Le Wrap Up de la semaine où Israël a frappé le programme nucléaire iranien (semaine du 9 juin 2025)
🧸 : Barbie avec IA? - ⚰️ : l’IA finit la notion de l’Auteur - 👩⚖️ : Disney/Universal vs Midjourney - 🇨🇳 : 20% du marché pub mondial est chinois - 📸 : Méditerranée et populaires à voir au MUCEM
Au sommaire de cette semaine :
Ventriloque 🧸 : Mattel introduit des voix IA dans les Barbies
Révolutionnaire 🇨🇳 : la Chine représente 20% du marché pub mondial
Visitées 📸 : Méditerranée et populaires, deux expos à voir au MUCEM
⏳ Temps de lecture : 9 min 23 sec
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Ventriloque 🧸 : Mattel introduit des voix IA dans les Barbies
⏳ : 1 min 17 sec
Mattel, vénérable institution du jouet (plus de 80 ans de Barbie, Hot Wheels et Masters of the Universe), s’offre un petit lifting numérique : la marque annonce un partenariat d’envergure avec OpenAI pour injecter “la magie de l’IA” dans ses univers.
On imagine déjà Ken brainstormer avec ChatGPT et Barbie recalibrer son GPS pour éviter la plage de Malibu un jour de manifestation contre les expulsions d’immigrés illégaux…
Objectif affiché par les deux marques : réinventer les expériences de jeu et la façon dont les fans, jeunes ou nostalgiques (??), interagissent avec ces “marques iconiques” (sic). À en croire Josh Silverman, Chief Franchise Officer chez Mattel :
“Each of our products and experiences is designed to inspire fans, entertain audiences, and enrich lives through play. AI has the power to expand on that mission and broaden the reach of our brands in new and exciting ways,”
“Our work with OpenAI will enable us to leverage new technologies to solidify our leadership in innovation and reimagine new forms of play.”
Traduction : Mattel veut à la fois séduire la Gen Alpha et rassurer les parents que Barbie ne finira pas par hacker la poupée voisine. On nous promet des expériences “enrichissantes et positives”. Espérons qu’on ne finisse pas avec une Barbie qui rédige des dissertations à la place des collégiennes…
Concrètement :
ChatGPT Enterprise est désormais déployé chez Mattel pour “accélérer le développement produit”, stimuler la créativité des équipes et sans doute préparer la nouvelle bataille des jouets 3.0 face à LEGO et Disney ;
L’IA générative sera mise à profit pour imaginer des scénarios de jeu inédits, aider les créatifs à inventer la prochaine licorne rose à paillettes, ou, qui sait, customiser la poupée en fonction de l’humeur du moment.
Mattel mise aussi sur l’IA pour renforcer l’engagement des fans, décrypter les attentes des “jeunes enfants” et dynamiser l’expérience “phygitale” (le jouet IRL boosté par le digital, pas juste un énième QR code à scanner).
Enterrée ⚰️ : l’IA signe-t’elle la fin de l’Auteur
⏳ : 3 min 14 sec
Vous pensiez encore que la littérature automatique c’était pour l’OULIPO, et donc sous supervision humaine ?
David Gunkel dans la revue du thinktank futuriste Berggruen Institute, NOEMA, fait un petit détour historique pour souligner que l’obsession pour “l’auteur” n’est que très récent dans l’histoire, une marotte occidentale née avec le protestantisme, le cogito cartésien et la propriété privée.
The modern period, however, spawned a number of related intellectual and cultural developments in Europe that centered around what Michel Foucault later called a “privileged moment of individualization in the history of ideas.”
Les LLM (ChatGPT, Claude…) remettent à coups de probabilités sémantiques1, cette croyance en doute : plus moyen de savoir “qui” parle, ni à quel ego, ni comment rétribuer ceux qui ont inspiré la production du Chatbot.
Pire : la machine génère du texte qui n’a ni intention, ni propriétaire, ni voix. (OpenAI y trouverait à redire!).
Les gardiens du temple risquent de s’étouffer : “l’intelligence humaine va finir par se dissoudre dans la soupe algorithmique.”
Gunkel enfonce le clou : la mort de l’auteur n’est pas un drame, c’est une libération.
Barthes l’avait prédit dès 1967 : l’auteur, invention moderne, n’est qu’un “chef d’orchestre imaginaire”.
Pendant des millénaires, mythes et textes circulaient sans signature, ni droit d’auteur. L’imprimé et la loi du marché ont fait naître l’auteur pour répondre, selon lui, à un besoin pratique : attribuer la propriété, encaisser les droits.2
Résultat ? On a surinvesti la figure de l’auteur, censé garantir le sens, l’intention et même la “vérité” du texte. Toute la critique moderne s’est ruée pour chercher qui parle, d’où, pourquoi, avec quelle intention.
La “mort de l’auteur”, chez Barthes, c’est le moment où le sens se libère de son origine purement textuelle, pour surgir du lecteur et de sa lecture.
LLM, la mort du père (et la revanche du lecteur critique)
Toujours d’après le professeur d’études sur la communication à la Northern Illinois University, les LLM, loin de tuer l’écriture, mettent en lumière ce qui était déjà là : le sens d’un texte ne vient pas de l’auteur, mais de l’acte de lecture qui le fait exister.
The writings of LLMs are and can be meaningful. What they mean is something that comes about through the process of our reading them and then interpreting and evaluating them.
En d’autres termes, on ne sait pas ce que Shakespeare pensait vraiment en écrivant Hamlet, mais sa modernité montre qu’on ne cesse d’y projeter nos propres interrogations.
Gunkel, qui aime renverser les concepts, en rajoute une couche structuraliste : pour un LLM, “il n’y a pas de hors-texte” (concept emprunté à Derrida3). Les mots s’enchaînent, se répondent, leur signification émerge de leur rapport aux autres mots, pas de leur “ancrage” dans un réel ou dans une intention humaine démiurgique. LLM ou humain, ce sont “ des mots partout, l’auteur nulle part”.
L’auteur : fiction utile, mais fiction tout de même
Ce que l’IA révèlerait ce n’est pas la mort de l’écriture ou du sens, mais la vacuité de la notion d’auteur comme référant universel du texte. On cherche désespérément à réaffirmer son autorité à l’ère de l’IA… alors qu’elle n’a jamais été, toujours selon Gunkel, autre chose qu’une construction culturelle, juridique et philosophique.
En conclusion, pour Gunkel, l’IA générative ne tue pas la littérature, elle en libère le lecteur et déplace la création du sens vers l’interprétation. La seule question qui vaut la peine d’être posé selon lui : “Qui m’autorise à dire cela ?” .
You have no way of knowing for sure [who produced the text]. And everything that could be done to resolve this suspicion, like pointing to my name, listing the details of my biography or even having me add a statement asserting that everything you have just read is “100% genuine human-generated content,” will ultimately be ineffectual. It will be so mainly because an LLM can generate exactly the same. No matter the assurances, there will always be room for reasonable doubt…
The LLM form of artificial intelligence is disturbing and disruptive, but not because it is a deviation or exception to that condition; instead, it exposes how it was always a fiction.
À retenir :
L’auteur : concept moderne, créé pour servir la propriété intellectuelle, non pour garantir le sens.
LLM : texte sans voix, mais pas sans sens — le sens se construit dans la lecture, pas dans l’intention (le penseur n’évoque pas la possibilité que la lecture disparaisse à son tour… mais si l’on suit l’idée, les mots et le sens ne valent que par leur réception par les êtres pensants.)
L’IA n’est pas la fin de la littérature, mais l’acte II de la mort de l’auteur.
Doute radical : humain ou machine, peu importe… la vraie révolution, c’est le lecteur.
On avait déjà évoqué dans le Wrap Up, plus simplement je dois dire, le bouleversement induit par l’IA générative lors que Jeff Jarvis évoquait le moment post-gutenberg que nous traversions, avec le même impact de remettre en cause la notion d’oeuvre individuelle et donc de propriété intellectuelle.
Apple cette semaine en signant une tribune indiquant que les IAs ne “savent” pas ce qu’elles produisent comme contenus, n’est pas très loin des idées exprimées dans l’article sus-mentionné.
Assignée 👩⚖️ : Disney et Universal attaquent Midjourney
⏳ : 1 min 38 sec
Shrek, la Reine des Glaces, Dark Vader et les Minions au générique d’un procès d’importance : Disney et Universal attaquent Midjourney, l’une des tout premières IA génératives dans l’image, pour plagiat à grande échelle.
On s’attendait à voir débarquer les studios sur le terrain judiciaire, mais le scénario était déjà écrit : après les écrivains, éditeurs et artistes, c’est désormais la crème de Hollywood qui part en guerre contre l’IA.
Au cœur de l’affaire ? L’accusation accuse Midjourney d’être aspiré par dizaines de millions les oeuvres de créateurs (et aspirants), sans vergogne, sur des œuvres protégées pour entraîner son IA… qui recrache désormais à la demande des images quasi parfaites d’icônes Disney et Universal Pictures – Spiderman, Homer Simpson, la Reine des Neiges, Buzz l’Éclair.
Pourquoi ce procès est important :
C’est la première fois que des studios majeurs d’Hollywood attaquent frontalement un acteur de l’IA générative sur le terrain de l’image ;
La plainte (110 pages !) accuse Midjourney d’être un « puits sans fond de plagiat » qui menace « les fondations mêmes du droit d’auteur américain » ;
Pour Disney et Universal, le danger est existentiel : l’industrie US du cinéma et de la TV, c’est 2,3 M d’emplois et 229 Mds $ de salaires annuels, chiffres du lobby Motion Picture Association ;
Les studios, après avoir joué la montre, tapent du poing sur la table : “Le piratage, même opéré par une IA, reste du piratage.”
Ce que veulent Disney et Universal :
Des dommages et intérêts (le montant sera négocié en coulisses) ;
Un arrêt de la future offre vidéo de Midjourney tant qu’aucune protection anti-piratage n’est garantie.
Pourquoi maintenant ?
Les artistes criaient au pillage depuis deux ans, Hollywood restait muet. Mais avec des IA capables de générer vidéos et blockbusters maison, la patience atteignait ses limites.
Disney et Universal avaient déjà envoyé des mises en demeure… ignorées par Midjourney, manifestement aussi douée pour l’art que pour la discrétion.
Quelques chiffres clés :
Midjourney aurait généré 300 M$ de revenus en 2024, contre 50 M$ en 2022.
Les abonnements mensuels s’étalent de 10 à 120 $ selon le niveau d’accès.
Des millions d’images générées, dont beaucoup de copies quasi identiques à des œuvres sous copyright.
Ce qui est en jeu :
Au-delà du cas Midjourney, c’est un coup de semonce général à tout l’écosystème IA créatif (DALL-E, Stability AI…) : fini la tolérance. On imagine que Grok et OpenAI sont les suivants sur la liste.
Hollywood avait laissé passer la première vague d’IA sans broncher. Désormais, les studios passent à l’offensive : “Que la force du copyright soit avec nous.”
Révolutionnaire 🇨🇳 : la Chine représente 20% du marché pub mondial
⏳ : 1 min 21 sec
Il était logique que le développement du plus grand atelier, devienne un jour rapidement le second panneau publicitaire au monde.
Boostée par une économie numérique smartphonisée, l’Empire du Milieu représente aujourd’hui 20% du marché publicitaire global – une première historique qui dépasse même sa part dans le PIB mondial (source : WPP Media).
Pendant ce temps, les Etats-Unis, champion historique, voient leur grand rival stratégique ériger une grande muraille publicitaire.
L’ironie ? Les vendeurs de pub chinois cartonnent à l’international (notamment aux US), alors que les géants US (Google, Meta & Co) restent persona non grata en Chine.
Dans le top 25 des plus gros vendeurs d’espaces pub dans le monde, 9 sont désormais chinois : ByteDance (TikTok), Alibaba, Temu (PDD Holdings), Tencent, Baidu, JD.com, Kuaishou, Meituan, Xiaomi… (Si vous n’en connaissez que deux, c’est déjà que l’algorithme vous surveille.)
Le top 5 mondial ? 100% tech, 40% chinois
En 2025, le top 5 des réceptacles publicitaires est :
Google
Meta
ByteDance
Amazon
Alibaba
Les éditeurs “old school” (Viacom, Fox, Disney…) ont disparu, au profit d’un capitalisme digital pur sucre.
Pourquoi la Chine a-t-elle pris la seconde place ?
Explosion de la classe moyenne : une décennie de croissance tous azimuts a posé les rails de cette frénésie de consommation;
Mobile-first : quand l’Occident bidouillait sur desktop, la Chine a fait l’impasse et a adopté massivement le mobile, que ne quittent les 975 millions de Chinois détenteurs d’un smartphone.
Innovation AI et retail media : les mastodontes comme JD.com et Alibaba trustent 44,1% de la pub retail mondiale. Mais cette suprématie pourrait s’effriter et passer sous les 40% d’ici 2030, car l’Occident rattrape son retard.
Leçon géopolitique du jour : les plateformes chinoises s’imposent en Occident (TikTok, Temu, Shein…), mais le marché chinois reste fermé aux Américains (et à leurs “alliés”).
Cependant : tarifs douaniers US, menaces de bannissement de TikTok… La domination chinoise n’est pas gravée dans le marbre. WPP Media inclut ces risques dans ses prévisions.
La pub mondiale ne parle plus seulement anglais, elle scrolle désormais en mandarin et demain les formats publicitaires risquent bien d’être initié à Shangaï ou Chengdu.
Visitées 📸 : “Méditerranée” et “Populaires”, deux expos à voir au MUCEM
⏳ : 1 min 53 sec
2 expositions à ne pas manquer (ou pas) si vous vous rendez prochainement à Marseillen, au bien nommé MUCEM (Musée des Civilisations de l’Europe et la Méditerranée) : « Méditerranées » qui explore les mythes et héritages du bassin “sud”, l’autre grande exposition permanente du Mucem s’attaque à l’essence même du musée : sa propre collection.
Amis de la déconstruction, vous allez adorer.
Populaire?
A “Populaire?”, 1 200 objets et documents présentés dans un parcours sans la hiérarchie des musées classiques : ici, peintures et sculptures côtoient des objets inattendus (portes de ruche décorées, ex-voto, icônes, et autres curiosités populaires), c’est la notion d’oeuvre que les commissaires ont souhaité remettre en cause.
Chaque objet, au-delà de sa fonction, veut apporter un témoignage d’une époque et d’us et coutumes locales, un fragment d’histoire en somme : comment cet objet est arrivé là, qui l’a collecté, pourquoi, pour dire quoi de notre société ? On n’est pas très loin de l’Urinoir de Marcel Duchamp…
On en ressort avec la conviction que le banal — une porte de ruche, une poterie, une photo d’antan — est aussi le témoin de nos histoires collectives; il va sans dire que la classiciste que je suis qui croit à une hiérarchie (bourgeoise?) des arts majeurs et mineurs n’adhère pas excessivement à la thèse de l’exposition, sans que toutefois on refute la beauté fondamentale de certaines créations vernaculaires.
Méditerranées?
Mais le militantisme du musée ne s’arrête pas là : avec Méditerranées, le musée livre aussi une réflexion critique sur la construction de nos imaginaires “méditerranéens”, leur héritage, leur diversité et, implicitement, leurs remises en question.
Pour fêter ses dix ans, le Musée dit vouloir “remettre les voiles vers son origine” : explorer, interroger et déconstruire en croisant art, ethnologie, colonialisme et utopies d’hier et d’aujourd’hui.
La nouvelle exposition permanente, pensée comme une série d’« épisodes » jusqu’en 2030, dévoile une partie des collections du musée, mêlant une antiquité déformée, les héritages coloniaux et certaines créations contemporaines.
Le parcours brouille volontiers les frontières entre musées de beaux-arts et musées d’ethnographie, pour mieux révéler les influences croisées et la fabrication des “mythes méditerranéens” notamment à l’oeuvre au XVIIIème siècle (et l’apparition des plaquettes touristiques).
Une plongée critique dans les stéréotypes véhiculés où le fantasme du « Sud » irrigue aussi bien l’art, la politique, que l’anthropologie coloniale.
D’après les commissaires de l’exposition, la Méditerranée n’est plus un « objet » figé, mais un “carrefour d’identités, d’influences, de pouvoirs et de fantasmes, façonnés par les musées eux-mêmes.”
Et là c’est grand : le MUCEM dont le but était de faire dialoguer les cultures qui avaient la Méditerranée en commun, finit de se saborder en rendant assez illisible la notion de cultures méditerranéennes (qui croire pour finir ? sauf à se dire que les ères culturelles sont toujours en partie vraie et fausse).
L’exposition exhibe cependant des oeuvres magnifiques (même si de nombreuses moulures pour les sculptures) et cela rend ces expositions très agréables (une exposition temporaire autour d’Hervé Di Rosa vous y attend également).
“des perroquets stochastiques” selon l’expression de la linguiste anglaise Emily Bender
Notre éminent professeur oublie au passage, la sagesse de nos législateurs qui ont introduit subséquemment la notion de domaine public, dans lequel tombent les oeuvres passés un certain délai de jouissance de leur propriété.
Pour Derrida, il n’existe pas de sens pur, extérieur, immédiat : tout passe par un tissu d’interprétations, de signes et de langage (qui ne se réduit d’ailleurs pas aux seuls éléments typographiques d’un texte écrit.
J'ai adoré l'Expo Méditerranée comme toutes les expos que j'ai vues au Mucem, un lieu d'exception