Le Wrap Up de la semaine où Zelensky est tombé dans le guet apens de Trump & Vance (semaine du 24 février 2025)
⚙️ : Dow Jones développe une marketplace IA pour les médias - ✊ : MSNBC à gauche - 🏛️ : une info présidentielle très centralisée - 🙈 : Google les tests produits - 🇪🇺: l’Europe doit se renforcer
Ce fut selon les dires du Président des Etats-Unis un « grand moment de télévision », l’entretien dans le Bureau Oval avec le président ukrainien Zelensky :
“This is going to be great television,” he remarked. “I will say that.”
Pour en lire davantage sur le plus télévisuel des présidents américains (Reagan était un enfant du cinéma), un excellent article du NY Times qui relate l’obsession des audiences de Donald J Trump.
Au sommaire de cette semaine :
Productisé ⚙️ : le Dow Jones développe sa market place IA pour les autres médias
Étatiste 🏛️ : jamais l’information présidentielle US n’a été aussi centralisée et désintermédiée
Déréférencée 🙈 : Google tue une petite poche de rentabilité des médias en ligne
Désordonnée 🇪🇺: l’Europe à la croisée des chemins stratégiques
⏳Temps de lecture : 7 minutes et 19 secondes
Si vous préférez tester la version audio de cette newsletter, essayez le rendu de la Google NotebookLM (cette semaine en 🇫🇷), la durée a été réduite à 10 minutes :
Productisé ⚙️ : Dow Jones développe sa place de marché IA pour les autres médias
⏳: 1 min 47 sec
Dow Jones, la maison mère du Wall Street Journal, ne se contente plus de jouer le rôle traditionnel de fournisseur d’info financières (on avait déjà évoqué ses très nombreuses diversifications ici) : il se positionne désormais comme un facilitateur incontournable de de la nouvelle donne de l’IA pour les autres médias.
En effet, Axios relate que Dow Jones a discrètement mis sur pied une véritable place de marché de l’IA destiné aux éditeurs. Cette plateforme, intégrée à sa filiale Factiva, sa branche dédiée aux données et à la recherche, permet aux publishers de licencier leurs contenus à des entreprises « tierces », offrant ainsi un nouveau débouché économique où la qualité et la véracité de l’information premium se trouvent valorisées et monétisées,
Ce nouveau dispositif s’appuie sur le lancement de « Smart Summary », un produit d’IA générative conçu pour transformer le vaste ensemble des contenus issus des 30 000 sources d’information de Factiva en courts résumés, concis et informatifs. Ce système permet aux grandes entreprises abonnées de bénéficier d’un accès rapide et fiable à des analyses et données essentielles sans avoir à parcourir l’intégralité des articles, tout en garantissant la confiance accordée à des contenus vérifiés.
Au fil des mois, le nombre de partenaires éditeurs s’est considérablement accru : de 2000 il y a six mois, à 4000 en novembre, pour atteindre aujourd’hui près de 5 000 éditeurs, démontrant l’attrait grandissant de ce modèle innovant.
Derrière ce projet, Almar Latour, PDG de Dow Jones et éditeur du Wall Street Journal, confirme que même si, pour le moment, l’entreprise ne collabore pas avec des sociétés spécialisées dans l’IA pour la licence de contenus, ce secteur fait l’objet d’une attention particulière et pourrait s’ouvrir dans un avenir proche. La stratégie de Dow Jones repose sur l’extension et la diversification de son réseau de partenaires. Ceux-ci proviennent de 200 pays et publient dans 32 langues différentes, allant des grandes agences internationales telles que l’Associated Press ou le Washington Post, aux acteurs locaux et spécialisés comme l’agence suisse AWP Finanznachrichten AG (en France :
Cette initiative s’inscrit dans une dynamique plus globale où les éditeurs cherchent à tirer parti de l’essor de l’intelligence artificielle. Plusieurs entreprises tentent, en parallèle, de créer des environnements permettant de valoriser et de rémunérer le travail journalistique.
TollBit, un marché à double entrée dédié aux éditeurs et aux entreprises d’IA, a récemment levé 24M$ lors d’un tour de financement, tandis que ProRata développe un moteur de recherche reposant exclusivement sur du contenu sous licence.
Une autre filiale de la galaxie Murdoch, Fox Corp, a quant à elle lancé Verify, une plateforme reposant sur la blockchain conçue pour suivre l’utilisation en ligne des contenus médiatiques.
Ainsi, en s’appuyant sur Factiva et Smart Summary, Dow Jones ne se contente pas de proposer des outils de recherche et de résumé, il tente également de prendre comment les contenus journalistiques sont diffusés, valorisés et rémunérés dans l’ère qui s’ouvre à nous.
Gauchisant ✊ : MSNBC double à gauche
⏳: 1 min 4 sec
MSNBC, la chaîne d’information câblée américaine, a décidé de renforcer son positionnement progressiste sous la houlette de sa nouvelle présidente, Rebecca Kutler. Alors que les États-Unis entrent chaque jour dans la nouvelle ère Trump, la chaîne fait le choix risqué de ne pas se recentrer, mais au contraire de s’appuyer sur ses voix les plus à gauche du pays.
Ce positionnement différenciant rappelle celui qu’avait choisi iTELE en France avant sa disparition, ou celui que France Info et certaines émissions de l’audiovisuel public incarnent pour certains aujourd’hui.
Dans un paysage médiatique où l’objectivité est souvent revendiquée mais rarement atteinte, MSNBC assume désormais pleinement son rôle de contrepoids progressiste face à la montée d’un conservatisme aux États-Unis.
Ce choix est aussi un pari sur l’avenir : rappelons que Donald Trump n’a remporté l’élection face à Kamala Harris que de 49.8% contre 48.3%%, preuve que l’électorat américain reste profondément divisé et donc avide des thèmes de ce camp.
MSNBC semble donc faire le pari que le public démocrate et modéré aura besoin d’un média ancré à gauche pour s’informer dans un contexte politique toujours plus polarisé.
Rebecca Kutler, connue pour avoir fait monté des talents de la presse écrite en TV chez CNN, procède à un remaniement stratégique où elle expose davantage les figures marquantes de la chaîne.
En toile de fond, MSNBC pourrait bientôt être séparée du groupe Comcast pour devenir une entreprise indépendante et cotée en bourse. Une évolution qui l’obligerait à renforcer sa propre infrastructure de production et de journalisme, notamment à Washington, où un bureau dédié pourrait bientôt voir le jour.
En résumé : MSNBC ne cherche plus à rassembler un public modéré, mais à s’imposer comme la chaîne de référence pour un électorat progressiste dans une Amérique toujours plus polarisée.
Étatiste 🏛️ : jamais l’information présidentielle US n’a été aussi centralisée et désintermédiée
⏳: 1 min 8 sec
L’article de The Economist analyse la fusion inédite entre médias et pouvoir aux États-Unis sous l’ère Trump, facilitée par l’influence d’Elon Musk sur X. Contrairement aux critiques de Musk à l’encontre des « médias traditionnels », accusés d’être un porte-voix de l’État, le magazine anglo-saxon accuse en réalité lui et Trump d’incarner aujourd’hui la véritable “propagande d’État”.
Trump utilise Truth Social – dont il est le principal actionnaire – comme son canal de communication direct, tandis que Musk, via X, amplifie son message à 219M d’abonnés (avec les modifications algorithmiques à sa main). Le libéral magazine juge que ce modèle de l’ère moderne dépasse de loin les précédentes évolutions médiatiques présidentielles : là où Kennedy a popularisé la télévision et Obama les réseaux sociaux, Trump monopolise entièrement la narration de sa présidence, éclipsant les médias traditionnels (de l’éviction de l’Associated Press refusant de reconnaître l’appélation de Golfe de l’Amérique ou les restrictions de Bezos sur la nature des éditos que son Washington Post pourra publier).
Cette situation est renforcée par le recrutement sans précédent de personnalités issuées des médias dans son administration : comme par exemple Dan Bongino, ex-Fox News, nommé directeur adjoint du FBI. Le vice-président J.D. Vance lui-même n’est pas en reste, il est un utilisateur assidu de X, engagé dans des joutes verbales publiques à tout sujet.
L’article souligne que cette omniprésence médiatique ne rime pas avec transparence. Les flux continus de déclarations, insultes et polémiques rendent Trump insaisissable et perpétuellement d’actualité. Cette dynamique alimente un paysage médiatique dominé par des figures populistes devenues des “memes humains”, selon le technologiste Nicholas Carr.
Enfin, The Economist nous met en garde contre l’érosion du journalisme traditionnel, affaibli par la montée des plateformes privées, plus vulnérables aux manipulations et à la censure sélective. L’ironie ? Trump et Musk incarnent précisément ce qu’ils dénoncent : un contrôle inédit de l’information par l’État.
Déréférencée 🙈 : Google tue une petite poche de rentabilité des médias en ligne
⏳: 1 min 24 sec
Selon le WSJ, Google a récemment modifié son algorithme de référencement pour les sites de recommandations de produits, déclenchant une véritable crise pour ces plateformes, qui reposaient largement sur le trafic issu du moteur de recherche.
Des sites comme CNN Underscored, Forbes Vetted et Buy Side du Wall Street Journal ont vu leur audience chuter drastiquement, certains perdant jusqu’à 83% de leur trafic en un an.
Une chasse aux abus, mais à quel prix ?
L’objectif affiché par Google est comme souvent « d’améliorer la qualité des résultats de recherche en pénalisant les contenus jugés trop optimisés pour le SEO » plutôt que réellement utiles aux utilisateurs.
Le géant du web cible notamment ce qu’il qualifie d’abus de réputation de site, c’est-à-dire des contenus rédigés par des entités externes, comme des freelances ou des agences tierces, qui profiteraient indûment de la notoriété d’un média établi.1
Or, cette nouvelle politique a conduit à des décisions radicales : Forbes Vetted a cessé toute collaboration avec des freelances, Buy Side du WSJ a revu son partenariat avec la plateforme Credible, et CNN Underscored a supprimé les articles écrits par des indépendants. Des sites comme Time Stamped et AP Buyline ont même jeté l’éponge (dont nous avions parlé à l’époque ici) cessant purement et simplement leur activité.
Un modèle économique en péril
Les éditeurs de ces sites se retrouvent à la merci des décisions de Google, qui a comme souvent droit de vie et de mort sur un modèle économique viable pour les médias en ligne. Pendant que les plateformes traditionnelles comme Wirecutter (New York Times) ou The Strategist (Vox Media), majoritairement écrites en interne, sont relativement épargnées, les sites reposant sur des collaborations externes se voient sanctionnés (à se demander comment Google arrive à faire son tri en la matière).
Les freelances, eux, subissent de plein fouet ce changement. Certains, comme ont perdu jusqu’à 25% de leurs revenus à cause de ces nouvelles règles.
Une dépendance croissante à Google
Alors que les réseaux sociaux comme X (ex-Twitter) et Meta réduisent leur trafic vers les sites d’actualité, les médias dépendent de plus en plus de Google pour leur visibilité. Cette refonte du référencement démontre à quel point le moteur de recherche exerce un contrôle absolu sur l’économie de l’information en ligne malgré les tentatives de sauver le noyé.
En France, vent de panique chez les Numériques (Reworld), les Comment ça marche (Le Figaro) et autres
Désordonnée 🇪🇺: l’Europe à la croisée des chemins stratégiques
⏳: 1 min 7 sec
Une fois n’est pas coutume et en raison de quelques jours de congés, je vous recommande la lecture d’un des entretiens les plus éclairants du moment, dans un entretien au Figaro, Olivier Zajec analyse l’impact de la brutale réorientation stratégique opérée par Donald Trump sur la guerre en Ukraine et ses conséquences pour l’Europe. Selon lui, les négociations entre Washington et Moscou marquent la fin d’une séquence uniquement basée sur l’ascendant militaire. Trump, en quête d’une posture de faiseur de paix, ne cherche pas seulement à ajuster les rapports de force, mais à renverser l’échiquier complètement.
Si les États-Unis considèrent la guerre en Ukraine comme un conflit périphérique, la Russie, elle, la voit comme existentielle. Ce différentiel d’engagement, ignoré par les Occidentaux, a conduit à un mauvais calcul stratégique. Pendant trois ans, Washington a alimenté la résistance ukrainienne tout en maintenant l’incertitude sur son soutien à long terme. Aujourd’hui, la Maison-Blanche se repositionne en privilégiant la confrontation avec la Chine et donc en lâchant du lest sur la confrontation avec la Russie de Poutine.
L’Europe, elle, se retrouve marginalisée dans ce jeu de puissances. Zajec souligne que
C’est ce que voulaient de longue date les Français, et qui justifiait le gambit de 2009 : remodeler une organisation de défense collective qui aurait eu vocation à s’européaniser. Les Danois, les Polonais, les Britanniques ont combattu ce modèle, caricaturé en «gaullisme» nostalgique. La tragédie est que cette ambition d’autonomie stratégique, loin de correspondre à une démesure nostalgique, n’était que l’expression d’un réalisme de survie. Et la voie à suivre. Le réveil est brutal.
Le choix est désormais clair :
“Cette vérité est la suivante : la sécurité a un prix. Vous l’acquittez par l’autonomie de votre politique de défense, ou bien vous la payez de votre dignité.”
Cet article fait un plaidoyer convaincant sur le fait que L’Europe doit cesser de dépendre du parapluie américain et prendre en main sa propre défense, sous peine d’un déclassement irréversible.
C’était une politique populaire dans les années 2010 pour les éditeurs de référence de racheter des assets numériques pour augmenter leur reach, même si ces pages informatives n’étaient que peu pertinentes pour eux. On peut citer pêle-mêle les sites de conjugaison, de citations ou encore de recettes de cuisine…
Olivier Zajec est l’un des grands spécialistes français de la stratégie militaire. Professeur de Relations internationales à l’Université Lyon-III, où il a fondé et dirige l’Institut d’études de stratégie et de défense (IESD), il a enseigné à l’Ecole de Guerre pendant une douzaine d’années.