Le Wrap Up de la semaine où on a fêté les 50 ans de la Révolution des Œillets (semaine du 22 avril 2024)
🔏 : Le Monde enfin indépendant - 💪 : l'efficacité pub, prochain enjeu du streaming vidéo - 🦞 : Tavernost atterrit chez GL Events - 📚 : les chiffres de l'édition révélés - 🖼️ Le Gulbekian à Lisboa
Au sommaire du Wrap Up de cette semaine; :
Commerçant 💪 : le streaming vidéo tenu de prouver son efficacité publicitaire?
Eternel : Philippe IV à Lisbonne et autres splendeurs du musée Gulbekian
⏳ : Temps de lecture : 7 min 24 sec
Incessible 🔏 : Xavier Niel rend le Monde plus indépendant
⏳ : 1 min 19 sec
Xavier Niel vient de réaliser un geste significatif en faveur de la sanctuarisation du capital du groupe Le Monde, comprenant non seulement le célèbre quotidien, mais aussi Télérama, La Vie et d’autres titres détenus alors pour le magnat des télécoms.
En cédant la quasi-totalité de ses parts au profit d’un “Fonds pour l'indépendance de la presse”, Xavier Niel ne fait pas qu’un don, il instaure une barrière solide contre les influences extérieures capitalistiques. Ce fonds, « organisme d'intérêt général à but non lucratif » prend modèle sur des initiatives antérieures de Mediapart et Libération. La particularité ici est le fait de devenir incessible, une garantie de pérennité pour l'indépendance éditoriale.
Le “Pôle d’indépendance”, constitué des Sociétés de journalistes, des personnels et des lecteurs, a accueilli la nouvelle très positivement saluant une avancée historique.
Le conseil d'administration du fonds a confirmé que le capital du “quotidien du soir” serait donc détenu majoritairement par ce fonds d’indépendance, représentant environ les trois quarts du capital, le reste étant contrôlé par le Pôle d’indépendance.
Dans le détail de cette opération : le Fonds a acquis pour 1€ symbolique, presque toutes les parts de NJJ Presse1, la holding presse détenue alors par Niel, ce dernier conservant seulement une action; peut-être un geste symbolique pour marquer sa capacité à réinvestir si la nécessité se faisait sentir.
Créé en 2021 par Xavier Niel, le Fonds avait pour mission première de protéger Le Monde des tensions entre actionnaires, des tensions qui se sont accrues lors du rachat des parts de Mathieu Pigasse par Daniel Kretinsky. Xavier Niel ayant à son tour racheté, avec l’accord des salariés, les parts de Kretinsky2 en septembre dernier.
En résumé, cette démarche de Xavier Niel pourrait bien redéfinir l'approche de l'indépendance des médias en France, et offre une réflexion sur la manière dont les entreprises de presse peuvent se protéger des influences externes tout en préservant leur mission première : informer.
Reste à voir à l’avenir si l’indépendance des journaux est le meilleur garant de leur pérennité économique.
Commerçant 💪 : le streaming vidéo tenu de prouver son efficacité publicitaire?
⏳ : 1 min 31 sec
Laura Martin du cabinet de consultant, Needham & Company, éclaire dans AdExchanger avant la grande messe Programmatic I/O à Las Vegas, l’enjeu de survie selon elle des plates-formes de streaming vidéo : le commerce !
Pour rester dans les bonnes grâces des investisseurs à Wall Street, les plateformes de streaming doivent faire évoluer leur business model : fini le temps où inonder les téléspectateurs des séries contre des recrutements d’abonnés suffisait à convaincre.
Aujourd'hui, elles doivent prouver qu'elles peuvent agir comme des canaux de marketing performant, transformant chaque publicité en un calcul précis de rentabilité.
Selon elle, pour séduire à la fois investisseurs et annonceurs, il est crucial de pouvoir commencer à attribuer des résultats commerciaux concrets à chaque spot publicitaire.
Avec moins d'inventaires publicitaires que la télévision traditionnelle, et une pression accrue pour une mesure basée sur les résultats, les plateformes se muent en univers clos, gardant leurs données sous clé.
Cela va à l'encontre de la demande croissante pour plus de transparence sur les données et les inventaires de streaming de la part des annonceurs et des agences.
Les plateformes qui réussissent à naviguer entre les exigences parfois contradictoires des investisseurs et des annonceurs commencent à sortir du lot : Laura Martin mentionne qu’Amazon par exemple s’en sort mieux grâce à sa capacité à offrir une attribution en boucle fermée, reliant directement les publicités diffusées sur Prime Video aux ventes réalisées … sur Amazon.
Cependant, pour les plateformes sans commerce intégré, la compétition est évidemment plus rude. Elles doivent accumuler davantage de données propriétaires pour rivaliser en ciblage et attribution.
Cette approche les conduit également à devenir des jardins clos, où, pensent-elles, l'accès exclusif à un public permettrait de monétiser plus cher, renforçant une asymétrie d'information entre acheteurs et vendeurs.
La clé de la rentabilité pour ces géants du streaming est de diversifier leurs sources de revenus et d’augmenter le revenu par utilisateur : non seulement via les abonnements et la publicité, mais aussi par le commerce électronique.
Comme on l’avait déjà souligné ailleurs, Amazon et Apple pourraient être les grands gagnants de cette bataille, car leur activité de streaming n’est pas le coeur de leur business, elles peuvent ainsi continuer à soutenir les pertes liées au streaming. Disney avec ses autres revenus est également jugé favorablement, et Netflix en étant déjà rentable est moins vulnérable. Pour les autres, pure players comme NBCUniversal, Paramount, Warner Bros. Discovery ou Fox, l'avenir est encore incertain.
Retiré 🦞 : Nicolas de Tavernost laisse la place chez M6
⏳ : 54 sec
Soirée d’émotion le mardi 22 avril lors de la soirée de départ (soirée intitulée Goodbye Party plutôt Farewell party, pour mieux revenir?) de Nicolas de Tavernost, l’emblématique patron de M6, après 37 ans de lutte acharnée pour faire exister cette société contre la volonté des ministres de la Culture de l’époque, contre la concurrence acharnée des autres groupes publics et privés et toutes les évolutions technologiques de ces différentes années (le câble, les droits du foot, les TV locales, les achats de droit, le Loft, la TNT, le numérique).
Tavernost, génial manœuvrier de l’audiovisuel, toujours à l’affût d’un bon coup, n’a pas fendu l’armure ce soir-là, se montrant déjà trop vulnérable avec un bras en écharpe et des doigts bandés liés à un accident de jardinage.3 Il a fallu les audaces du nouveau patron, David Larramendy, pour faire rire et sourire la salle des tics et travers de cette figure du commandeur (les phrases fétiches étant reproduites sur les écrans de la salle).
Preuve supplémentaire que les activités de retraité ne l’attirent pas plus que ça, on apprenait dans The Media Leader qu’il venait d’être nommé Vice-Président du Conseil d’Administration de la société d’événémentiel GL Events (dans laquelle officie son fils Antoine, et pour laquelle il était déjà administrateur indépendant).
Il se voit confier une mission “d’analyse et de proposition au Conseil des futures orientations du groupe”. On a hâte ce que ce vieux fauve envisage.
Invendus 📚 : plus personne n’achète de livres
⏳ : 1 min 57 sec
Dans un récit palpitant, la newsletter The Elysean a plongé dans les archives du procès de 2022 où l’Etat américain analysait la tentative d'acquisition de Simon & Schuster par Penguin Random House sous l’angle de la concurrence.
Cette fusion, qui aurait consolidé près de la moitié du marché éditorial américain sous une seule enseigne, a été bloquée par un procès antitrust, cristallisant ainsi les enjeux de pouvoir et d'influence de ce secteur.
Durant ce procès, un véritable cours intensif sur l'industrie du livre a été dispensé par les dirigeants des maisons d’édition : leurs témoignages ont été si riches d'enseignements qu'ils ont été compilés dans un ouvrage intitulé The Trial (2022).
L'un des constats les plus frappants et peut-être les plus décourageants pour les petits auteurs est que les livres de célébrités et les best-sellers éternels se vendent par millions et constituent les véritables moteurs des maisons d’édition, tandis que la majorité des livres publiés ne trouvent pas leur public, avec des ventes souvent inférieures à mille exemplaires.
In 2020, only 268 titles sold more than 100,000 copies, and 96 percent of books sold less than 1,000 copies. That’s still the vibe.
The DOJ’s lawyer collected data on 58,000 titles published in a year and discovered that 90 percent of them sold fewer than 2,000 copies and 50 percent sold less than a dozen copies.
Ce modèle économique rappelle étrangement celui des capital-risqueurs de la Silicon Valley : parier sur un grand nombre de projets en espérant qu’un d'entre eux devienne un succès phénoménal, ou comme l'évoque Markus Dohle de Penguin Random House, un "gusher", terme imagé décrivant un livre qui se vend à des millions d'exemplaires.
CEO of Penguin : “We are angel investors of our authors and their dreams, their stories. That’s how I call my editors and publishers: angels… It’s rather this idea of Silicon Valley, you see 35 percent are profitable; 50 on a contribution basis. So every book has that same likelihood of succeeding”.
Mais au-delà des chiffres et des stratégies, ce qui frappe, c’est l'immense décalage entre les avances mirobolantes versées à quelques élus et la réalité économique des ventes.
Les grandes maisons dépensent des sommes astronomiques pour des avances, pariant sur des noms plutôt que sur des contenus, avec des retours sur investissement souvent décevants. Ce système a poussé certains à jouer sur plusieurs tableaux, tirant parti à la fois de l'édition traditionnelle pour les à-valoir et de l'autoédition pour d’autres ouvrages plus confidentielles.
L'avènement de l'ère numérique et des plateformes comme Amazon a également bouleversé le paysage, permettant à des auteurs de contourner les intermédiaires traditionnels. Certains auteurs défraient la chronique de temps en temps avec des campagnes Kickstarter records, fruit d’un savant marketing digital, ils donnent l’espoir que les auteurs peuvent réussir en dehors du système éditorial traditionnel, mais ce modèle semble peu réplicable.
En conclusion, alors que les géants de l'édition continuent de parier sur des valeurs sûres, l'industrie semble être à un tournant, avec une remise en question profonde de son modèle économique. Pour les auteurs, le message est clair : l'innovation et l'indépendance pourraient bien être les clés d'un nouveau chapitre dans le monde de l'édition.
Plein d’autres statistiques à découvrir :
Pour alimenter un peu plus la réflexion je vous livre également cette information du Journal du Geek qui évoque l’effondrement des ventes de livres en ligne depuis la “géniale” invention de la taxe à 3€ pour les ventes en ligne de livres : conçus pour rediriger des acheteurs à rentrer dans les librairies pour acheter leur livre, cette taxe anti-Amazon se traduit se traduit par une forte baisse des ventes de livres en ligne et donc de l’industrie…
Ainsi, 63% des lecteurs disent avoir vu leur pouvoir d’achat impacté par l’instauration des frais de livraison, rapporte l’étude IFOP. Encore plus inquiétant, 40% des sondés indiquent avoir réduit leurs achats de livres à cause de cette décision.
Eternel 🖼️ : Philippe IV à Lisbonne et autres splendeurs du musée Gulbekian
⏳ : 1 min 17 sec
A l’occasion d’un weekend lisboète (d’où le titre de ce Wrap Up), j’ai eu enfin l’occasion de visiter le musée Gulbenkian.
Calouste Gulbekian a un peu disparu de la mémoire collective, mais il fut l’une des plus grandes richesses de son temps, il fait fortune dans le pétrole (Monsieur 5% de la compagnie pétrolière turque et plus tard, actionnaire de la Shell Company). Il a consacré une part importante de sa vie à assembler des œuvres de toutes les civilisations (avec un accent particulier sur les arts européens de la Renaissance au XIXème siècle4) qu’il a rassemblé sous forme de fondation dans les années 1950, principalement établie à Lisbonne (et à Paris).
Avec un goût très sûr il a rassemblé des trésors de l’Antiquité Egyptienne, de la Grèce Antique, des civilisations musulmanes (ses origines arméniennes l’ont rendu particulièrement aux arts de cette région, notamment les différents empires moyen-orientaux jusqu’aux Moghols indiens). La légende rapporte qu’il ne recula devant rien pour une oeuvre qui l’intéressait.
Au détour de ces splendeurs, on tombe nez à nez avec un prêt de la Frick Collection de New York avec le portrait du monarque Philippe IV par Velazquez.
Cette peinture de 1644 dépeint le roi en habit militaire, en souvenir de la commémoration de la victoire des armées espagnoles sur les troupes royales françaises lors de la reconquête de la ville de Lérida, en Catalogne.
A ne pas manquer en cas de détour par Lisbonne.
J'ai la pleine conscience qu'il est temps de prendre une décision concernant l'avenir de mes œuvres d'art. Je peux dire, sans peur d'exagération, que je les considère comme des « filles » et que leur bien-être est l'une des préoccupations qui me dominent.
Elles représentent cinquante ou soixante ans de ma vie, partout où je les ai réunies, parfois avec d'innombrables difficultés, mais toujours et exclusivement guidé par mon goût personnel.
Il est certain que, comme tous les collectionneurs, j'ai essayé de me faire conseiller. Mais je sens que ces œuvres sont sont mon âme et mon cœur.
NJJ Presse comprend Le Monde, Télérama, Courrier international, La Vie, le HuffPost (85 % du capital) et Le Monde diplomatique (51 % du capital), ainsi que Le Nouvel Obs.
On a encore du mal à voir, à lire les intentions de Daniel Kretinsky en France ou même en Europe et le papier des Echos enquête sur son aspect encore très mystérieux, alors qu’il joue désormais un rôle assez central dans notre économie : Casino, Fnac, l’édition avec Editis, des magazines avec Elle et Marianne (dont la revente aurait été amorcée), des parts au capital de TF1 (9%)…
la plaisanterie dont il se fera lui-même l’écho est que c’était pour ne pas signer les derniers chèques qu’il devait émettre avant de partir!
Le musée d’art moderne était en réfection !
Je suis triste pour les livres mais...je me dis que ce sont les mêmes taux d'échec que beaucoup de chose dans la vie non ?