Le Wrap Up de la semaine où BFM et RMC furent cédés à CMA CGM (semaine du 11 mars 2024)
💸 : BFM et RMC vendues - 🧑🏫 : une entente cordiale entre IA et journalisme - 🤝 : AP lance sa marketplace - 🇺🇸 : Tiktok vendu à une entreprise US ? - 🌍 : Magellan encore
Au sommaire de cette semaine :
Pragmatique 🤝 : comment le journalisme peut travailler avec l’IA ?
Américanisé 🇺🇸 : Tiktok forcé à être vendu à une entreprise US ?
⏳ Temps de lecture : 8 minutes 44 secondes
Vendues 💸 : BFM et RMC prennent le large
⏳ : 1 min 17 sec
Dans un mouvement qui chamboule le paysage médiatique français, le groupe Altice, dirigé par Patrick Drahi, a annoncé l’ouverture de négociations exclusives de sa filiale média Altice Média, incluant notamment BFM-TV, BFM Business, BFM Régions, BFM Radio, RMC, RMC Story, RMC Découverte, RMC Sport au géant de la logistique et du fret CMA CGM, piloté par l'armateur franco-libanais Rodolphe Saadé.
La vente répond à deux besoins urgents :
Drahi doit réduire les dettes considérables d'Altice,
tandis que Saadé souhaite utiliser les profits exceptionnels de CMA CGM, boostés par la pandémie, pour créer un empire médiatique.
Cette transaction survient dans une période de grandes transformations dans le secteur des médias, illustrées récemment par l'annulation de la fusion entre M6 et TF1, et l'échec de la vente de M6 par le groupe Bertelsmann.
La filiale média de CMA CGM, Whynot Media, émerge comme un acteur important du paysage ayant précédemment acquis des journaux régionaux (La Provence) et une plateforme d'information économique (la Tribune), et détient maintenant une part significative de M6 (10%) et une participation dans l’acteur social media, Brut.
La transaction reflète l'urgence d'agir avant la fermeture de la fenêtre d'opportunité pour la vente, liée aux démarches réglementaires pour l'attribution des autorisations de diffusion1, et semble avoir été simplifiée par le fait que Whynot Media ne possède pas déjà de chaîne de télévision ou de station de radio, évitant ainsi les obstacles antitrust potentiels. Malgré cela, l'accord reste sujet à l'approbation de l'Autorité de la concurrence et devra s'aligner sur le calendrier fixé par l'Arcom.
Pour Altice, cette cession signifie la fin d'une ère dans les médias français, marquée par de grandes acquisitions mais aussi par une dette considérable. Bien que le montant de la transaction n'ait pas été divulgué (l’Agefi parle de 1,55 Md€ pour un groupe qui faisait en 2022 près de 350 M€ de CA avec un résultat opérationnel de 109 M€), l'importance stratégique de BFM-TV et RMC pour Saadé réside dans leur forte notoriété, leur rentabilité et leur public ciblé, sans compter l’éventuelle influence politique que confèrent des médias d’information en France…
Pragmatique 🤝 : comment le journalisme peut travailler avec l’IA ?
⏳ : 1 min 44 sec
C’est Philippe Meda qui a attiré mon attention sur cette conférence à South by Southwest (SxSW) de Zach Seward (désormais editorial director of AI initiatives au New York Times).
La conférence commence par pointer le pire de l’utilisation de l’IA :
CNET semble avoir généré des articles de how to financier pour ses utilisateurs dans le but d’en faire des pages à clic pour sa monétisation),
idem pour Gizmodo
voire Sports Illustrated qui est même jusqu’à créer de fausses pages de profil de ses journalistes-bots avec des photos de banques d’image.
Ensuite, une première utilisation est l’analyse de nombreuses données (comme le cas des Mauitius Papers, qui étaient des fuites sur l’évasion fiscale de nombreuses personnalités, à la manière des LuxLeaks et des Paname Papers).
It made the work of combing through the Mauritius Leaks not just more efficient, but actually just possible. We're talking about 200,000 extremely technical documents. You can't just read that page-by-page. You need the help of a machine.
Autre cas d’usage, lire des milliers de clichés pour y repérer des détails répétitifs :
pour repérer par exemple les trajectoires d’avion qui décrivaient des cercles au dessus des grandes villes US, sans doute la preuve d’espionnage de la part de puissances étrangères (BuzzFeed) ;
“Lire” des milliers d’image pour compter le nombre de câbles utilisant encore du plomb dans leur composition en place aux US (WSJ) ;
comme avec cet exemple de comptabilisation de cratères de bombes représentés sur des milliers d’images satellites de la Bande de Gaza (NY Times) :
The Times programmed an artificial-intelligence tool to analyze satellite imagery of South Gaza to search for bomb craters. The AI tool detected over 1,600 possible craters. We manually reviewed each one to weed out the false, like shadows, water towers, or bomb craters from a previous conflict. We measured the remaining craters to find ones that spanned roughly 40 feet across or more, which experts say are typically formed only by 2,000-pound bombs. Ultimately, we identified 208 of these craters in satellite imagery and drone footage, indicating 2,000-pound bombs posed a pervasive threat to civilians seeking safety across South Gaza.
Ainsi l’IA vertueuse pour le journalisme serait un précieux assistant qui répond aux demandes précises du journaliste, mais qui a déjà fait ce travail de savoir ce qu’il voulait représenter et comment le rechercher.
On retrouve souvent cette approche pour Midjourney pour lequel vous devez déjà réfléchir à des prompts pertinents pour lui faire représenter ce que vous voulez.
En conclusion :
(...) using generative AI, give us a sense of the technology's greatest promise for journalism (and, I'd argue, lots of other fields). Faced with the chaotic, messy reality of everyday life, LLMs are useful tools for summarizing text, fetching information, understanding data, and creating structure.
TLDR ;
Sur SxSW : lire aussi bien sûr l’inénarrable Meta Media de France Télévisions et par Katie Breme (longread);
Sur l’IA en France : 🧑🏫 : 25 propositions pour l’IA en France (rapport remis au Président de la République avec les contributions d’éminences de l’IA);
Sur la nouveauté IA de la semaine : Persistant 👩💻 : Midjourney permet de garder les traits d’une image à travers les différentes tentatives que vous pouvez faire;
Vendue (bis) 💰 : Associated Press lance une marketplace
⏳ : 1 min 29 sec
La célèbre Associated Press (AP), fidèle à sa tradition de pionnier des médias, se lance dans une nouvelle aventure en embrassant l'ère du numérique avec l’ouverture de son site e-commerce, AP Buyline, en collaboration avec le fournisseur de liens de bas de page Taboola, comme le révèle Axios Media cette semaine.
Ce mouvement s'inscrit dans une démarche plus large de diversification des revenus de l'AP, cherchant à capter une part plus conséquente des revenus consommateurs, en complément de ses revenus traditionnels issus des licences de contenu vendues à d'autres organisations média. Avec une refonte de son site web l'année dernière visant à augmenter le trafic des consommateurs et les revenus publicitaires, l'AP s'arme pour le futur.
Dès le 18 mars, AP Buyline proposera des conseils en finance personnelle couvrant un éventail de produits allant des cartes de crédit aux investissements, en passant par les assurances et l'épargne-retraite.
Ce n'est qu'un début, puisque d'autres catégories telles que les produits pour la maison, la beauté et la mode seront introduites en cours d’année (avril).
L’équipe de Taboola, dirigée par Will Kenton, ancien rédacteur en chef spécialisé dans la finance personnelle, sera chargée de produire des contenus, notamment des critiques de produits, en étroite collaboration avec l'AP pour s'assurer du respect des normes et du style éditorial de l'agence. Cette initiative est lancée à l'AP par Drew Stoneman, vice-président du revenu consommateur.
Taboola (côtée depuis 2021) diversifie ainsi les services rendues aux éditeurs, en se positionnant désormais comme acteur de l'e-commerce.
L'acquisition de la plateforme e-commerce Connexity pour 800 M$ en 2021 était déjà un premier pas significatif. Cette ambition est renforcée par le lancement de Taboola Turnkey Commerce l'an dernier, une initiative offrant aux éditeurs une solution clé en main pour la vente de publicités affiliées. Une collaboration avec Time pour la création du site "Time Stamped" attire désormais 3 M de VU et donne une illustration de la capacité de Taboola à étendre son empreinte.
Cette incursion d'Associated Press via Taboola, dans le monde de l’e-commerce reflète une stratégie de diversification qui se cherche. Elle témoigne de la volonté de l'AP de ne pas se contenter de survivre mais aussi d’être offensive et de prospérer en exploitant les opportunités économiques, tout en tentant de rester fidèle à son engagement de fournir un contenu de qualité et fiable.
Reste à espérer que les articles de conseil économique ne soient pas entièrement générés par l’IA comme ceux de CNET… (voir ci-dessus).
Américanisé 🇺🇸 : Tiktok forcé à être vendu à une entreprise US ?
⏳ : 1 min 56 sec
The Economist cette semaien explore l'impérieuse nécessité pour le réseau social vidéo TikTok de prendre ses distances de ses racines chinoises si l’entreprise souhaite maintenir sa présence sur les écrans occidentaux, rien que ça…
Le débat autour de TikTok, propriété de la société chinoise ByteDance, s'intensifie aux États-Unis avec le passage d'un projet de loi à la Chambre des Représentants voté à l’unimité le 13 mars dernier, exigeant la vente de l'application à des propriétaires non chinois sous peine d'interdiction sur le sol américain. Si le Sénat s’aligne et vote la résolution, une des applications les plus téléchargées au monde pourrait être forcée de changer de main, sous la contrainte du gouvernement Américain.
Cette situation met en lumière la tension croissante entre la protection des données personnelles, la souveraineté numérique et l'innovation dans le domaine des médias sociaux.
L'article permet de déconstruire certains mythes tenaces autour de TikTok, notamment l'accusation selon laquelle l'application collecterait plus de données qu'elle ne le prétend ou plus que ses concurrents comme Facebook.
Cependant, il souligne une véritable préoccupation : l'influence grandissante de TikTok en tant que plateforme médiatique large, avec 170 millions d'utilisateurs aux États-Unis et un tiers des adultes américains de moins de 30 ans la considérant comme une source d'information. Le contrôle potentiel de cette plateforme par un gouvernement chinois idéologiquement en conflit avec l'Occident suscite une inquiétude légitime.
En mettant en parallèle la régulation des médias traditionnels, qui impose des restrictions sur la propriété étrangère, et la nature émergente et influente de nouvelles plateformes comme TikTok, l'article argue en faveur d'une vigilance accrue.
La capacité de TikTok à offrir un contenu personnalisé rend difficile l'évaluation de sa ligne éditoriale et soulève des questions sur la manipulation potentielle par Pékin.
Malgré les efforts de TikTok pour se conformer aux exigences occidentales, notamment en tentant de séparer les données des utilisateurs américains et en ouvrant son code à l'inspection, l'article critique la position de l'entreprise comme étant contradictoire : elle affirme que vendre ses opérations américaines serait peu pratique en raison de leur intégration profonde avec le reste de l'entreprise, mettant ainsi en doute sa ligne de défense sur une séparation stricte d'avec Pékin (l’application en Chine n’est pas tout à fait similaire et se nomme DouYin).
L'auteur conclut sur la nécessité d'appliquer désormais les mêmes régulations aux nouveaux médias qu'aux anciens, soutenant la séparation entre TikTok et l'influence d'un pays aussi "manipulateur et idéologique" (sic) que la Chine.
Un article de CNN de son côté a tenté de voir qui pourrait se mettre sur les rangs pour mettre en oeuvre ce rachat : Meta, Google seraient hors jeux du fait de leur position déjà dominiante dans la publicité en ligne, Microsoft est en délicatesse sur son deal avec OpenAI, et Apple ne semble pas très compatible avec la culture scrappy des réseaux sociaux où la régulation et l’équanamité de l’expérience utilisateur sont difficiles.
Des acteurs aussi disparates que Walmart, Oracle (comme ce fut déjà évoqué sous le mandat de Trump) ou encore le fondateur d’Activision Blizzard avec le soutien de puissants financiers (potentiellement Sam Altman d’OpenAi) paraissent plus crédibles…
Et sinon un acteur européen avec une centaine de milliards de dollars à dépenser ?
Circumnavigué 🌍 : qui a fait le tour de quoi ?
⏳ : 1 min 38 sec
Après avoir l’excellent documentaire sur Arte, je vous invite à poursuivre l’exploration de l’expédition de Fernand de Magellan et de Juan Sebastián Elcano, non pas comme un simple récit d’aventures glorifiant l’entrée de l’Europe dans la modernité, mais plutôt comme une épopée complexe et nuancée, riche en personnages, cultures et enjeux.
Ce texte de Romain Bertrand propose de briser le moule traditionnel du récit d’aventure pour embrasser une perspective plus large, où les voix des autochtones et esclaves prennent de l'importance.
L'auteur nous encourage à envisager cette histoire avec une nouvelle acuité, en se plaçant du point de vue des îles Cebu, des mangroves de Bornéo, plutôt que du seul pont de la Victoria, le navire qui a achevé cette circumnavigation historique.
Il s’agit de reconnaître et de valoriser les mondes que les Espagnols n’ont qu’effleurés lors de leur expédition, en accordant, selon les termes de l’auteur, une « égale dignité narrative » à tous les êtres et choses impliqués dans cette histoire.
Le texte challenge l’idée reçue selon laquelle l’expédition de Magellan ne serait que l’histoire d’un progrès européen unilatéral, et suggère au contraire que ce fut une rencontre de multiples mondes, où des cultures jusqu’alors inconnues des Européens jouaient des rôles tout aussi cruciaux.
Les Indiens, les sultans, les Malais sont invités à partager le devant de la scène, réécrivant ainsi l’histoire non pas comme une série d’événements isolés, mais comme un tissu complexe d’interactions et de récits entremêlés.2
Cette réinterprétation se veut plus qu’une simple critique; elle cherche à enrichir notre compréhension de l’histoire avec un style fleurie et poétique, en reconnaissant la valeur des différentes perspectives.
Voici si besoin était, une nouvelle occasion de remettre en question le récit officiel des Grands Explorateurs, souvent unidimensionnel, pour révéler une vérité plus profonde, complexe et nuancée sur l’expédition de Magellan, suggérant que la véritable histoire est celle où tous les participants, européens ou non, sont reconnus pour leur contribution et leur impact sur le cours des événements.
L'auteur nous invite à reconsidérer non seulement l’histoire de l’expédition de Magellan mais aussi notre approche de l’Histoire en général, nous poussant à reconnaître qu’une première mondialisation était déjà à l’œuvre dans ces îles de l’Insulinde aux carrefours de multiples civilisations bien avant l’arrivée du jeu européen avec notamment sa puissance de feu supérieure et son esprit de lucre aiguisé.
Les prochains attributaires de licence TNT par le CSA devront les conserver pour une durée de 5 ans, sans pouvoir changer de propriétaire.
Car après tout c’est l’expérience de Magellan lors de la prise du fortin de Malacca par les Portugais qui lui donna l’envie d’arriver “de l’autre côté” pour mettre la main sur le fabuleux trésor de l’île aux Epices !