Le Wrap Up de la semaine où Milan Kundera est mort (semaine du 10 juillet 2023)
🧵 Threads et Twitter - 🏛️ la réglementation audiovisuelle en retard en France - 🎮 la FondaPol et le jeu vidéo - 🎶 SoundXYZ lève 20 M$ - 🖼️ Bellini dernier jour
Jolie série d’articles de Libération sur le grand auteur franco-tchèque en particulier celui sur l’Insoutenable Légèreté de l’Être, publié en 1984, dont Libé dit qu’il est le livre d’une “vénération”.
Au sommaire de cette semaine du Wrap Up :
Révisée 🏛️ : la loi audiovisuelle de 1986 doit être refondue selon Nathalie Sonnac
Gamifiée 🎮 : la Fondation pour l’Innovation Politique se penche sur les jeux vidéos
⌛️ Temps de lecture : 7 min 30 sec
Effilé 🧵 : Threads est-il concurrent de Twitter?
⌛️ : 1 min 59 sec
Le concurrent lancé par Meta pour profiter des avanies de Twitter, Threads1, a rencontré un premier vrai engouement avec près de 110 M de comptes créés en moins de 10 jours.
Ben Thompson, un des plus fins analystes du paysage tech, revient dans sa publication Stratchery sur la mise en perspective de ce lancement.
Il reprend pour lire les derniers rebondissement, une première analyse qu’il avait produite en 2013 soulignant à quel point Facebook ne pourrait jamais se trouver en monopole sur les réseaux sociaux compte tenu de leur essence protéiforme :
Thomson à présent souligne que les règles ont changé (notamment après le passage de Tiktok). L’enjeu n’est plus de distribuer les contenus appréciés par ses proches, mais plutôt le fait d’attirer sur son réseau une multitude de créateurs de contenus qui vont par leur abondance trouver leur public, les réseaux deviennent de gigantesques salles de test :
Mobile, though, is defined by the Internet, which is to say it is defined by abundance…So it is on TikTok, or any other app with user-generated content. The goal is not to pick out the hits, but rather to attract as much content as possible, and then algorithmically boost whatever turns out to be good.
Sa cartographie initiale deviendrait donc en 2023 la suivante :
My new vertical axis is user-generated content, by which I mean content across the network, versus network-generated content, by which I mean content from the people you choose to follow.
C’est seulement à partir de 2016 que Instagram et par la suite Twitter ont commencé à mettre en place cette logique algorithmique (des années après le succès rencontré par Facebook). En venant encore accélérer peut être trop brusquement les choses sur Twitter, Musk a modifié le sentiment de familiarité que le fil fournissait :
It’s as if neighbors of years moved out from my block overnight, replaced by strangers who all came knocking on my front door carrying not a casserole but a tweetstorm about how to tune my ChatGPT and MidJourney prompts.
Threads semble en cela différer de Twitter, et se situerait plutôt dans le quart haut à droite de ce mapping. En s’appuyant sur notre propre compte Instagram (jusqu’à présent il ne semblait pas possible d’effacer son compte Threads sans effacer son compte Instagram grâce auquel on se connecte), le nouveau réseau de Méta ne nous connecte pas d’emblée à notre social graph instagram mais tente plutôt de proposer des contenus qui ont déjà fait leur preuve sur nos centres d’intérêt.
Thomson pense donc que Meta peut transformer l’essai de la croissance de la base d’utilisateurs, alors que Twitter, en raison de son mode de construction, est condamné à continuer à servir les besoins d’une communauté déjà présente et très engagée et qui valorise les personnes qu’elle suit avec un sentiment d’immédiateté, ce que Musk a tenté de modifier à la hache (primauté des contenus et préférence algorithmique).
Pourtant, en dépit des allégations d’Instagram, Thomson pense que c’est bien Twitter qui a une réelle portée culturelle :
“Culturally relevant” is the one game that Twitter has won, far more than Facebook, and arguably more than Instagram: Twitter drives national and international media coverage, from TV to newspapers, to an extent that drastically exceeds its monetization potential…
Meta is about algorithms and scale, and I would bet that Threads will leave real time reactions, news, and pitched battles to Twitter; Musk’s most important decision may be accepting that that is enough, because it’s all he’s going to get.
Révisée 🏛️ : la loi audiovisuelle de 1986 doit être refondue selon Nathalie Sonnac
⌛️ : 1 min 56 sec
Depuis quelques mois, un vengeur masqué sévit sur Twitter: le compte Médias Citoyens s’est posé en garant de la déontologie journalistique, puisque la profession a toujours refusé de se doter d’une sorte d’organe central de régulation (à la manière de l’Ordre des Avocats ou des Architectes), chaque rédaction préférant s’abriter derrière sa propre charte de déontologie ou son syndicat des journalistes. Le compte traque, comme il l’explique dans cette rare interview, les dérives et les insinuations malheureuses dans la presse, qui relèvent plus de l’idéologie que la “réalité” des faits.
Bref, le compte a rapidement gagné l’intérêt des professionnels de la profession, plus particulièrement d’une population plutôt classée à droite, car sans faire de mystère, il est courant de stigmatiser le gauchisme culturel d’une partie des rédactions.
Cette semaine, le compte a retranscrit, fait rare, une interview donnée par Nathalie Sonnac, spécialiste de l’économie des médias, de la culture et du numérique. Elle a notamment été administratrice de l'INA (2014) et Sage du CSA de 2015 à 2021. Elle sort un livre Le nouveau monde des médias.
Beaucoup de propos y sont intéressants, morceaux choisis :
La menace des GAFAM
Que ce soit Google, Apple ou Facebook, ils se sont imposés dans le monde médiatique en reprenant les caractéristiques des médias traditionnels devenant sources de contenus, relais d’information et capteurs de manne publicitaire, et cela représente un double danger :
L’information fiable se trouve diluée dans un immense volume d’informations;
L’arrivée des réseaux sociaux participe du vacillement du modèle économique des médias traditionnels, des téléspectateurs, auditeurs, lecteurs quittent progressivement la télévision, la radio, la presse, notamment les jeunes générations. Le siphonnage des recettes publicitaires par Google et Facebook, en position dominante sur le marché de la publicité en ligne, assèche les capacités des médias producteurs de contenus.
On peut ajouter à cela les dangers de l’enfermement cognitif par les stratégies algorithmiques qui créent des bulles cognitives décorrélées des opinions divergentes, de la diversité des raisonnements.
Comment agir ?
Pour répondre à ces défis, nous devons agir à l’échelle européenne et nous démarquer à la fois du modèle américain qui se caractérise par le seul objectif de maximisation des profits avec un faible respect des données privées et du modèle chinois qui n’est pas l’exemple à suivre en termes de liberté d’expression… Ce cadre informationnel européen est indispensable et commence à se mettre en place, depuis le RGPD et aujourd’hui grâce au DSA [Digital Services Act] et au DMA [Digital Markets Act].
Sur la nécessité de revoir la loi sur l’Audiovisuel de 1986:
Renforcer la séparation entre les rédactions et les actionnaires avec, notamment, le non cumul des fonctions de directeur de rédaction (validée par une large majorité des rédactions) et de direction générale ;
Définir un nouveau marché pertinent de l’information (élargi au marché digital), l’indépendance de l’information doit pouvoir coexister avec des grands groupes puissants (et donc revoir le dispositif anti-concentration de l’ARCOM);
Un troisième pilier est celui de l’éducation aux médias et à l’information pour permettre à tous de discerner les informations de qualité de la désinformation, des intox et des manipulations;
Gamifiée 🎮 : la Fondation pour l’Innovation Politique se penche sur les jeux vidéos
⌛️ : 1 min 05 sec
La FondaPol, qui se définit comme un “Think Tank libéral, progressiste et européen”, se penche une fois n’est pas coutume, sur l’industrie française du jeu vidéo, marquant par là un certain discernement sur ce fait culturel majeur de notre époque.
Les deux auteurs du rapport “De la French Touch à la French Pride” en sont Loïse Lyonnet, en charge du Développement économique et culturel des territoires au Sénat, et Pierre Poinsignon, chercheur, praticien et enseignant en management stratégique.
Ils démontrent, chiffres à l’appui, que, loin de l’image caricaturale du jeune adolescent geek et "accro", le jeu vidéo est un loisir intergénérationnel et mixte. Il est aujourd’hui le premier loisir des Français!
En France, 37,4 millions de personnes, soit 7 Français sur 10, jouent aux jeux vidéo au moins une fois dans l'année. L'âge moyen est de 39 ans, et la répartition est presque égalitaire entre hommes et femmes. Par ailleurs, 41% des personnes de plus de 60 ans pratiquent le jeu vidéo, principalement sur ordinateur et smartphone… En 2022, l’industrie a généré en France un chiffre d’affaires de 5,5 Md€.
Ils rappellent que c’est la plus jeune de nos industries culturelles et aussi la plus sensible aux évolutions technologiques, une industrie dans laquelle la France a une carte à jouer, pour un rayonnement européen et mondial, mais qui reste fragile : il est à craindre que les GAFA qui tentent de combler un certain retard sur ce pan du divertissement (cf. rachat d’Activision par Microsoft), soient partis faire leur shopping, ils soulignent qu’il faut donc protéger2 le jeune écosystème français pour lui permettre de grossir et d’arriver à maturité, pour peser sur la scène mondiale.
L’organisation de cette défense passe par le soutien des studios indépendants de taille moyenne et pour le soutien aux filières de formation.
Soutenu 🎶 : SoundXYZ lève pour 20 M$ de financement
⌛️ : 1 min 23 sec
Sound XYZ, une plateforme musicale NFT, vient de lever près de 20 M$ de financement auprès de a16Z, Snoop Dogg ou encore le chanteur 21 Savage (une première levée était déjà arrivé en 2021 à hauteur de 5 M$).
Sound aurait permis de générer 5,5 M$ pour les quelques artistes sélectionnés par la plateforme l’an dernier. Désormais, la plateforme est ouverte à tous les artistes qui souhaitent s'ouvrir au Web33.
Notably, Sound’s unique NFT-centric approach has already allowed its artists to accrue revenue equivalent to 1.6 billion streams — a feat that less than 100 songs have ever achieved on Spotify and one that has never been reached on Apple Music. Yet, the company’s mission extends beyond monetizing music; the platform aspires to become the internet’s go-to destination for music discovery.
Selon le CEO de la plateforme, le modèle de tarification actuellement appliqué dans cette industrie ne permet qu'à 0,1 % des artistes de vivre pleinement de leurs créations.
Elle défend le principe d’une meilleure rémunération des artistes (en leur proposant de garder 100% des gains et de garder 100% du master et des droits d’édition). Par exemple, le rappeur Reo Cragun, qui a généré plus de 120 K$ grâce à ses productions partagées sur Sound, a pu bâtir une petite communauté engagé de 500 collectionneurs (soit un ticket moyen à 240 dollars).
And on the fan side, higher-ups have billed Sound’s offerings as an opportunity to “discover the hottest new music releases by rising independent artists” and to receive payments for “making playlists and sharing links to your favorite songs.” (Complete with charts and more, the service itself resembles and largely functions like other streaming platforms – albeit with options for users to comment on and purchase NFTs of artists’ work.)
Le business model de Sound XYZ ne semble pas encore très clair, il pourrait provenir des micro-transactions que l’artiste va proposer à sa communauté de collectionneurs, le lancement d’une layer 2 d’Ethereum serait une première initiative favorable à ce genre de projets. Sound ne se cache pas de s’inspirer de l’industrie des jeux vidéos et de l’écosystème de “biens virtuels” que ces derniers génèrent au delà d’un prix fixe :
premium upgrades ;
exclusive editions ;
access to the artist ;
social status of being early / biggest fans
Bellissimo 🎨 : Bellini dernier jour à Jacquemart-André
⌛️ : 26 sec
Dernier jour pour l’exposition que le Musée Jacquemart-André consacre au peintre vénitien, Giovanni Bellini (1435-1516), l’un des fondateurs de l’école vénitienne de peinture, ayant été le précurseur de l’art de la couleur (notamment grâce à l’import des techniques de peinture à l’huile de l’Europe du Nord) et du ton qui a fait la gloire de Venise.
On peut y voir salles après salles, les multiples influences (les madones byzantines, la théâtralité des corps de l’école Florentine, les paysages qui sortent du flou artistique, la monumentalité de Donatello) que Bellini synthétisera de façon admirable. Il s’inspirera aussi de ses propres élèves, dont le Titien et Giorgione.
Sans doute une des plus belles expositions de la saison, malheureusement que j’avais laissée passer. Les tableaux de Memling, Antonello de Messine et Giorgione sont sublimes :
Toujours pas disponible en Europe, notre réglementation sur les données personnelles empêchant Meta d’agir à sa guise pour se connecter à l’appli.
Avec un défaut majeur : “trop culturelle pour l’économie, et trop économique pour la culture” elle n’a pas vraiment de chef de file pour assurer la défense de ses intérêts.
La plateforme souligne qu’elle s’est dotée d’outils lui permettant de faire face à la commercialisation de titres pirates : “One such challenge is the possibility of unauthorized music uploads. To combat this, the platform has developed advanced tools, including audio footprint technology.”