Le Wrap Up de la semaine où on a fêté les 150 ans de la naissance de Charles Baudelaire (semaine du 5 avril 2021)
5 bullet points média, tech et société avec une pointe de culture (plutôt digitale en ce moment)
Temps de lecture : 8 minutes
Au sommaire de cette semaine :
Régulé 🎮 : le succès de Twitch.TV l’oblige à se surveiller
Synthétisé 🤖 : Disney veut mettre de l’émotion dans les voix robotiques ?
Illusionné 🥴 : le mirage des newsletters ?
Référencé 🤖 : le groupe belge ROSSEL investit dans l’ASO
Répliqué 🎭 : le Marchand de Venise de Shakespeare
Régulé 🎮 : le succès de Twitch.TV l’oblige à se surveiller
La plateforme vidéo, initialement réservé au gaming, a le vent en poupe : elle apparaît de plus en plus dans les plans de communication des marques, des clubs sportifs et, élections présidentielles approchant, des vélléités des politiques de parler aux “Jeunes”.
La plateforme a adopté cette semaine, une régulation visant à réduire les comportements délictueux (la sanction la plus grave est la suspension définitive du compte) non seulement sur la plateforme, mais plus original, en dehors de la plateforme d’une part, et dans le monde offline également :
Nous sommes convaincus que les infractions graves commises par les utilisateurs de Twitch ailleurs que sur notre site peuvent présenter un risque considérable pour toute la communauté.
Par conséquent, nous sanctionnerons les comptes concernés, en appliquant des mesures pouvant aller jusqu'à une suspension indéfinie dès la première infraction dans le cadre de certains comportements hors ligne ou sur d'autres services Internet.
La liste des comportements visés par la nouvelle politique de Twitch comprend des actions mortelles ou violentes, des menaces de mort, des activités terroristes, la participation à un "groupe de haine notoire" ou encore l'exploitation sexuelle d'enfants.
Voyons où cette justice, qu’on pourrait qualifier de privée, mène la plateforme avec son arsenal particulier : encouragements à la délation, mise sur pied d’une équipe d’enquêteurs internes, délais de prescription propres à la plateforme, clémence si le fauteur de troubles “ne présente pas de danger clair et immédiat”, libre choix de collaboration avec les autorités.
Replongeons dans Twitch
Pour reprendre pied sur Twitch et revoir ses basiques, l’agence digitale Spintank, donnait un webinar très intéressant sur Twitch.tv (disponible sur inscription) et revenait sur les us et coutumes de la plateforme (Merci Jérôme!)
La conférence de plus d’une heure donne beaucoup d’informations, parmi cette abondance, quelques éléments à retenir :
Twitch est le descendant du “livecast” de Just.in (une personne se filmait 24/24 en 2005). Le seuil de rentabilité a été atteint dès 2013, elle est aujourd’hui la 4ème source de trafic de l’internet US !
Rachat par Amazon en 2014 avec une volonté de démocratisation, d’en faire la 1ère plateforme de streaming en direct du monde, donc d’ouvrir au-delà du jeu vidéo. Même si le jeu vidéo reste le coeur de l’audience, de nouvelles verticales se sont ouvertes et connaissent un certain succès : cours de cuisine, discussions sur l’Histoire, les QAG (Questions d’Actualité au Gouvernement) en partenariat avec Public Sénat, des commentaires de matchs de foot en direct…
L’écran d’accueil est un patchwork difficilement accessible pour les néophytes (et les esthètes), elle combine un premier live, un classement des chaînes les plus populaires (à gauche), le chat live de la chaîne.
Les fonctionnalités clés qui ont fait le succès de la plateforme : l’interactivité, la communauté, la liberté (la plateforme reste sous les radars, et n’a pas encore la même composition grand public; mais petit à petit, cette liberté se réduit : les streamers n’ont plus le droit de diffuser à présent de la musique, pour des raisons de copyright) et la spontanéité (les vidéos de live sont de fait moins travaillées, moins scriptées que les vidéos youtube).
Côté chiffres : au global, 26,6 m de visiteurs quotidiens, 95 minutes de consommation quotidienne. Pour la France : 5m de VU par mois, 70% d’entre eux ont moins de 35 ans.
Importance de la longue traîne : 95% des contenus regardés sur la plateforme attirent 5 spectateurs ou moins !
Le succès de ZeEvent en France (Zerator) : 5,7M€ réunis le temps d’un weekend pour Amnesty International en avril dernier.
Un vocabulaire spécifique : des vidéos de React (réactions) pendant le visionnage d’un contenu tiers, les Raid (redirections) qui renvoie des spectateurs en fin de live vers un autre streamer;
Importance de la VOD (Twitch ne conserve que les vidéos pour une durée maximum de 60 jours des vidéos ouvrant ainsi la voie à des replays sur les chaînes payantes, le plus souvent montés et raccourcis, touchant ainsi un public différent de celui des lives)
La monétisation
les diffuseurs ne touchent de revenus qu’à partir d’un certain niveau d’audience et de régularité de lives, et deviennent d’abord des affiliés ou plus tard des partenaire. Le partage des revenus se fait à 50/50 avec Twitch sauf pour les très gros influenceurs qui peuvent avoir un meilleur taux (en étant partenaire twitch, engagement à ne pas faire de live sur d’autres plates-formes). Plusieurs moyens :
les subs : abonnement payant à un streamer (trois paliers : 4.99€ par mois // 9€ ou 24€ par mois). Tout abonnement à Amazon Prime donne le droit à un abonnement Prime Gaming à attribuer à un streamer donné;
les Bits (la monnaie virtuelle de Twitch) 1.52€ qui permet de faire un cadeau aux streamers dont on a apprécié le stream;
la publicité pour les streamers (pub en preroll avant les lives) - le streamer peut désactiver des pubs pour ses abonnés payants (ses subs pardon);
les partenariats : sponsoring ou simple opération commerciale.
Votre enfant pourra-t’il devenir streamer à succès ?
Plusieurs barrières à l’entrée pour devenir un streamer influent désormais :
la fanbase préexistante : sans base de followers déjà constitué, difficile d’émerger;
les compétences techniques : comme le montre la capture ci-dessous, il faut pouvoir se payer ces équipements et savoir les opérer en temps réel; Les streamers les plus populaires comme Domingo ou GOTAGA ont des équipes de respectivement 8 salariés ou 10 personnes;
la pugnacité : la régularité est impérative, et on peut très bien voir une décroissance des revenus en cas d’absence de streams sur un seul mois donné ;
le talent pour résister à l’usure du streamer : il y a un vrai talent à savoir gérer plusieurs flux d’informations, plusieurs heures par jour, à fédérer et à continuer d’attirer une fanbase importante.
Les marques sur Twitch
3 phases pour les marques dispensés par Spintank :
L’écoute du public et faire de la veille, de “l’acculturation” : se pénétrer de l’esprit Twitch ;
La pub : offre de pub standardisée sur Twitch / le streamer peut déclencher lui même la publicité / pre roll désactivé pour les abonnements;
Le soutien : soutenir des chaînes et des streamers, association forte avec le streamer (ex Squeezie / Orange, Popcorn et Citroën, Afflelou, Rivenzi, streamer sur l’histoire qui visite en live le Musée de l’Armée des Invalides).
Pour aller plus loin je vous recommande vivement le webinar de Spintank
Synthétisé 🤖 : Disney veut mettre de l’émotion dans les voix robotiques ?
Photo by Morning Brew on Unsplash
Nouvelle pépite déterrée par The Patent Drop, un brevet déposé par Disney sur la modulation des voix synthétiques pour y insérer le plus possible des émotions humaines :
Most speech generation models are trained to generate the most likely averaged speech, which tends to be neutral in tone.
Without getting lost in the details of how Disney is essentially looking to train neural networks to generate speech that takes on the form of different emotional contexts, such as happiness, sadness, anger, fear, excitement, affection, dislike and more. There’ll be audio templates where speech will be generated to fill in the gaps, in a way that aligns of the emotional context for the whole sentence.
L’auteur de Patent Drop fait une hypothèse osée mais intéressante : croisé avec un brevet précédent qui traitait de l’intelligence artificielle pour dialoguer avec un enfant, il spécule que ce brevet permettra au Magic Kingdom d’être en pointe sur les androids pour enfants (qu’il appelle Consumer Robotics) : imaginons ensemble un instant d’offrir à des enfants pour Noël un petit Mickey articulé, qui parle et interagi avec l’enfant comme un vrai personnage de dessins animés…
Plus prosaïquement, on peut aussi penser qu’étant depuis toujours un professionnel de l’image “désincarnée”, il cherche aussi à désincarner la voix.
Illusionné 🥴 : le mirage des newsletters?
Frédéric Filloux régulièrement cité ici comme un grand connaisseur de l’économie des médias, s’attaque au modèle économique des newsletters… dans sa nouvelle newsletter Episodiqu.es.
Après avoir expliqué pourquoi les newsletters connaissaient un puissant essor, il s’attaque à la question clé : cette économie est-elle viable ?
D’après lui non pour 4 raisons :
“la médiocrité tend à noyer la qualité” et devant la prolifération de contenus, il sera Le vibrant écosystème des newsletters risque de souffrir des mêmes maux liés à l’abondance numérique où la médiocrité tend à noyer la qualité, rendant impossible de distinguer “le signal du bruit”. (personnellement, je n’y souscris pas vraiment, dans la mesure où c’est bien tout le rôle de la curation et dans une moindre mesure des réseaux sociaux que de permettre au bon contenu de surnage)
Un argument particulièrement pertinent : le numérique nivelle tous les types de contenus :
S’abonner à Netflix, à un site de rencontres, à un service de streaming, de commander un Uber, ou d’acheter un repas sur Deliveroo. Le grand niveleur est le téléphone portable dont l’interface unifiée réduit à zéro l’arbitrage dans le processus de décision.
Une raison économique : le journalisme ne se suffit pas à lui-même. Il y a bien d’autres compétences à mettre en oeuvre pour parvenir à émerger : la relecture, même en digital, l’enquête, des fact checkers, la monétisation ou encore le marketing de la publication sont des tâches consommatrices de temps que nos producteurs de contenus en herbe ne pourront matériellement pas prendre en charge.
Il conclut avec quelques considérations sur les valorisations récentes et les appétits des plates-formes pour faire irruption sur cette scène-là.
Lire du même auteur, le sanglant article dans l’Express ($) sur la raison pour laquelle les startups françaises ne donneront jamais naissance à des géants de la tech
Référencé 🤖 : le groupe belge ROSSEL investit dans l’ASO
Intéressant mouvement du groupe Rossel, actionnaire de référence du Soir en Belgique ou de la Voix du Nord en France, ou encore co-actionnaire de 20 Minutes en France. Le groupe vient de renforcer son investissement dans AppTweak, une startup bruxelloise spécialisée dans l’AppStore Optimization, pour les moins spécialistes : améliorer le référencement des applications des éditeurs sur Google Play ou sur l’AppStore d’Apple.
Le montant de l’investissement est suffisamment significatif pour ne pas être anodin : 19 M€ ! sans doute aux alentours de 5% du CA annuel du groupe belge, lui donnant 75% de l’entreprise. La startup fait déjà près de 5 M€ (+100% sur un an) et a dans son portefeuille près de 15 000 clients, dont certains noms prestigieux comme France Télévisions, HBO ou Amazon.
Rossel donne plusieurs explications à cet investissement, mais le principal qu’on a envie de retenir est celui du coeur : l’entrepreneur est bruxellois, Rossel avait déjà investi comme Business Angel (les groupes médias ont peu souvent une activité de seed investing, TF1 est un des rares autres exemples avec le fonds OneInnovation, à ma connaissance).
Le mouvement n’en reste pas moins surprenant tant les groupes médias européens sont réticents à investir dans des métiers à forte composante technologique (on se souvient des velléités d’investir dans l’adtech programmatique il y a quelques années de la plupart des acteurs TV européens).
Répliqué 🎭 : Le Marchand de Venise de Shakespeare
Le hasard fait bien les choses. A quelques jours d’intervalle, je lisais la pièce de Shakespeare, le Marchand de Venise et tombais sur l’émission d’Alain Finkielkraut sur ce thème. Il n’en fallait pas plus que je vous recommande la lecture de l’un et l’écoute de l’autre.
On peut tout à fait ne pas être d’accord avec les prises de position de Finkielkraut, en revanche, on ne peut oublier l’agrégé de lettres qui se cache derrière l’intellectuel volontiers “mécontemporain” : ses meilleures émissions sont assurément celles où il se mêle de littérature;
Dans celle-ci, il donne la parole au politologue Philippe Raynaud, auteur de la préface de La pensée politique de Shakespeare par Allan Bloom et du professeur au Collège de France Michael Edwards, spécialiste du “Barde” et auteur de Shakespeare ou la Comédie de l’Emerveillement. Deux thèmes ont particulièrement retenu mon attention :
le thème de la sécularisation des rapports entre les religions à la période moderne, passées les aspirations à la gloire de la politique ou de la guerre et à la miséricorde des religions, tous rassemblées le chapiteau du commerce. Voltaire l’a dit autrement :
Entrez dans la Bourse de Londres, cette place plus respectable que bien des cours ; vous y voyez rassemblés les députés de toutes les nations pour l’utilité des hommes. Là, le juif, le mahométan et le chrétien traitent l’un avec l’autre comme s’ils étaient de la même religion, et ne donnent le nom d’infidèles qu’à ceux qui font banqueroute ;
L’autre idée développée est celle qui cherche à démystifier la pièce : en effet, elle se veut le symbole de l’abjection de l’antisémitisme (en particulier avec la célèbre réplique de Shylock : “quand vous nous piquez, ne saignons-nous pas?”). Or ni le Chrétien Antonio, ni le Juif Shylock ne sont exactement les paragons de vertu exigée par leur religion respective et donc les incarnations de l’affrontement religieux imaginé. Il se dégage dans le Marchand de Venise, ainsi une réfutation des thèses de Marcion qui avait introduit une distinction entre le Dieu de l’Ancien Testament, colérique et vindicatif, et celui du Nouveau Testament, prônant l’Amour et la Miséricorde. Les lois de la Cité, les règles de charité chrétienne et la force exécutoire du contrat de prêt se percutent ainsi dans des dilemmes moraux insolubles.
Pour ce qui est de mes petites pensées au sujet de la pièce, je ne saurais trop vous conseiller cette rapide lecture : L’intrigue porte sur Antonio qui se porte caution auprès de Shylock pour son camarade Bassanio, afin que ce dernier puisse se présenter fortuné et séduire la belle Portia; le défaut de la caution est fixée par bravade : une livre de chair près du cœur !
Les mésaventures des bateaux commandités d’Antonio feront que cette menace lointaine devra être mise à exécution à la demande d’un Shylock rendu aveuglément revanchard par la fugue de sa fille, Jessica, avec l’un des amis des Chrétiens, Lorenzo, avec le trésor de l’usurier.
Le texte est plein de subtilités et chaque camp se trouve pris à revers de son jeu de valeurs, les mots à double sens sont légion tout comme les homophonies. Le préambule de François Laroque est très utile pour éclairer ce texte classique.
Excellent ! Je découvre tout juste ta newsletter. Bravo 👌