Le Wrap Up de la semaine de la sortie de crise des agriculteurs (semaine du 29 janvier 2024)
☠️ : Youtube menace la TV - 🐷 : OnlyFans lance une série de TV réalité - 👂 : Alexia Laroche-Joubert, Banijay France - 🤓 : la vie incroyable de Jean Chalopin - 🎭 : Lucrèce Borgia à la Comédie Fr
Au programme cette semaine, une sélection, disons très éclectique :
Menacée ☠️ : Youtube poserait un problème existentiel à la TV
Ecoutée 👂 : Alexia Laroche-Joubert, patronne de Banijay France
Savouré 🤓 : de Gogo Gadget au procès de la fraude crypto du siècle
⌛️ Temps de lecture : 7 min 37 sec
Menacée ☠️ : Youtube poserait un problème existentiel à la TV
⌛️ : 1 min 59 sec
C’est un article alarmiste publiée dans C21, une revue de référence sur l’actualité des médias audiovisuels US, il relate la dernière conférence à la Royal Television Society à Londres, où Evan Shapiro, producteur et professeur à NYU, a lancé un coup de semonce : YouTube ne serait plus simplement une plateforme parmi tant d'autres et le leader incontesté de la vidéo en ligne, la plateforme de Google rachetée en octobre 2006 (pour 1,65 Md$) est désormais le plus grand canal télévisuel mondial, menaçant l'existence même des diffuseurs linéaires.
Shapiro met en lumière une réalité incontournable : YouTube attire les regards et s'empare des audiences avec une efficacité redoutable, tant du point de vue de la rétention d'audience que des revenus pub générés.
À l'ère numérique, cette plateforme tient à distance TikTok, Facebook ou Snapchat, par sa présence marquée au sein même des salons, intégrée aux télévisions connectées.
Les statistiques de l’institut BARB révèlent qu'environ 60% des Britanniques âgés de quatre à quinze ans consomment régulièrement du contenu YouTube via leur télévision, une habitude qui s’ancre désormais (avec les playlists jeunesse) dès le plus jeune âge.
Parents of children under the age of 12, meanwhile, will tell you that kids watch YouTube pretty much every single day.
Cette tendance soulève une inquiétude légitime quant à l'avenir de la TV traditionnelle : Les diffuseurs risquent de perdre définitivement une génération entière de consommateurs, happée par l'attrait de YouTube, comme les éditeurs de presse semblent déjà l’avoir perdu de leur côté avec la lecture papier, sauf que cette fois c’est le numérique qui s’invite dans le cadre traditionnel de diffusion des acteurs historiques.
Cette réalité est corroborée par Robyn Sumner, directrice commerciale chez EssenceMediacom, qui prédit un basculement imminent dans les habitudes de visionnage (Essence à ma connaissance était l’agence d’achat média de Youtube, on aurait aimé que l’article le mentionne), YouTube étant sur le point de détrôner Netflix en termes d'heures de consommation, un changement majeur impulsé par une croissance de 32% de l'audience YouTube sur téléviseur en 2023, contrastant avec la relative stagnation de Netflix en temps passé.
Face à ce bouleversement, Shapiro conseille de renforcer leurs capacités à diffuser sur les médias sociaux, pour la promotion des programmes mais aussi pour en faire un support de diffusion propre (même si la question de la monétisation reste entière).
YouTube est un vecteur de découvrabilité sans pareil, ayant vu naître des phénomènes tels que le programme jeunesse Cocomelon ou la personnalité la plus influente de la TV -sans y être!1- MrBeast (et ses 237M de followers!). Pour Shapiro, l'adaptation à cet écosystème digital est impératif pour continuer de rester pertinent pour toutes les générations qui arrivent.
Pour aller plus loin :
Le paysage sinistré des médias américains vu par Nicolas Demorand dans la matinale de France Inter en 80 secondes :
Le post Linkedin d’Adrien Labastire (fondateur de la plateforme de newsletters Kessel) sur les dangers qui rodent autour de la presse papier et les chances qu’elle s’en sorte :
Et comme si tout cela n’était pas assez, voilà que les vieux Millenials soulignent à quel point le web qu’ils ont connu, et qui leur semblait commun est en train de disparaître au profit d’un web impermanent, vaporeux :
Sérialisée 🐷 : OnlyFans se met à la série de TV réalité
⌛️ : 1 min 33 sec
OnlyFans est un réseau social privé, c’est à dire que les “créateurs” proposent à leurs fans de souscrire à un abonnement (entre 5 et 10$ par mois) pour retrouver du contenu exclusif - vidéo, audio ou photo- qu’on ne pourrait pas trouver sur les réseaux sociaux où les créateurs se sont faits connaître et ont en général des communautés plus grandes.
J’utilise à dessein les guillemets pour évoquer les créateurs car la plateforme est depuis son début une plateforme chaude, où se retrouvent les aspirantes actrices et acteurs, serveuses et serveurs et plus progressivement un public toujours plus large qui veut arrondir ses fins de mois en dévoilant des parties de leur anatomie. J’exagère quelque peu mais, la plateforme avait été au cœur d’un pataquès quand un fonds d’investissement s’était retrouvé des pudeurs de jeune fille et avait demandé au site de ne plus fonctionner sur ce créneau juteux de l’érotisme ou de la pornographie amateur. La plateforme avait obtempéré avant de se rendre compte que 85% de son business provenait des contenus explicites…
OFTV, lancée en août 2021, était devenu par un secret dont le digital commence à être accoutumée, une plateforme de streaming gratuite pour les créateurs d’OnlyFans. C’est à dire non content d’attirer des “créateurs” (arrêtons là cette ironie, il y aussi du contenu grand public autour du sport, de la cuisine etc…) depuis les lieux naturels de publication de contenu gratuit puis de convertir une partie de la fanbase en utilisateurs payants, l’ambition est aussi devenir un lieu de destination gratuit, ou a minima, d’être une vitrine gratuite du contenu payant derrière le paywall.
Nouvelle étape de franchie dans la mue en un média éditorialisé, la décision cette semaine de lancer une série de TV réalité intitulée "There’s A Catch". Cette émission originale suit l'aventure de six créatrices d’OnlyFans à Mallorca, où le groupe, initialement parti pour un voyage de création de contenu, se retrouve plongé dans une expérience inattendue : la pêche.
Les sept épisodes de ce Koh Lanta bimbo sont ponctués de conflits sur la répartition des chambres, de disputes concernant les tâches à bord, de flirts avec le capitaine du navire, d'aventures en mer et de la création d'un calendrier « déesses de la mer » pour soutenir la communauté de pêcheurs locale.
"There’s A Catch" se présente donc comme une aventure qui mélange le divertissement à la réalité du travail de pêcheur, dans le but de révéler une facette différente des créateurs OnlyFans habitués à un tout autre type de contenu. D’autres formats de cet acabit devraient suivre.
Ecoutée 👂 : Alexia Laroche-Joubert, patronne de Banijay France
⌛️ : 1 min 53 sec
Dans l'un des derniers épisodes de Mediarama, Alexia Laroche-Joubert, PDG de Banijay France, se livre sur son parcours et la stratégie derrière le succès de Banijay. Fille du petit écran (sa mère était reporter de guerre), Alexia a plongé dans l'univers de la téléréalité dès 1999 avec le lancement de Loft Story en 2001, après une rencontre décisive avec John de Mol qui l'introduisit chez Endemol.
La création de Banijay en 2007 par Stéphane Courbit marque le début d'une ambition : rassembler sous un même toit une mosaïque de sociétés de production pour capitaliser sur une diversité de programmes (aussi intitulée dans un jargon plus financier build-up). Aujourd'hui, Banijay affiche un portefeuille de 17 maisons de production, attirant au compteur près de 38 millions de spectateurs chaque semaine à travers le monde, et sa capacité à dialoguer en continue avec une pléthore de diffuseurs.
Comme dans tout groupe constitué de sociétés potentiellement concurrentes avec de fortes personnalités, ALJ, comme elle connut dans la profession, affiche le savant équilibre entre compétition interne pour l'allocation des formats (ceux qui viennent de l’international et destinés à être adaptés au marché français -où elle souligne que le talent de localisation est très développé - et collaboration pour maximiser les synergies et préserver les marges, notamment par la mutualisation des décors et des tournages (les réalisateurs en disponibilité vont désormais être amenés à passer temporairement dans une autre maison de production).
L'irruption des plateformes de streaming a évidemment bouleversé le paysage traditionnel des producteurs, multipliant les opportunités tout en accentuant la nécessité de protéger les propriétés intellectuelles (Amazon Prime Vidéo qui va diffuser une nouvelle version de Pop Stars voulait dans un premier temps disposer de la marque comme bon lui semblait). Elle prend bien soin de ménager les « partenaires historiques » qui représentent sans doute une belle part du CA.
Elle indique aussi s’intéresser aux nouvelles narrations permises par les podcasts, même si elle le reconnaît il y a une absence de modèle économique autre que celui de la commande des plates-formes payantes (comme par ex . les histoires du Père Fourras en lien avec le format TV de Fort Boyard).
Elle y rappelle la suprématie du « flux » sur la fiction dans l'économie de l'attention : plus économique, rapide à produire, et facilement identifiable par le public (elle oublie de mentionner son aspect récurrent qui permet d’amortir dans la durée des coûts de production faible, ce qui en fait un produit très rentable en cas de succès).
Elle surveille du coin de l’oeil les progrès de l'intelligence artificielle dans la production pour le clipping (l’art de créer des petites vidéos) pour les réseaux sociaux (cf. le premier article sur le difficile arbitrage entre ce qu’il faut garder dans un réseau propriétaire mieux monétisé et ce qui doit attirer le chaland en étant disponible et croustillant sur les réseaux sociaux).
Compte tenu de l’économie contrainte, Banijay choisit pour l’instant de ne pas s'aventurer dans les contenus natifs des réseaux sociaux, préférant maintenir un cap vers un contenu premium et de qualité (et mieux rémunéré on l’aura compris par les acteurs historiques ou payants).
Son dernier coup de chapeau : l’adaptation du format Squid Games, de série en justement jeu TV (diffusé sur Amazon et dont on parlait ici)
Savouré 🤓 : de Gogo Gadget au procès de la fraude crypto du siècle
⌛️ : 54 sec
Peu de personnes savent qui est Jean Chalopin… Pourtant, figure emblématique de l'animation française des années 1980 (une ribambelle incroyable de dessins animés qui ont bercé ma prime jeunesse : Ulysse 31, Les Mystérieuses Cités d’Or, Inspecteur Gadget). Il est aujourd’hui mis en avant (il a vendu dans les années 90 sa société à Disney) en raison de l'affaire FTX, une plateforme d'échange de cryptomonnaies, impliquée dans un détournement de plus de 14 Md$ dont le scandale a éclaté en novembre 2022.
Le portrait qu’a troussé le journaliste de Society, Pierre-Philippe Berson, est très savoureux, et on voit bien à l’œuvre ce style Society qui, pour des affaires particulièrement rocambolesques, avec des personnes attachantes et hautes en couleur, fait déjà poindre un admirable scénario de série à vendre à un diffuseur (Sociéty a produit la série documentaire Dupont de Ligonnès inspiré de sa grande enquête qui provoqua une razzia sur le magazine au cours de l’été 2021).
La saga de Jean Chalopin, de ses succès dans l'animation à ses démêlés judiciaires, reflète l'évolution d'un parcours hors du commun, marqué par une quête constante d'innovation et d'expansion et de sens du business. Elle pointe du doigt aussi les dangers de l’accumulation : la frontière floue entre le génie créatif et les abîmes de la finance moderne.
(Si vous êtes abonné(e) à Canal+ et que vous avez PassPresse, vous avez accès au magazine au sein de l’appli lancée par Prisma).
Appréciée 🎭 : Lucrèce Borgia à la Comédie Française
⌛️ : 55 sec
C’est une très agréable surprise que la représentation de Lucrère Borgia à laquelle j’ai assisté le weekend dernier. J’avais gardé le souvenir d’une pièce de Victor Hugo engoncée dans son XIXème siècle, et une mise en scène qui exhumait dans une histoire déjà sanglante, des relents incestueux. Il n’en est pas question ici dans cette mise en scène du génial Denis Podalydès (la mise en scène date déjà de 2014 et avait Guillaume Galienne dans le rôle titre).
Marié au Duc de Ferrare (son quatrième mari interprété par Eric Ruf qui délaisse ses habits d’administrateur général du théâtre), Lucrèce Borgia (Elsa Lepoivre), femme de pouvoir subversive, monstre de beauté et empoisonneuse, épie son fils qui se croit orphelin de père et de mère, Gennaro (Gaël Kamilindi). Ignorant cette filiation, il conspue sa mère comme tous les sujets des royaumes de l’Italie de l’époque. Thierry Hancisse dans le rôle secondaire de Gubetta ajoute sa touche de noirceur à l’ambiance crépusculaire.
La distribution talentueuse éblouit et fait progressivement croître toute la tragédie qui déroule des thèmes de la pièce tirés au cordeau : l'amour maternel contre l’ambition personnelle et l’instinct de survie politique, le pardon contre l’envie d’assassiner tout opposant, et enfin l’exercice du pouvoir entre principes et machiavélisme.
L’esthétique est dépouillée et cependant évocatrice, incluant des costumes signés Christian Lacroix et des reconstitutions de palais ducal de cette Italie du Quattrocento finissant.
La direction de Podalydès prouve une fois de plus son génie en matière de théâtre, capable de transformer un classique en une œuvre résolument moderne et accessible.
Il vient toutefois d’indiquer qu’il a signé un gros contrat avec Amazon Prime pour des contenus exclusifs pour 100 M$, si l’on considère Prime Vidéo comme de la … TV.