Le Wrap Up de la semaine où les Talibans ont interdit l'école aux filles (semaine du 21 mars 2022)
5 bullet points médias, tech et NFTs avec une pointe de culture à la fin
⏳: cette édition se lit d’après wordcounter.net en 8 minutes et 8 secondes
Au sommaire de cette semaine dans la tech et les médias :
Acté 👨⚖️ : le DMA européen veut montrer la voie à la régulation des GAMAMs
Espérés 🔓: les NFTs ou la promesse du retour de la rareté
Récurrent 🔄 : iPhone as a Service
Réticulaire 🌐 : l’exposition Réseaux-Mondes à Beaubourg
Fashionisées 👗 : les Précieuses Ridicules à la Comédie Française
Acté 👨⚖️ : le DMA européen veut montrer la voie à la régulation des GAMAMs
⏳: 2 minutes et 11 secondes
“Lorsqu'il y a une innovation, les Américains en font un commerce. Les Chinois, une copie. Les Européens, quant à nous Européens, nous en faisons un règlement.”
Cette boutade vient de l’ancienne présidente du Medef italien. Cette boutade pleine d’autoflagélation et fausse, vient de prendre un relief nouveau avec le vote par le Parlement Européen du Digital Markets Act (DMA), dont les tractations ont été menées tambour battant en moins d’un an après sa présentation par la Commission; Voici que l’Europe innove dans la réglementation.
Dans les grandes lignes, l’Europe définit un nouveau statut de GateKeepers pour les entreprises de service numérique dont :
le CA au sein de l’Union dépasse les 7,5 Md$ ou sa capitalisation boursière 75 Md€;
et qui comptent 45m d’utilisateurs européens mensuels (particuliers) ou 10 000 clients entreprise.
Ces entreprises devront se montrer exemplaires sous peine de se voir infliger des amendes de 10% de leur CA Monde (oh! la belle clause extraterritoriale que voilà), et même de 20% en cas de récidive.
Sont concernés par ces critères l’ensemble des GAMAM ainsi que le groupe chinois Alibaba avec son service AliExpress, le géant néerlandais de la réservation hôtelière Booking. Zalando frôle de peu la barre et n’est pas encore considéré comme tel. C’est la Commission qui désignera les “Gardiens de porte” avec possibilité d’appel en cas de coopération avec les services concernées (qui vont dès lors se doter d’analystes et d’experts en algo pour mener les enquêtes), beau renversement de la charge de la preuve.
Pour être exemplaires les entreprises devront, sauf autorisation :
s’empêcher de collecter à des fins publicitaires, les données d’un même internaute sur différents services;
ouvrir les stores pour Google et Apple à d’autres stores d’applications;
ne plus imposer leur service de paiement;
pouvoir supprimer les applications pré-installées;
Ne plus favoriser au sein des moteurs de recherche leurs propres produits et services;
laisser libre d’accès pour eux, les données commerciales et publicitaires de leurs clients; Par ailleurs, sans consentement, une entreprise ne pourra pas émettre de la publicité ciblée à ses utilisateurs, ce que semblait pousser Apple qui a déjà fait de ce gatekeeping une mesure de promotion de sa confidentialité et par là d’affaiblissement de ses concurrents Facebook et Google dépendants de la ressource publicitaire ;
Certaines marques ne pourront pas limiter certaines technologies à leurs applications. Par ex: la puce NFC de l’iPhone devrait être ouverte à tous, Apple Pay perdant ainsi son monopole;
Rendre interopérables les services de messagerie : un utilisateur de WhatsApp pourra discuter avec un utilisateur de Signal ou de Telegram (voire même de Messenger ou Instagram 😁) . Cette décision est vraiment historique, même si on le sait le diable se niche dans les détails et les acteurs concernés vont se faire un malin plaisir d’identifier les failles et les contradictions de ce texte majeur.
Numerama relève par exemple que l’interopérabilité des messageries ainsi promise reste encore bien mystérieuse : est-ce que toutes les messageries devront s’ouvrir à leur concurrent ? Un développeur tiers pourra-t-il développer une application réunissant WhatsApp, Messenger et iMessage en une ? Est-ce que l’hypothétique lancement de FaceTime sur Android est suffisant ?
Enfin, elles devront informer les autorités de leurs projets d’acquisition dans le numérique, la banque, la santé.
C’est probablement en cette fin d’année, vers octobre, que les entreprises devront se soumettre à ces règles, même si l’interopérabilité attendra sans doute un peu.
Pour une fois, cette innovation risque de faire des émules tant l’appétit de régulation des big tech est partagé à l’échelle de la planète.
Espérés 🔓: les NFTs ou la promesse du retour de la rareté
⏳: 2 minutes et 28 secondes
Ca n’est pas le plus expert, c’est assurément le plus fort en gueule, ce qui l’emmène souvent à dire des énormités pour amuser la galerie, au risque de quelques erreurs monumentales, pourtant Scott Galloway voit souvent loin (pour s’en convaincre, il faut le voir dans la dernière série WeCrashed sur Apple+ sur le naufrage de la startup aux 40 milliards de dollars de valorisation, WeWork).
Galloway commence par porter le couteau dans la plaie : l’étoile des NFTs, selon lui, est en train de pâlir. Les recherches Google et les volumes de vente sont en baisse (par rapport à l’été 2021). Cependant, c’est pour mieux en souligner les fondamentaux :
NFTs are deeds rendered in the world of bits, not atoms… NFTs offer digital commerce something the Internet lacks: scarcity and authenticity.
Soulignant que le digital avec le téléchargement des biens culturels a détruit leur profitabilité et donc leur capacité d’innovation à moyen terme (curieusement il choisit pour illustrer ce propos, l’arrivée de Napster dans la musique alors qu’on a pu mesurer exactement des effets contrastés : avec l’âge de l’accès, la fragilisation des majors a créé une concentration effrénée et incidemment des rentes de situation -souvent au détriment des créateurs- même si les revenus globaux ont baissé, la profitabilité elle n’est pas si mal en point).
Les NFTs ne sont donc peut-être pas la panacée universelle aux problèmes de défiance qu’offrent les institutions humaines cependant c’est une tentative méritante :
A potentially widespread, inexpensive way to offer credible scarcity and authenticity online, opening up new vistas of digital commerce.
Il est logique que cette perspective, ou disons mieux, cette possibilité attire, qui plus est dans un monde d’abondance de liquidités, de forts investissements de la part du venture capital. In fine, n’est-ce pas le rôle des VCs de financer les prises de risque et les scenarii possibles, il y aura des morts c’est certain, mais il ne fait aucun doute que des entreprises nouvelles surnageront et deviendront des acteurs très importants de cette branche de la technologie.
Pour Galloway, la spéculation autour des NFTs dans l’art avait toutes les chances de réussir particulièrement : c’est la classe d’actifs la plus dépendante à la rareté et à l’authenticité. La bulle des collections, dont les Bored Apes Yacht Club sont la manifestation la plus voyante, rappelle d’autres spéculations passées, sans doute plus encore dénuées de fondement :
Is this a JPEG ape bubble? Likely. Collectible bubbles are nothing new. Beanie Babies were individually unique, cartoonish figures produced at low cost and brilliantly marketed. In 1997, eBay sold $500 million worth in a month — 6% of the company’s annual sales. Garbage Pail Kids, Cabbage Patch Dolls, animation cells, POGS, tulips — the list goes on. Some endure, such as vintage baseball cards (outperforming the S&P 500 since 2008). There is a huge market for modestly priced art and un-bubbled collectibles that could benefit from digital scarcity and authenticity. NFTs also offer the potential for creators to collect royalties every time their art is sold in the secondary market, remedying some of the creative economy’s inequities.
Au-delà des classiques signes extérieurs de richesse, les marques (et dans le cas présent les collections) répondent aussi à un instinct commun d’appartenance et de reconnaissance :
We are a tribal species, and we sort ourselves with logos. Logos that we insist are “authentic,” despite the availability of knock-offs (contrefaçons). A robust ecosystem of intellectual property laws and institutions ensures a brand’s owners control scarcity, and NFTs augment that system in the digital economy.
De plus, Scott Galloway fait le pari que la portabilité des NFTs d’une plateforme à l’autre sera l’une des clefs de la pérennité de cette technologie.
On Fortnite you can acquire guns and outfits. On Reddit you gain badges. Point is: There’s a lot of stuff on the internet, but there isn’t much stuff that’s yours… As our lives move further online, so will our stuff, and we’ll need some sort of infrastructure that allows us to own it.
Récurrent 🔄 : iPhone as a Service
⏳: 1 minute et 1 seconde
Après avoir rendu les morceaux de musique louables, les séries-films, les logiciels (à travers l’appstore), les titres de presse et les jeux, ainsi que les appareils de fitness louables, il fut logique qu’Apple s’attaquât au device lui-même. Envisager la location de son téléphone est une bonne façon de maintenir ses consommateurs dans le giron de la firme à la pomme (la fidélité était déjà forte, au delà de 90% de renouvellement).
Apple avait créé l’an dernier, la mère des abonnements : l’abonnement Apple One. De fait son service d’assurance anti-casse relevait déjà par certains aspects de la logique d’abonnement1 :
According to Bloomberg’s report, the monthly charge wouldn’t simply be the price of the device divided by 12 or 24 months, but rather be a still-undecided monthly cost, potentially with the option to upgrade to new hardware as its released.
L’article de The Verge laisse entendre qu’Apple pourrait ne pas se contenter de ce simple arrangement arithmétique, mais qu’il pourrait proposer de louer une version élaborée de son téléphone pour une durée temporaire, quitte à rétrograder l’appareil lorsque le besoin disparaît (une piste intéressante serait l’activation de certaines fonctions pourrait se faire sans changer de device ?).
Ainsi, par exemple, on pourrait imaginer qu’un mariage pourrait nous convaincre d’augmenter le temps d’un weekend, la résolution des photos ou la capacité de stockage de l’appareil ?
C’est sans doute également pour Apple une nouvelle façon de réduire le recours à des intermédiaires dans sa distribution (coucou Fnac Darty) coûteux en renforçant sa relation avec le consommateur final. Cette logique, si couronnée de succès, pourrait tout aussi bien être étendue aux ordinateurs de la gamme Apple;
Réticulaire 🌐 : l’exposition Réseaux Mondes à Beaubourg
⏳: 55 secondes
Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po nous avait rebattu les oreilles en “Espace Mondial”, McLuhan en avait parlé avant lui dans le Village Global, le Centre Pompidou à Paris a mis à l’honneur une exposition des plus éclectiques autour de la naissance de la notion de réseau comme matrice géopolitique. A partir de la Renaissance (où le terme réseau apparaît comme étant un petit filet) jusqu’à celle de Capitalisme de Surveillance qu’est censé incarner les GAMAMs et autres systèmes d’écoutes internationales de type Echelon.
L’exposition livre la vision d’une soixantaine d’artistes, de tout type, du designer au performer (qui ingère des êtres monocellulaires neuronaux capables de se développer en réseaux et prétendument capable de créer des états de conscience au sein de son hôte) en passant par des designers de structure réticulaire. Tous portent un regard inquiet sur la place du réseau des réseaux dans nos sociétés, rebaptisé social pour lui donner une touche plus humaine.
On appréciera particulièrement l’exposition de minitels ou cette gamme d’appareils développés par Katja Trinkwalder et Pia-Marie Stute qui en se greffant sur les objets connectés du foyer (enceinte alexa, caméro d’ordinateur portable) alimentent en fausses informations biométrique, visuelles et audio afin de perturber les algorithmes et d’empêcher le pillage de vos données personnelles.
Le message est le medium, comme disait le même MacLuhan, et à la lumière de cette exposition, on se rend encore mieux compte de l’aspect totalement structurant du réseau sur nos vies contemporaines.
Fashionisées 👗 : les Précieuses Ridicules à la Comédie Française
⏳: 1 minute et 8 secondes
On se pressait à la première des Précieuses Ridicules de Molière vendredi dernier au théâtre du Vieux Colombier. Devant une salle comble (la billetterie est malheureusement complète), Stéphane Varupenne (déjà apprécié comme Sganarelle dans le Dom Juan dans la même salle) et Sébastien Pouderoux ont donné leur interprétation de la première pièce de Molière montée à Paris et ont montré à quel point les travers de chaque époque peuvent faire l’objet d’une réinterprétation contemporaine permanente (ici le besoin d’en être : « Pour moi, je tiens que hors de Paris il n’y a point de salut pour les honnêtes gens. »)
La starification de notre société trouve un écho très actuel dans le texte de Molière qui moquait en son temps les Précieuses, ces mondaines qui donnaient en leur salon, le ton dans le Tout-Paris (Mme de Scudéry, Mme de Rambouillet dont la Carte de Tendre est illustrée sur un panier de basket).
Au milieu des boites à chaussures de grandes marques vides et des oeuvres pseudo-abstraites, qui servent à jouer au basket, les jeunes femmes s'inventent une vie dans laquelle elles s'imaginent en papesses du bon goût.
“À ce décorum d’une vie sublime, mais factice, s’ajoute une velléité d’être artiste, explique Stéphane Varupenne. On pense bien sûr aux chorégraphies TikTok que les jeunes gens imitent, mais aussi à l'offre pléthorique de tutos sur les réseaux sociaux.”
On trouvera peut-être à redire sur les choix des comédiennes Magdelon (Séphora Pondi) et Cathos (Claire de La Rüe du Can) est admirable mais une lecture pernicieuse pourra y déceler une critique élitiste de la banlieue qui veut faire semblant.
On a tous entendu de cette légende urbaine, où le vendeur Apple brise devant le consommateur éberlué le téléphone pour faire jouer la garantie de renouvellement pour que ce dernier puisse bénéficier du téléphone dernier cri.