Le Wrap Up de la semaine où l’on n’a pas été reconfiné (semaine du 24 janvier 2021)
5 bullet points : médias, tech, société avec une pointe de culture
Temps de lecture : 10 min 15 sec
Au sommaire :
Prédictions 2021 🔮 : épisode 4/4 avec John Battelle
Webinar SVOD 📽️ : pas que Netflix dans la vie ? les offres des plates-formes alternatives
Confinés 📵 : Apple et Facebook (et Google) sont dans un bateau
Squeezé 🍋 : le premier “crowdsourced short squeeze”
Lu 📙 : Deux Jeunesses Françaises d’Hervé Algalarrondo
Prédictions 2021 🔮 : épisode 4/4 avec John Battelle
Janvier touche à sa fin et avec lui la série des prédictions 2021. Le dernier de la série des prédictions est John Battelle, analyste et acteur historique de la scène tech media, qui commet chaque depuis 18 ans ses prédictions pour l’année à venir.
Voici ses auspices pour 2021 :
Disinformation becomes the most important story of the year
Pour Battelle, le passage de relai de Trump à Biden n’atténuera en rien la désinformation, et nous constaterons que notre “système médiatique d’informations” est, selon ses termes, cassé. Les entreprises privées vont de plus en plus se rendre compte du caractère néfaste pour leurs propres résultats (les tourments de l’affaire boursière Reddit/GameStop viennent déjà confirmer ce funeste présage, voir plus bas). La baseline :
“A free and open democratic economy can’t run on bullshit.“
La réponse ne sera pas facile et elle requerra de s’attaquer de front au sujet des deepfakes, de l’anonymat sur internet (personnellement une question sur laquelle je reste partagé) et de la viralisation des infox sur les plates-formes sociales.
Facebook’s chickens come home to roost (“le retour de bâton”)
L’idée n’est pas s’étendre de nouveau sur la puissance d’influence de la plateforme de Mark Zuckerberg, son caractère malveillant et l’absence de contrôle. Le pari que fait Battelle est que cette année la pression croissante sur Facebook va se muer en action coercitive sur ses dirigeants, que la nouvelle administration américaine ne fera pas mystère de son hostilité à son égard, d’autant que la société aux Etats-Unis devrait connaître une décroissance de l’engagement de ses utilisateurs (cependant pas très étayé dans les faits).
Pour ma part, en dépit de l’hostilité croissante à l’égard de Zuck et des postures de boycott des grands annonceurs de la plateforme, je ne parierais pas sur cette tendance : les ingénieurs de Facebook, en témoignent la mutation à marche forcée d’Instagram vers une plateforme vidéo rivalisant -par sa base installée notamment- avec Tiktok, continuent d’avoir un avantage et un savoir faire sur sa concurrence directe. Le lobbying de la société met les bouchées doubles et continue d’avoir des leviers d’influence puissants. Le front (voir bullet point plus) qui s’ouvre avec Google contre Apple permettra de voir qui a in fine le plus de levier d’influence.
AI has a mid-life crisis
Battelle argue que ces dernières années ont démontré l’incroyable force de l’AI pour résoudre les enjeux de la logistique, faire avancer la recherche médicale et bien d’autres applications, mais il pense qu’en 2021 la conscience de sa capacité de nuisance va connaître de nouveaux développements, Battelle veut croire que le pouvoir politique va investir ce champ et poser certaines limites.
A mon humble avis, le techno-mysticisme me semble tellement ancré dans nos sociétés modernes et le retard traditionnel du politique sur ces enjeux de société ne plaident pas en faveur de cette nouvelle remise en cause. Peut-être pour aller dans le sens de Battelle, faut-il prendre en considération, à l’autre bout de la Terre, la volonté du pouvoir chinois de maîtriser les vélléités démiurgiques des géants de la tech chinoise, dont on sait qu’ils n’ont pas les mêmes réticences à déployer les AI partout, mais ces derniers ont montré qu’ils étaient prêts à tester les limites du pouvoir communiste, comme on a pu interpréter la disparition pendant 1 mois du fondateur d’Alibaba, Jack Ma, après “l’échec administratif” de l’IPO d’Ant Group.
Néanmoins : un nouvel élan d’optimisme suscité par les découvertes tech
Battelle reconnaît que ces 3 premières nouvelles négatives pourraient être contredites par de nouveaux enthousiasmes causés par le succès, au choix, des biotech et de la “bio-informatique” (voire les techno à l’origine du vaccin contre le COVID), la blockchain (bien qu’il prédit un crash des cryptomonnaies imminent) et la promesse des batteries au lithium comme alternatives aux carburants fossiles.
Google does in 2021 what I predicted it would in 2020.
Battelle est un des meilleurs connaisseurs de Google (il lui a consacré un ouvrage remarqué The Search en 2006 dans lequel il soulignait comme Google allait révolutionner notre vie), aussi on peut supposer qu’il parle en connaissance de cause lorsqu’il pense que Google a les ressources internes pour ne pas suivre le chemin de Facebook dans la détérioration des relations avec ses propres employés, ses partenaires commerciaux et la société en général.
Nothing will get done on tech regulation in the US.
Battelle croit que les commentaires et les actions entreprises à la fin de la mandature de Trump pour une plus grande régulation des GAFA ne mèneront à rien.
Pour sa défense, ses prédictions datent du 1er janvier, or depuis le 8 janvier et la victoire démocrate aux sénatoriales de l’Etat de Géorgie, le Parti Démocrate dispose de la majorité au Sénat, ce qui est susceptible d’au moins de donner plus de possibilités pour faire passer des législations de l’agenda démocrate.
A “new” social platform breaks out in 2021.
Compte tenu de l’impossibilité désormais pour les GAFA, sous surveillance accrue des autorités antitrust, d’acquérir un potentiel rival, Battelle pense qu’avec leurs poches profondes, les VCs américains sont prêts à parier lourdement sur l’émergence de nouvelles plates-formes sociales.
Voir sur ce point la valorisation déraisonnable de Clubhouse dont nous parlions la semaine passée. Elle accrédite l’idée d’un appétit des financiers à voir un nouveau joueur se hisser dans la cour des grands. Battelle lui entrevoit un Signal (un des challengers dans les messageries personnelles) plus évoluée.
The markets take a breather, and SPACs get a bloody nose. (les marchés font une pause, et les SPACs accusent le coup)
Battelle anticipe quelques débables de SPACs qui devraient calmer les ardeurs inflationnistes sur les marchés actions et critique, comme beaucoup, l’argent facile et l’abondance d’investisseurs inexpérimentés et crédules qui se soldera par des déconvenus.
L’annonce ces derniers jours de l’IPO de Nerdy (une edtech éditrice de la solution Varsity Tutors) via un SPAC semble accréditer la prophétie : chiffre d’affaires annualisé à 120 M$, perte de -23 M$, valorisation de la société : 1,7 milliard de $…
Dans le secteur des médias, c’est le Groupe Nine Media, éditeur des sites internet Thrillist, NowThis, The Dodo, Seeker et PopSugar, qui a levé un SPAC de 200 M$ pour faire des acquisitions dans le secteur.
2021 will be prove to be the last year of growth in gas-powered automobiles : 😐
Africa rising, China…in question
Battelle parie sur un changement géopolitique majeur de l’administration Biden avec une prise de conscience : 1) du potentiel économique de l’Afrique ; 2) du retard accusé par les Etats-Unis par rapport à la Chine sur ce continent. Il parie sur un investissement massif des Américains en Afrique.
Pour aller plus loin:
Si vous en voulez plus sur John Battelle : vous pouvez voir le bilan de ses prédictions 2020.
Si vous aimez frotter vos propres capacités d’anticipation et lire d’autres tendances pour 2021 :
Le rapport McKinsey sur les tendances 2021 The New Normal qui tente de prédire les répercussions du Covid (entrepreneuriat, future of work, chaîne logistique, dettes des Etats) ;
Les tendances 2021 par Thomas Husson de Forrester Research avec quelques partis pris audacieux (Les leaders basculeront 10% de leur budget insights sur l’analytique des émotions (AI text analytics, biométrique, reconnaissance faciale, speech analytics); Les acteurs les plus performants appréhendent la transformation par l’expérience client) ;
Mes modestes prédictions (non argumentées) pour 2021 ;
Et plus largement : la plus large bibliothèque de rapports de tendances pour l’année 2021 sur le site du fonds Space Cadet.
Webinar SVOD 📽️ : pas que Netflix dans la vie ? les offres des plates-formes alternatives
Petite autopromo, une fois n’est pas coutume : si le sujet de la SVOD vous intéresse (déjà près de 10 millions de foyers abonnés en France, dont 8,5m pour le seul Netflix) et que vous êtes disponible mardi en fin de journée (le 2/2/21 à 18h30), je vous propose de participer au webinar que j’ai le plaisir de co-animer avec mon camarade Eric Lentulo sur ce thème, avec deux invités de choix :
Danielle ATTIAS, Secrétaire Générale de SALTO la plateforme lancée en novembre dernier de TF1, M6 et France Télévisions (réunir ces larrons autour de la table était déjà une gageure)
Olivier JOLLET, SVP EMEAA de ViacomCBS, responsable entre autres du lancement lundi prochain de PLUTO.TV, une plateforme AVOD (financé par la pub).
Confinés 📵 : Apple et Facebook (et Google) sont dans un bateau
Vous n’avez pas tout suivi, le Wrap Up vous résume le séisme : après plusieurs reports, Apple a décidé que l'IDFA (l’identifiant unique et crypté alloué par iOS pour la pub) ne pourrait plus être utilisé par l'écosystème adtech fin mars 2021. Un ami du Wrap Up comparait cela à l'équivalent de l'assassinat du Kronprinz Franz-Ferdinand à Sarajevo, qui fut le prélude de la 1ère Guerre Mondiale.
Facebook avait estimé que le risque pesait sur 50% du CA généré de Facebook Audience network.
Episode 1 : Google reconnait qu'ils ne savent pas travailler sans l'IDFA dans l'écosystème des apps :
Episode 2 : Zuckerberg montre les dents lors de sa conférence analystes
En clair, Zuckerberg voit notamment iMessage d’Apple, parce qu’installé par défaut sur votre iPhone et dont les conversations sont stockées par défaut sur iCloud (désactivable), comme un concurrent direct de WhatsApp, mais en moins respectueux de la vie privée des consommateurs, car “Apple & Governments have access to your imessages”.
(Au passage, on appréciera les résultats mirobolants de Facebook : des marges opérationnelles folles de 46%, 11 Md$ de résultat NET pour un CA de 28Md$ en progression de +30% au Q4 2020 vs. Q4 2019, alors que l’audience n’a progressé “que” de 12%.)
Episode 3 : Apple profitant d’un Data Privacy Day aurprès des instances européennes, fait la réponse du berger à la bergère :
et a sorti un conte en pdf pour se moquer “gentiment” des apps qui vivent de la donnée utilisateur, intitulé “Un Jour dans la Vie de Votre Data” où “John et sa fille” passent la journée ensemble au parc, au marchand de glaces; Apple décrit benoîtement l’accès permanent des brokers de données à la géolocalisation, aux centres d’intérêt, aux méta-données des photographies de la photothèque de John…
En représailles, Facebook annonce réfléchir à plainte contre Apple sur les pratiques anticoncurrentielles de son AppStore.
💗 Si vous êtes arrivé(e) ici par hasard, recevez le Wrap Up chaque semaine :
Squeezé 🍋 : le premier “crowdsourced” short squeeze de l’histoire
Il faut avouer qu’on n’a pas tout compris, mais les mouvements spéculatifs autour de titres “désuets” comme Gamestop (un réseau de distribution de jeux vidéos … physiques), AMC (les cinémas), Nokia ou encore … le cours du métal argent, marquent d’après les spécialistes, l’avénement d’une nouvelle tendance de fonds : l’apparition du consommateur-investisseur, retail investor en bon anglais. (On en avait parlé ici).
En somme : un hedge fund avait parié sur la baisse du cours de GameStop, certains forums de Reddit (en particulier WallStreet Bets) ou des channels de Discord (plateforme d’échanges autour des jeux vidéos -mais pas que) ont rassemblé les investisseurs particuliers, nostalgiques-geeks de la relation affective qu’ils entretenaient avec un Micromania (rachetée d’ailleurs par GameStop), et les poches gonflées par les chèques de subvention du gouvernement US pour soutenir l’économie. Bref, ces particuliers auraient renversé les plans du fonds vautour en boostant le cours de bourse (x100 par rapport au début de l’année), l’obligeant même à racheter des titres pour se couvrir, alimentant également la hausse !
L’inédit provient du fait que ce rally et le squeeze (la hausse brutale du cours devant l’afflux d’acheteurs, ici de plus de 1000%) trouverait son origine dans un mouvement “populaire” avec des motivations “politiques” comme celle d’abattre le fonds “vautour”, le premier “crowd-source short squeeze”.
Beaucoup de guillemets autour de cette phrase, car au delà du romantisme boursier du Robin des Bois contre le méchant spéculateur (l’utilisation de l’application de trading Robinhood par ces investisseurs-consommateurs, dénués de connaissances sur les actifs qu’ils échangent dans la journée, trouverait son succès dans la gamification du trading boursier, étant privés en partie de l’adrénaline des paris sportifs). Il y a très probablement d’autres mouvements de marché moins reluisants (comme le fait que le titre ayant très peu de liquidité, soit aisément manipulable par d’autres fonds spéculatifs… ).
Beaucoup d’encre a déjà coulé sur le sujet, en particulier sur la régulation insuffisante de ces plates-formes de “day-trading” (Robinhood a tardivement tenté de juguler les appétits de shortselling des particuliers, notamment pour les protéger de déconvenus financièrement dommageables; les utilisateurs ont rapidement fait entendre leurs voix, criant à la discrimination entre les investisseurs : à Wall Street les effets leviers, à Main Street, l’obligation de rester prudent).
Le Morning Brew sur Twitter tente de retracer la chronologie de l’affaire et ses conséquences :
Une chose est sûre : la démocratisation des possibilités technologiques, un marché haussier, une population oisive sous stimulus package renversent les règles du jeu de l’intermédiation par les courtiers et les institutions traditionnelles de la bourse. Comme l’ère de la défiance est partout, toute critique du “mouvement populaire” est vécue comme une volonté de maintenir le statut quo ex ante…
Lu 📙 : Deux Jeunesses Françaises d’Hervé Algalarrondo
Lu d’une traite, cette enquête de l’ancienne plume du Nouvel Obs, Hervé Algalarrondo, sur deux ascencions issues de Picardie, celle d’Emmanuel Macron et plus tard celle de l’écrivain Edouard Louis (autour du livre autobiographique En Finir Avec Eddy Bellegueule). Deux parcours qui ont peu en commun, à commencer par l’âge et le milieu de naissance. Mais Algalarrondo s’obstine sans que l’on comprenne initialement. Le fil de l’enquête apparaîtra petit à petit : deux ascensions qui ont voulu réécrire le discours des origines : bigourdin pour Macron auprès de sa grand-mère, au point d’effacer ses parents du tableau; haîne de soi, des siens, de son lieu de naissance pour Edouard Louis, au point que les villageois d’Hérancourt diront encore des années plus tard, vouloir lui casser la gueule pour le portrait qu’il a tiré d’eux.
Au final, le livre est un peu people, mais bien documenté. Hervé Algalarrondo finit par convaincre d’une matrice commune de réussite qui rejette son origine, qui l’a reconstruite en travestissant les éléments qui ne servent pas le storytelling du jour. Dans le cas d’Emmanuel Macron qui occupe le plus de place dans l’ouvrage, alors que paradoxalement sa famille a respecté une discipline de groupe pour ne pas se livrer, le livre mérite de reposer la question de la disposition d’esprit de ce Rastignac dont les vies sentimentales et familiales ont été si peu conventionnelles.
On appréciera le titre clin d’œil à Mitterrand et au livre de Pierre Péan qui enquête sur une autre jeunesse maquillée.
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