Le Wrap Up de la semaine où l'IVG a été inscrite dans la Constitution (semaine du 3 mars 2024)
⏳ : Apple prend son temps sur l’IA - 🤷 : le rdv manqué de la presse et du numérique - 👯 : M6+ lancé - 🤖: le ciné face à l’IA - ⚡️: nouvelle traduction de Shining
Au sommaire de cette semaine :
⏳ Temps de lecture : 7 min 53 sec
Atermoyé ⏳ : Apple prend son temps sur l’IA
⏳ : 2 min 10 sec
L’article de The Economist de cette semaine (la rubrique dédiée à l’innovation bien nommée Schumpeter) analyse que le CEO d’Apple Tim Cook a depuis la disparition de Steve Jobs en 2011, navigué à travers une série de défis qui semblent aujourd'hui se répéter.
À ses débuts, Cook a dû faire face :
à des accusations d'antitrust de la part du Département de la Justice américain pour entente sur les prix des e-books,
à une concurrence féroce avec Samsung,
et à des problèmes de jeunesse avec Siri et Apple Maps, soulevant des questions sur la capacité d'innovation d'Apple après Jobs.
Une décennie plus tard, ces défis semblent ressurgir :
L'UE exige la conformité d'Apple à de nouvelles règles brisant son jardin clos dès le 7 mars, avec une amende de 1,8 milliard d'euros pour concurrence déloyale dans le streaming musical.
Aux États-Unis, une autre affaire antitrust semble se profiler, tandis que Huawei prend de l'ampleur en Chine.
L'inquiétude principale reste cependant la stagnation des ventes d'iPhone et le potentiel manqué de l'intelligence artificielle générative.
La valeur en bourse d'Apple ayant diminué de 10 % depuis mi-décembre, et Microsoft dépassant désormais Apple grâce à ses prises de position sur l'IA, certains se demandent si, comme c’est régulièrement le cas, Apple n’a pas perdu sa capacité d'innovation.
Malgré le peu d'enthousiasme soulevé par la sortie du VisionPro, le casque de réalité mixte d'Apple, tous les yeux sont tournés vers la conférence annuelle des développeurs en juin dernier espérant l'annonce d'améliorations significatives en matière d'IA générative.
De façon général, on peut affirmer qu’Apple est du genre à peaufiner ses lancements, quitte à louper la hype des innovations toute récentes. Par exemple avec l'iPhone 6, qui a répondu tardivement à la demande pour un écran plus grand mais avec grand succès, Apple préfère améliorer les produits existants, apprendre des erreurs des autres et finalement dominer le marché.
Cette approche prudente n’écarte pas le risque qu'une start-up innovante qui puisse émerger plus rapidement avec des technologies de rupture.
Néanmoins, l’histoire pourrait bien montrer qu’Apple a raison de prendre son temps avec l'IA générative.
Les chatbots, bien qu'apparaissant révolutionnaires, ne représentent qu'une manière améliorée d'interagir avec des systèmes d'information et en tant que tel ils ne constituent pas le point fort d'Apple (sauf un peu l’imparfait mais précurseur Siri).
Plutôt que de se battre dans l'arène du cloud computing et des milliards de GPU nécessaire pour se faire une place au soleil, Apple semble se concentrer sur l'intégration de l'IA générative dans ses propres appareils pour renforcer son écosystème, ayant pris tôt le virage, depuis 2017, des puces maison pour gérer les fonctions d'apprentissage automatique et d'IA.
Alors qu'Apple a récemment abandonné avec un peu de bruit, son projet de voiture pour se concentrer sur l'IA générative, le Vision Pro pourrait justement devenir cette porte d'entrée clé, mais dépassant les instructions texte pour se concentrer directement sur les sons et les images.
Pour faire un aparté qui va dans ce sens, la réflexion de Yann LeCun de ce weekend est édifiante et ouvre effectivement des perspectives étourdissantes sur la capacité d’apprentissage visuel et auditif de l’IA de demain, ce qui faisait tôt dire au chief AI de Meta que les LLMs seraient prochainement dépassés (les commentaires du post enrichissent le débat) :
Malgré ces défis, notamment la régulation de l'UE et la concurrence en Chine, il ne fait pas trop de doute qu’Apple reste une entreprise innovante, travaillant en coulisse sur des produits d'IA générative sans précipitation, avec les ressources financières nécessaires (pour ne pas dire illimitées) pour maintenir son leadership.
Manqué 🤷 : le rdv entre la presse et le numérique
⏳ : 1 min 43 sec
Le sujet est dans l’air du temps parce que les Etats Généraux de l’Information, parce que la recomposition du paysage de la presse se poursuit (Bernard Arnault finissant par obtenir Paris Match), parce que sa distribution se languit depuis des années de trouver une bonne organisation, mais la presse est en crise.
Cyril Frank et l’équipe de Médiarama tentent de trouver de la lumière au bout du tunnel avec les initiatives de la presse US pour trouver les moyens de sa survie ou pourquoi pas la fausse bonne idée des articles à l’unité.
Ici, on revenait la semaine dernière sur les opportunités manquées de la révolution de l’information dans les 1990s :
Cette semaine c’est Frédéric Filloux qui re-refait la chronologie de 30 ans d’accident industriel (la 1ère partie), en version condensée, ça donne :
• La presse n'a pas compris ce qui faisait la supériorité des géants du numérique : l’obsession du client et l’approche technologique;
• Elle s’est laissée ré-intermédier par la Big Tech sans même s’en rendre compte;
• Les recettes miracles promises par les plateformes n’ont fait que créer des audiences commercialement médiocres;
• Comment la presse s’est murée dans la certitude d’une supériorité intellectuelle et morale;
• L’incapacité mutuelle des médias et de la tech à développer une relation de confiance;
• La soumission des rédactions à la comm.
Le style est acerbe, mais il est aussi celui de la désillusion car Filloux fut aussi un des protagonistes de ce grand barnum de la transformation numérique des médias :
On a vécu des situations insensées (quand on y repense), avec dans les rédactions, des jeunes gens incultes mais frappés du sceau de la modernité numérique, faisant la leçon à des rédacteurs expérimentés sur la façon de structurer leurs papiers pour “qu’ils remontent” dans les moteurs et les réseaux sociaux, et des réunions avec des représentants de Google, Facebook, LinkedIn qui expliquaient aux journalistes comment il fallait écrire pour satisfaire leurs algorithmes...
Personne n’a voulu voir que ce chiendent journalistique [les petits articles produits à la chaîne] avait tendance à étouffer la production à valeur ajoutée des rédactions.
La seconde partie monte d’un cran sur la critique du journalisme, accusée tour à tour de ne pas avoir joué le jeu de la collaboration avec la tech (défiance et volonté de capter une partie des ressources pour son financement) et de s’être progressivement dégradée au service des agences de relations presse toutes puissantes.
Ma petite expérience met plutôt l’accent sur un système qui ne pouvait que dysfonctionné : la presse a fait comme elle a pu, la machine de guerre mise en place par les GAFA reposait de toutes les façons, sur le fait de ne pas payer les producteurs de contenus, trop contents de regagner un peu d’exposition quitte à se faire dessaisir de leur monétisation.
Doublé 👯 : M6 fait aussi sa mue streaming avec M6+
⏳ : 1 min 52 sec
Les Echos reviennent cette semaine sur l’actualité TV française : M6, quelques semaines après le lancement de TF1+ entame aussi une transformation majeure de son modèle économique pour s'ancrer profondément dans l'ère du streaming.
La chaîne, propriété à 49% de Bertelsmann, prévoit le lancement de M6 + en remplacement de 6play dès la mi-mai. Ce changement stratégique intervient dans un contexte de repositionnement sur le secteur de la publicité vidéo, secteur pertinent que les deux groupes avaient défendu pour justifier leur fusion il y a quelques mois à présent.
L’offre
La chaîne entend enrichir considérablement son offre de contenus, en doublant le volume de programmes disponibles, couvrant une vaste gamme de genres, pour atteindre 30 000 heures de visionnage potentiel à travers l'année, voulant ainsi devenir des plates-formes de destination pour les spectateurs en mal d’inspiration pour leur séance TV du soir. Cette augmentation de contenu est stratégique, visant à doubler le nombre d'heures visionnées sur M6 + et à franchir le cap du milliard d'heures en 2028 (vs. 516 M en 2023).
Les revenus
La rivalité éternelle avec TF1 se dessine aussi dans la sphère du streaming, où chacun tente de capter une part significative des revenus publicitaires, désormais vitaux avec l'évolution des modes de consommation.
M6 prévoit que les recettes publicitaires du streaming représenteront 20% de ses revenus en 2028 (soit environ 200 M€, un triplement vs. les 74M€ de 2023), un objectif ambitieux qui reflète la conviction de la chaîne dans la croissance exponentielle du secteur.
Pour appuyer sa démonstration, Henri de Fontaines qui menait la présentation a souligné l’équation sur laquelle repose ce pari : un CPM près de deux fois supérieure pour un visionnage vidéo loguée que le CPM TV indifférencié, approximé par Médiamétrie sur l’audience broadcast.
L’investissement
L'investissement dans le streaming est conséquent, avec M6 annonçant un plan de 40 millions d'euros en 2024, destiné à augmenter jusqu'à 100 millions annuellement d'ici 2027.
“Cette enveloppe sera dévolue pour moitié aux contenus. L’autre moitié étant destinée au marketing, à la technologie et aux moyens humains."
Cet effort financier témoigne de l'engagement de M6 à se positionner comme un acteur majeur du streaming, rivalisant non seulement avec TF1 mais aussi avec les géants internationaux du secteur.
Technologiquement, M6+ reposera sur sa filiale Bedrock qui avait aussi servi de socle technologique pour feu la plateforme commune Salto, avec quelques innovations comme l'intégration d'un moteur de recherche à base d'intelligence artificielle ou l'amélioration de l'expérience utilisateur via un algorithme ajustant la pression publicitaire en fonction du comportement du consommateur et de son écran de diffusion.
En somme, M6 entreprend à son tour une révolution de son modèle, s'adaptant aux nouvelles réalités du marché et aux attentes des consommateurs, avec l'ambition de redéfinir le paysage audiovisuel français dans l'ère du streaming.
Philippe Bailly souligne dans son Digital Transformation Notepad que les perdants de ce renforcement de la concurrence entre les deux acteurs privés (rejoints cet automne par la nouvelle plateforme de France Télévisions) pourraient bien être les services SOVD Américains qui restent encalminer aujourd’hui à 60% de pénétration (tout de même!) du marché français.
Menacé 🤖: le cinéma face à l’intelligence artificielle
⏳ : 1 min 02 sec
Branle-bas de combat dans l’industrie du cinéma. On en parlait la semaine dernière avec les premières démonstrations (et ce ne sont que des démos à ce stade) de SORA d’OpenAI, son module text to vidéo en préparation.
Le CNC a mandaté Bearing Point pour réaliser une “cartographie des usages actuels et potentiels de l’IA, dans les métiers du cinéma, de l’audiovisuel et du jeu vidéo, afin d’accompagner ces filières dans la compréhension des opportunités, risques et enjeux associés à ces évolutions technologiques.”
Le premier draft présenté est assez complet et fait un inventaire des technos à l’oeuvre ou en devenir:
Les applications les plus notables pour le cinéma sont en postproduction ou animation où son impact est jugé majeur par les consultants, tandis que sa présence dans les phases de développement et de gestion de catalogue est encore anecdotique.
Le jeu vidéo, quant à lui, bénéficie de l'IA principalement dans le développement, où elle contribue significativement à l'innovation et à la personnalisation du gameplay.
La peur d'une uniformisation culturelle due à l'utilisation massive des mêmes outils d'IA, ainsi que les inquiétudes relatives à la perte des savoir-faire traditionnels et à la dépendance technologique sont palpables.
La question de l'impact environnemental de ces technologies, gourmandes en énergie, est également soulevée (sans qu’on voit d’ailleurs à ce stage quiconque dans les utilisateurs, réellement s’en soucier…)
Les quelques fiches de cas d’usage actuel de l’IA offrent d’ailleurs une bonne illustration dans laquelle on arrive davantage à se projeter :
Assistance à l’écriture de scénario
Prévisualisation : illustration du projet et storyboarding
Indexation et labellisation des rushes de tournage et des pistes audio
Création de bandes-annonces
Détection de triche et fraude grâce à l’IA (dans le jeu vidéo)
Lu 📚 : Shining de Stephen King (nouvelle traduction)
⏳ : 1 min 02 sec
Si comme moi vous avez la chance de ne jamais avoir vu l’adaptation cinématographique de Shining par Stanley Kubick (avec le mémorable Jack Nicholson dans le rôle de Jack), vous pourrez vous plonger avec délectation avec un regard immaculé, dans la lecture du roman de Stephen King qui l’inspira et qui vient de faire l’objet d’une nouvelle traduction et d’une belle édition reliée.
On le souligne fréquemment les grandes oœuvres ont vocation à être retraduite fréquemment, pour reprendre les termes de Walter Benjamin cités dans un article sur le sujet par L’Express :
Le destin de la plus grande traduction est de s’intégrer au développement de [la langue maternelle du traducteur] et de périr quand cette langue s’est renouvelée.
Et puis par ailleurs, c’est bon pour l’économie de la maison d’édition qui peut remettre une pièce dans la machine.
En l’occurrence ici, quelques termes ont été modernisés et près de 20% du texte qui avait disparu lors de la précédente traduction a ressurgi et avec lui, quelques références littéraires que King avait glissées comme sources d’inspiration dont Alice aux Pays des Merveilles et Zola.
L’histoire reste la même mais remet sur le devant de la scène Wendy qui était passé au plan secondaire du film : un jeune garçon Danny qui est touché par le don de vision, et sa mère accompagnent son respectivement père et mari, Jack, en voie de marginalisation professionnelle à la suite de différents dérapages, notamment liés à l’alcool, le temps d’un hiver dans un hôtel des alpages du Colorado. Le père devenu gardien se met à tenter de cerner l’histoire sanglante et morbide de l’hôtel, avant qu’un certain nombre de phénomènes surnaturels, comme souvent chez King, ne se produisent…