Le Wrap Up de la semaine où un cessez-le-feu a été amorcé au Liban (semaine du 25 novembre 2024)
👨💼 : Hearst sauvé par le B2B ? - 🧱 : l’information fracturée - 🧐 : nouveaux talents et recommandation algorithmique ? - 🧗 : l’émergence des newsfluenceurs - 😅 : Arte Povera chez Pinault
Au sommaire de cette semaine :
Professionalisés 👨💼 : de meilleurs journaux Hearst grâce au B2B ?
Fracturée 🧱 : l’information se délite et compromet ce qui fait société?
Découvreur 🧐 : les algorithmes peuvent-ils faire découvrir de nouveaux talents
⏳ Temps de lecture : 8 min 20 sec
Si vous préférez tester la version audio de cette newsletter, essayez le rendu de la moulinette Google NotebookLLM (encore en 🇫🇷), le résultat est un peu moins fluide surtout pour l’intervenante féminine dont les interventions pourraient moins… affirmatives :
Professionalisés 👨💼 : de meilleurs journaux Hearst grâce au B2B ?
⏳ : 1 min 52 sec
Hearst Corporation, un des plus vieux groupes médias US, fondé il y a 137 ans, affiche étonnemment un CA de 12,8 Md$ en 2024 (en progression de +7%. Mais le plus marquant dans cette évolution, c’est le basculement stratégique qui fait de ses activités B2B (business-to-business) la première source de profits, représentant plus de 50% du total contre seulement 13% en 2013.
Steve Swartz, PDG de Hearst, attribue cette performance aux investissements ciblés dans trois secteurs clés : les services financiers, la santé et le transport.
Ces axes, issus des premières incursions de Hearst dans l'édition professionnelle, s'avèrent aujourd'hui cruciaux pour équilibrer les défis posés par la volatilité des revenus publicitaires et des abonnements dans les médias B2C.
Parmi les réussites majeures :
Fitch Group : l’agence d’informations financières acquise en totalité en 2018 est désormais le plus grand contributeur aux profits de Hearst;
Le transport : De ses débuts avec Motor Magazine en 1903, cette division inclut désormais des services de bases de données et des logiciels pour l'aviation, le transport routier et l'automobile;
La santé : Le portefeuille B2B comprend six entreprises spécialisées, dont FDB, acquise en 1980 pour seulement 80 000 dollars et devenue un contributeur clé.
Selon Swartz, le marché des magazines généralistes est particulièrement difficile en raison de l'impossibilité d’augmenter significativement les prix d’abonnement. Cela a conduit Hearst à réduire ses effectifs dans ce domaine, bien que le groupe possède encore des titres prestigieux comme Cosmopolitan et Harper’s Bazaar.
Pourtant, contre-intuitivement, ce groupe plus équilibré avec les revenus (et les profits) B2B permet de continuer à soutenir l’activité journaux en hausse grâce aux abonnements numériques.
I do believe we are a stronger publisher of newspapers and magazines — two very difficult businesses — because we have other sources of growth… We can be more patient than perhaps some others.
Même si la presse écrite continue de faire face à des difficultés, l'activité de télévision locale de Hearst continue d'être très rentable (Hearst détient également 20% de la chaîne de sports ESPN et 50% du groupe de chaînes thématiques A&E, tous deux via des JVs avec Disney).
Hearst a fait également parti des précurseurs en signant un accord avec OpenAI pour intégrer le contenu de plus de 40 journaux et 20 magazines du groupe dans ChatGPT, montrant aussi sa capacité à rapidement saisir des opportunités.
Il faut dire qu’Hearst a été particulièrement actif sur le plan de la croissance externe depuis une décennie en dépensant 14 Md€, principalement dans le B2B. Rien qu’en 2024, des acquisitions comme QGenda (2 Md€, solutions de gestion RH dans le médical) ou Avinode (200 M$, place de marché pour l’affrètement de transport aérien privé) renforcent son positionnement. Il a également acheté l'année dernière une plateforme de jeux de réflexion appelée Puzzmo pour alimenter son portefeuille de journaux.
Propriété d’un trust familial, la gouvernance de Hearst reste atypique : seule une minorité des sièges au conseil d'administration est occupée par des descendants directs de William Randolph Hearst (le modèle de Citizen Kane).
Fracturée 🧱 : l’information se délite et compromet ce qui fait société?
⏳ : 1 min 47 sec
Le rapport parlementaire britannique "The Future of News", publié après une investigation de neuf mois d’investigation, interpelle le Premier Ministre du Royaume-Uni, Keir Starmer (oui c’est comme ça qu’il s’appelle) :
Il y a un risque que le paysage informationnel britannique se fracture de manière irréversible d’ici cinq à dix ans sur des lignes sociales, économiques et régionales. Les conséquences sur la société et notre démocratie seraient sombres », préviennent les parlementaires, qui concèdent qu’« il n’existe pas de solution miracle ».
Chloé Woitier du Figaro dans un billet sur Linkedin le résume très bien les points d’alerte :
1. Un système média à deux vitesses
Les experts du rapport dénoncent l’émergence d’un système binaire :
d’un côté, les médias "premium", qui parviennent à monétiser leurs contenus auprès d’un public aisé,
et de l’autre, les tabloïds populaires et la presse locale, en grande difficulté.
2. Et le désert média avance
La montée des “déserts médiatiques” illustre ce phénomène : au moins 4,1 millions de Britanniques vivent dans des zones sans couverture journalistique locale1. Ce constat est amplifié par la prolifération des "journaux zombies", ces titres régionaux aux contenus standardisés par les dépêches Reuters et le règne à venir de ChatGPT.
En parallèle, sans surprise là non plus, la presse locale, pourtant essentielle pour la vie démocratique et la transparence, continue de décliner.
Le cabinet de conseil Enders Analysis qui a contribué au rapport le reprend: “une part croissante de la population n’a que peu de contact avec des informations professionnelles et se tourne vers des contenus trouvés sur Internet.”
3. La défiance et l’indifférence croissante
La défiance envers les médias ne cesse de croître : entre 2015 et 2024, la confiance dans la presse est passée de 51% à 36%.
Pire encore, l’intérêt général pour l’information s’effondre : seulement 38% des Britanniques se disant intéressés, contre 70% il y a moins de dix ans.
Ce désengagement met en lumière un paradoxe : des contenus journalistiques de qualité, même si souvent disponibles gratuitement, peinent à capter l’attention.
4. La BBC en super héros?
La BBC, pilier historique du paysage britannique, reste la 1ère source d’information pour le public. Cependant, sa popularité s’effrite, notamment parmi les classes populaires, qui se sentent souvent caricaturées ou mal représentées.
5. Le poison du snacking
Enfin, le rapport souligne les effets pervers du snacking de l’information : le recours accru à des contenus courts, dépouillés de leur contexte, qui pourtant ont plus de chances de capter l’attention des Britanniques désormais avides de réseaux sociaux, limite indéniablement la compréhension globale des faits.
Si le rapport se concentre sur le Royaume-Uni, les dynamiques identifiées résonnent également en France : la centralisation des médias, le déclin des titres locaux, et la polarisation croissante entre "info premium" et contenus sensationnalistes sont des défis communs.
Découvreur 🧐 : les algorithmes peuvent-ils faire découvrir de nouveaux talents
⏳ : 1 min 52 sec
Lors de la journée We Are French Touch placée sous l’égide de la BPI, plusieurs experts ont participé à une table ronde sur comment l’intelligence artificielle (IA) et les algorithmes transforment la découvrabilité des contenus (musique, vidéo ou même art contemporain).
Voici quelques moments clés et points de vue qui m’ont marqué lors de cette rencontre.
Moments Lab : Simplifier l’accès au contenu multimédia
Philippe Petitpont, CEO de Moments Lab, explique comment sa société qualifie l’audio et la vidéo en vecteurs (la méthode des transformers à la base des LLMs de l’IA), rendant possible une accessibilité au contenu en moins d’une heure. Cela soulève la question du “garbage in, garbage out” : l’efficacité des algorithmes dépend ainsi directement de la qualité des données.
Music Tomorrow : Identifier les niches musicales
Julie Knibbe, Chief Product & Technology Officer, propose, elle, une approche innovante pour représenter les données musicales extraites des plates-formes de streaming. Elle aide ainsi à découvrir des niches méconnues des programmateurs au-delà des genres dominants (ex. avec le “lofi médiéval” ou l’“italo-disco”) afin de donner des indications à des acteurs musicaux pour servir des niches d’audience délaissées.
Deezer : Une organisation des métadonnées essentielles
Aurélien Hérault, Chief Innovation Officer de Deezer, évoque le défi de gérer les 150 000 fichiers musicaux livrés quotidiennement. La structuration des métadonnées via des outils avancés permet de (re)qualifier les catalogues au delà de ce que les maisons de disque fournissent et d’ouvrir des données aux utilisateurs, tout en restant un peu confidentiel pour ne pas justement donner trop de matières aux petits malins qui tentent de truquer les algorithmiques à leur profit.
Docent : L’IA au service de l’art contemporain
Mathieu Rosenbaum, Professeur à l’École Polytechnique et Chief Scientific Officer de Docent, s’intéresse à lever les freins à la découvrabilité dans l’art contemporain. L’algorithme de Docent est pour sa part supervisé par des spécialistes (environ 200), garantissant une recommandation humaine pour mettre en avant les artistes émergents. Leur objectif ? Sortir de l’effet de bulle pour exposer des œuvres émergentes qui n’auraient pas encore bénéficié d’exposition dans les musées.
Brut : Contenus engageants et niches
Adrien Torres, Directeur de la Stratégie chez Brut, évoque la tension entre adresser des niches et rester fidèle à la philosophie de contenu ouvert.
Brut passe au tamis des LLMs ses 100 000 commentaires à leurs posts sur les réseaux sociaux pour mieux caractériser les sujets qui engagent. Adrien note également que l’absence de points de vue tranchés dans leurs contenus reflète une volonté d’éviter les perspectives “monadiques” (mot compte triple).
Défis éthiques et vision future
Parmi les questions clés soulevées, la transparence des critères algorithmiques et la responsabilité éthique restent centrales. Comment rémunérer équitablement les créateurs tout en maintenant la diversité des contenus ? Philippe Petitpont et Adrien Torres partagent une vision d’avenir : démocratiser l’accès à la production vidéo et explorer les territoires des niches, ce qui passera sans doute par des modèles de rémunération centré sur l’utilisateur et non pas sur la part de marché global d’un contenu.
Emergeant 🧗 : l’ascension des newsfluenceurs
⏳ : 1 min 35 sec
L’émergence des "News Influencers" (que personnellement je préfère raccourcir en Newsfluenceurs) aux États-Unis marque un basculement profond dans le paysage médiatico-politique.
Lors de la dernière présidentielle, YouTube et Spotify ont joué un rôle clé en hébergeant des podcasts aux audiences vertigineuses (on parle d’environ 100M d’écoutes pour les interventions de Trump chez Joe Rogan ou Lex Fridman).
Ces derniers ne se revendiquent pas journalistes mais captent un public jeune. Les médias traditionnels sont désormais perçus comme élitistes et déconnectés (et très vieillissants : CNN a 67 ans d’âge médian pour ses téléspectateurs).2
Pourquoi cette transformation ?
Filloux analyse l’enquête du Pew Research Center :
L’attrait des formats longs : Contrairement aux interviews télévisées scénarisées, ces podcasts offrent des échanges sans filtre, perçus comme sincères. Les auditeurs apprécient ces conversations non montées, souvent bienveillantes envers les invités.3
Un public plus jeune : Les plateformes comme YouTube captivent les moins de 30 ans, là où les chaînes classiques peinent à renouveler leur audience vieillissante.
Une domination conservatrice : L’écosystème des "News Influencers" est largement dominé par la droite, qui s’approprie ces outils pour diffuser ses idées sans contradiction majeure.
Les Démocrates à la traîne
L’échec des Démocrates à s’adapter à ce nouveau paysage est flagrant. Kamala Harris, par exemple, a refusé de participer aux podcasts de Rogan, ratant une occasion d’atteindre un public clé, alors même que ce dernier était un libéral convaincu il y a à peine 5 ans. Pendant ce temps, Trump a profité de ces tribunes pour mobiliser ses supporters et séduire les indécis.
Des enseignements pour les médias traditionnels
Face à cette mutation, Frédéric Filloux enjoint les médias classiques à réagir. Quelques pistes :
Diversifier les voix et les talents : Miser sur des personnalités fortes et engageantes plutôt que sur des formats lisses et consensuels;
Investir dans le vlogcasting : YouTube, en particulier, représente une opportunité incontournable pour toucher de nouvelles audiences;
Se reconnecter avec leur public : Réévaluer leur ligne éditoriale pour mieux refléter la diversité de la population qu’ils souhaitent informer.
L’ascension des "News Influencers" souligne une réalité : l’information devient de plus en plus fragmentée et personnalisée. Les médias traditionnels doivent s’adapter rapidement s’ils veulent éviter une marginalisation irréversible.
Par ailleurs, leurs audiences monstres leur promettent une économie soutenable dans le temps.
Les non-journalistes maîtrisent les outils de monétisation à hauteur de 63% contre 46% pour ceux issus du sérail ; 52% des non professionnels des médias recourent à l’abonnement pour se financer et 39% aux donations. Cela veut dire que les news influencers sont en train de créer un écosystème viable.
Appauvri 😅 : l’Arte Povera à la Collection Pinault
⏳ : 1 min 14 sec
Jamais un lieu si riche n’aura accueilli un art si pauvre. La Bourse de Commerce accueille depuis début octobre une exposition consacrée à l’Arte Povera.
En traversant plus de 250 œuvres historiques et contemporaines, on est invité à plonger dans l’un des courants artistiques les plus intrigants des années 1960 aux confins du Situationnisme et de l’Art Brut, la dénonciation de la société de consommation et l’intégration dans les galeries en plus.
Voici quelques impressions après avoir arpenté ce lieu magnifique :
Un écrin monumental pour un mouvement singulier
La scénographie imaginée au cœur de la Bourse de Commerce est remarquable. Le vaste espace central permet d’accueillir des œuvres monumentales, tandis que les coursives et les étages offrent une proximité idéale pour explorer les univers spécifiques de chaque artiste. Cet agencement est particulièrement réussi pour mettre en valeur la diversité des pratiques des treize figures majeures de l’Arte Povera, de Mario Merz à Michelangelo Pistoletto.
Des œuvres qui interpellent, entre familiarité et étrangeté
Parmi les nombreux artistes exposés, j’ai été particulièrement touché par les œuvres de Mario Merz et de Pino Pascali. Leur approche, plus accessible et moins abstraite, m’a semblé immédiatement appréhendable. Les matériaux simples, voire bruts, qu’ils utilisent - acier, bois, fibres naturelles - s’inscrivent dans une logique à la fois poétique et conceptuelle. Ce sont des œuvres qui invitent à la contemplation sans chercher à dérouter à tout prix.
À l’inverse, certaines propositions plus « barrées » m’ont laissé perplexe, typiques du situationnisme propre à ce mouvement. Si l’humour et la provocation fonctionnent parfois pour susciter des réactions, j’ai toujours du mal à les considérer comme une forme d’art véritablement « sérieuse ».
Un regard contrasté mais nécessaire
En quittant l’exposition, je reste partagé. Certaines propositions étaient trop conceptuelles pour réellement m’atteindre. Mais n’est-ce pas là tout l’intérêt de l’Arte Povera ? Interroger, perturber, susciter une réflexion, même si elle n’est pas toujours confortable. Cette exposition m’a, au final, permis de redécouvrir un courant artistique complexe et encore très actuel.
on serait curieux de connaître un chiffre équivalent pour la France.
Ecouter l’émission Répliques qui souligne à quel point les Démocrates en sont venus à incarner l’establishment.
Voir aussi la nouvelle tendance publicitaire émergée avec les faux podcasts, où des patrons de startups donnent l’impression de répondre à une interview de vlogs alors que pas du tout…