebook : Horizon.
🙈 la fake news devrait continuer largement à prospérer, et semble rentrer de plus en plus dans notre paysage familier. Une partie du public propageant délibérément des fake news pour buzzer sur les réseaux. Même : 28% des adultes aux Etats-Unis sont convaincus que le prochain vaccin anti-Covid servira à leur implanter une puce sous-cutanée (et 44% des Républicains)
📟 Le maintien du marketing “à l’ancienne” : avec la remise au goût du jour “d’anciens” médias comme les newsletters, les podcasts (vous la voyez venir la mise en abîme ? ) et les SMS... Aujourd’hui 68% des personnes continuent de communiquer par SMS via leur mobile, et les mentions de newsletters sur les réseaux n’ont jamais été aussi élevées, en augmentation de 14% sur un an.
▶️ Ecouter le podcast du SuperDaily
▶️ Lire le rapport Hubspot/Talkwalker sur les tendances 2021
Rappelée à l’ordre 😖 : l’IPO repoussée d’Ant Group
L’information a déjà été traité en maints endroits (et je ne voudrais pas transformer le Wrap Up en newsletter financière), mais Frédéric Filloux dans sa chronique dans l’Express relaie également l’information du report de l’introduction en bourse d’Ant Group, celle qui devait être la plus importante de tous les temps (levée de 37 Md$, plus grosse que celle de la compagnie nationale pétrolière d’Arabie Saoudite, Aramco), officiellement repoussée pour des motifs administratifs, serait en fait une façon pour le pouvoir central de Pekin de se rappeler au bon souvenir des capitaines d’industrie numérique chinois (et au premier d’entre eux : Jack Ma) qui prendrait trop de libertés par rapport à la ligne du parti.
Petit rappel au préalable : Ant Group est la super-app bancaire et financière, spin-off du mastodonte Alibaba, elle aurait dû être valorisée près de 240 Md$ lors de son introduction; son service phare est le service de paiement Ali Pay, fort de ses 1,3 milliard d’utilisateurs dans le monde et d’une part de marché de 54% en Chine dans le paiement.
Viennent se rajouter par dessus des services de crédit à la consommation, des placements financiers (cf. l’article introductif du Wrap Up de cette semaine) et des contrats d’assurance.
Cette suspension de l’introduction deux jours avant la date prévue fait désordre et représente un véritable coup de semonce pour l’hubris des dirigeants tech chinois. Il y a quelques semaines, Jack Ma s’était pour se démarquer des concurrents bancaires classiques, laissé aller à les qualifier de “prêteurs sur gage”… le pouvoir chinois a visiblement su marquer la ligne à ne pas dépasser.
▶️ Pour lire la tribune de Frédéric Filloux dans l’Express
▶️ Pour aller plus loin : le profil que The Economist avait consacré à Ant Group
Prémonitoire 🔮 : Dead Zone avec Christopher Walken / Stephen King
Qu’on nous pardonne l’absence de recommandation culturelle en ces temps de disette sanitaire, les musées et les théâtres font grise mine et on sent malgré les combats pour considérer les livres comme des biens de première nécessité, que le coeur n’y est plus pour les institutions culturelles : elles auraient comme renoncées à l’activisme du printemps (on essaiera de suivre les “rediffusions en direct” de la Comédie Française qui a pour originalité de proposer de suivre en direct des diffusions de programmes enregistrés il y a quelques années ou quelques jours, sinon vous pouvez écouter la Recherche lue par les Comédiens du Français).
Pour se consoler et si l’on n’a pas encore fait d’overdose de politique américaine, on pourra revoir DEAD ZONE, le film écrit par Stephen KING, réalisé par David CRONENBERG en 1983 et dont l’interprètre principal n’est autre que Christopher WALKEN. Un jeune professeur à la suite d’un accident de voiture a des visions concernant l’avenir des personnes qu’il approche. Martin SHEEN joue le rôle d’un candidat à la Chambre des Représentants, mais semble promis au destin politique le plus prestigieux (pour préfigurer the West Wing??).
▶️ Pour voir la bande annonce d’Arte ici
▶️ Pour voir le film en entier sur Arte
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