Le Wrap Up de la semaine où la Russie a envahi l'Ukraine (semaine du 21 février 2022)
5 bullet points : médias, tech, NFTs
Au sommaire de cette semaine historique :
Etendu 🙆♂️ : Tiktok veut imposer les formats longs quoiqu’il arrive
Concurrentiel 🤜🤛: les majors de la musique s’activent dans le Web3 avant que les groupes médias s’en mêlent
Leveragés 🎚 : la presse américaine sous fonds de private equity
Rhabillé 👟 : le rap français dans les pas du business du grand frère US
Remémoré 🇫🇮 : comment vivre à l’ombre d’une superpuissance, retour sur la Finlandisation
Etendu 🙆♂️ : Tiktok veut imposer les formats longs quoiqu’il arrive
Nous en parlions il y a quelques semaines Tiktok a décidé de passer la seconde vitesse au sujet de sa monétisation : publicité, ecommerce et “économie de la création”.
Ce que nous avions alors effleuré était la volonté farouche de Tiktok de prendre toujours plus de poids en matière de vidéos en ligne : un article de Wired mentionne une étude interne de Tiktok de juin 2021 qui fait le constat d’une hypercompétitivité pour les contenus vidéos et que l’introduction de contenu vidéo plus long provoquerait une tension, un stress chez les utilisateurs, peu propice à un bon engagement dans la vidéo :
Nearly 50 percent of users surveyed by TikTok said videos longer than a minute long were stressful; a third of users watched videos online at double speed.
Néanmoins, en juillet 2021, le product manager de TikTok aux US annonçait que la durée maximale des vidéos allait passer d’une à 3 minutes. Depuis, l’app n’a cessé de tester des formats plus longs (déploiement de vidéos de 5 minutes entre août 21 et février 2022) et aurait même beta-testé des vidéos de 10 minutes de long.
Tiktok ferait le pari que ses utilisateurs ne savent pas ce qu’ils veulent et qu’ils “peuvent” regarder des vidéos plus longues. En fin par ailleurs, c’est le sens impératif de son modèle économique: pour soutenir sa croissance de revenus, l’app a besoin de vidéos plus longues, qui génèrent plus d’attention et permettent de vendre plus de pub:
“Ultimately, if five-minute videos help TikTok push their average watch time up by even a few seconds, traditional advertisers may feel they have more freedom, and tech is always looking for as much revenue as possible,” says Karyn Spencer, an industry expert who previously worked for now-defunct short form video app Vine.
Les recommandations de Tiktok à ses utilisateurs vont d’ailleurs dans ce sens :
En juin 2020, un guide de recommandation indiquait que la durée optimale était entre 11 et 17 secondes;
En novembre 2021, cette recommandation était passée entre 21 et 34 secondes;
L’an dernier, TikTok a déployé une app pour Smart TV indiquant là aussi son intérêt pour aller chercher des utilisateurs plus laid back et donc susceptibles de regarder plus longtemps.
Pour mémoire, les utilisateurs moyens de Tiktok y consacreraient 1 heure et 25 minutes par jour répartie sur 17 ouvertures quotidiennes de l’application chinoise (pour un parc installé estimé, excusez du peu, à 1 milliard de personnes).
Ainsi, malgré des estimations de revenus de l’ordre de 4 Md$ pour 2021, on comprend qu’il peut y avoir un vrai intérêt à faire évoluer la base initiale des utilisateurs vers des consommations plus longues, quitte à en perdre quelques-uns au passage si les revenus par utilisateur augmentent rapidement (un des autres effets de cet allongement, relatif, est d’attirer ou de retenir également des publics plus vieux et donc plus monétisables également : plus de la moitié des utilisateurs au UK ont entre 18 et 34 ans. En outre un autre avantage serait, pourquoi pas, d’introduire des mid-rolls dans la vidéo actuelle, ce qui peut paraître encore sacrilège aux yeux des tiktokers actuels, mais beaucoup plus communs pour les consommateurs habituels courants.
L’article fait toutefois remarquer qu’en opérant ce virage Tiktok se coupe de plusieurs de ses avantages concurrentiels majeurs :
une plus grande difficulté à construire un algorithme de recommandation très rapidement adapté aux goûts de son public grâce à des vidéos vues en rafale1
Par ailleurs, des vidéos plus longues sont aussi plus favorables au multi-tasking alors que la plateforme actuelle se démarque par son côté addictif et immersif (le temps y passe souvent plus vite !).
Enfin, les vidéos plus longues si elles visent à retenir les mêmes abonnés, nécessiteront sans doute de la part des créateurs davantage d’investissements dans la qualité de la production, réduisant d’autant l’accès à la créativité de la longue traîne des jeunes créateurs actuellement présente sur la plateforme.
Enfin dernière hypothèse soulevée par l’article, Tiktok poursuivrait la stratégie de son application soeur chinoise, Douyin, qui a opéré le même virage stratégique en 2019 et qui s’est soldé par un premier pied dans la coproduction de contenus pour ses propres besoins :
The implausibility of individual TikTok creators producing enough longform videos at pace may explain what happened to its sister app Douyin when it pursued longer videos. When the Chinese app began stretching the maximum length of video allowed on the platform in 2019, the type of longer content changed from being dominated by rank-and-file users to more professional production companies. In 2020, Douyin began co-producing variety, reality and talent shows with traditional production houses. “I think it is plausible that TikTok might make similar moves to produce its own programmes, once it’s done sufficient testing, research and improvement of its long video features in the western market,” says Zeng.
Concurrentiel 🤜🤛: les majors de la musique s’activent dans le Web3 avant que les groupes médias s’en mêlent
Disney a annoncé l’embauche de Mike White comme Senior VP de “Next Generation Storytelling and Consumer Experience” afin de travailler aux côtés des équipes créatives de Disney afin de “définir comment les consommateurs vont vivre le Métaverse à venir de Disney”. Cette nomination faite suite aux différentes déclarations de l’entreprise sur son intention de construire un parc d’attractions virtuel.
Disney ne semble pas seul à faire des investissements et à recruter dans le Web3, Youtube a fait des annonces du même ordre, ainsi que Spotify ou encore Facebook, cherchant à chaque fois à lier tech et média, avec une certaine fascination pour trouver une nouvelle martingale entre les mondes et les biens virtuels avec la détention de leurs propriétés intellectuelles.
Comme nous le soulignions la semaine dernière, les maisons de disques ont montré un activisme important en la matière. Cependant cette montée en force des majors devra rapidement se mettre en place pour recruter les talents, avant que les grosses firmes tech et vidéos ne cherchent à remplir à leur tour à leurs rangs.
Leveragés 🎚 : la presse américaine sur fonds de private equity
Depuis 2005, près de 2 200 quotidiens ont fermé aux Etats-Unis. L’autre signe des temps d’un secteur en détresse est également le nombre d’acteurs détenus par des fonds de retournement ou de private equity : leur part est passée de 5% en 2001 à 23% en 2019. The Economist, toujours prompt à prendre la défense des formes les plus abouties du capitalisme financier, souligne qu’en dépit des craintes habituelles face aux attentes de réductions drastiques des coûts et des licenciements massifs, ce phénomène s’est avéré par certains aspects positifs.
Commençons par les négatifs :
les départs furent plus nombreux que dans les titres non détenus par des fonds;
la part des actualités locales a baissé dans l’ensemble de près de 10% dans ces titres, ce qui eut pour effet de :
davantage polariser politiquement les lecteurs (les sujets nationaux sont davantage clivants);
réduire la participation aux élections locales (corrélation ne valant pas causalité);
Cependant pour les côtés positifs : les études montrent que les journaux rachetés ont eu 75% moins tendance à fermer et les quotidiens ont eu 60% de chances en moins de passer sur un rythme de parution hebdomadaire.
Il se peut que cela fut également la conséquence d’une stratégie d’acquisition précise : les journaux rachetés avaient des diffusions moindres mais aussi un revenu publicitaire par page plus élevé et donc au final être une meilleure affaire capable de survivre. Cependant, entre l’affaiblissement des actualités locales ou leur disparition totale au profit de l’actualité nationale, The Economist est qu’il faut sans doute préférer le moindre des deux maux.
Rhabillé 👟 : le rap français dans les pas du business du grand frère US
Un long article dans la très bonne revue La Réclame au sujet du rapport des rappeurs français et des marques.
On y apprend que le rap français est devenu le premier genre musical écouté en 2021 et que les artistes de ce mouvement cherchent de plus en plus souvent à maîtriser tous les codes autour de la création de leur marque personnelle (Booba, et plus récemment Orelsan et PNL reviennent souvent dans l’article).
La musique seule génère moins de revenus qu’auparavant quand un artiste pouvait compter sur les ventes de supports vinyles et disques, les tournées, le merchandising. Aujourd’hui, avec la dématérialisation, les supports ont quasiment disparu, ils doivent capitaliser sur leur notoriété et n’ont d’autres choix que de se diversifier… À l’instar de Kanye West et Pharrell Williams, ils sont créatifs et influents auprès de leur audience, il n’y a donc pas de raison de ne pas se lancer.
Suivant en cela les codes du rap US même si ce dernier a fait depuis longtemps sa mue : d’une contre-culture, il représente aujourd’hui la culture populaire dominante, ce qui n’est pas encore tout à fait le cas du rap français qui conserve, selon l’article, une atmosphère de controverses, de violences.
Pour les marques, il s’agit de se parer à peu de frais des attributs de la street cred qui leur feraient défaut. Une des bascules est notamment venue du luxe avec le modiste Virgil Abloh et son arrivée à la tête des collections hommes de Louis Vuitton.
« Aujourd’hui, les marques s’intéressent aux rappeurs, c’est certain, observe Damien Régnier. Ce n’était pas le cas par le passé. Arsenik était entièrement sapé en Lacoste sur les visuels de leurs albums, dans leurs clips, etc., au grand dam de la marque ! Vingt ans plus tard, Lacoste sponsorise Moha La Squale et Roméo Elvis. Avec le succès que l’on connaît. »
Remémoré 🇫🇮 : comment vivre à l’ombre d’une superpuissance, retour sur la Finlandisation
C’est l’histoire d’un mot qui traverse l’histoire de la seconde moitié du siècle dernier : “finlandisation”.
Florent qui écrit la toujours instructive newsletter, Les Eclectiques, refait à l’ombre du dernier livre du géographe Jared Diamond, Upheaval, l’historique du terme Finlandisation.
Il revoit ce terme pour le sortir du discrédit dans lequel l’avait plongé l’histoire (celui de la pleutrerie institutionnalisée au rang de stratégie diplomatique) pour au contraire, souligner le sort de ces nations trop proches d’un superpuissant voisin et qui cherchent les moyens de survivre une fois qu’elles savent que personne ne viendra à leur secours (et qui ont accessoirement 800 km de frontières communes avec ce voisin).
Au prix d’un certain nombre de compromis (payer des indemnités de guerre démesurées, interdire l’Archipel du Goulag, etc…) et de certains pans de la souveraineté, on peut en effet arriver à vivre quelque 70 ans sous les canons russes et même au-delà. Une stratégie à méditer à l’heure de l’assaut donné sur Kyiv.
On recueille 12 fois plus de data à durée équivalente de visionnage, entre des vidéos de 15 secondes et une vidéo de 3 minutes.