Le Wrap Up de la semaine où Bridgestone a annoncé la fermerture de l'usine de Béthune (semaine du 14 septembre 2020)
5 bullet points : médias, tech, société
J’ai eu la chance de croiser la route de Gilles CHETELAT lorsqu’il y a quelques années, directeur du développement de TF1, lorsque je regardais attentivement la société qu’il avait fondé avec Hervé BRUNET, StickyAds. C’était l’époque où les groupes vivant de la pub s’intéressaient de très près aux adtechs et à l’émergence de la programmatique.
Gilles a finalement vendu sa société à un groupe US, Freewheel (filiale de Comcast), devenant ainsi une des plus belles “exits” de la tech française. Après avoir raconté ses aventures dans le livre au titre évocateur “Get Shits Done”, il est devenu un serial entrepreneur en lançant officiellement la semaine dernière Clind, dans le domaine de “l’apprentissage au long de la vie”. Cette application structure et pousse du contenu destiné à vous aider à continuer à apprendre dans les domaines que vous lui avez indiqués. (Pour rejoindre la « room » du Wrap Up c’est ici)
Pour saluer ce nouveau projet (et parce que la semaine dernière le Wrap Up était un peu long), je vais tenter de traiter les bullet points de cette semaine en mode “3 take ways” qui est un des gimmicks de l’application Clind.
Long story, short, le sommaire de cette semaine :
Entendu👂 : le podcast un média d’avenir
Américanisé 🇺🇸: Tik-Tok accueillerait malgré lui Oracle et Walmart à son capital
Amusé 🎲: la gamification de l’éducation à l’oeuvre avec PowerZ
Ecouté 🗣: La fin du Débat (Répliques)
Hyperlié 🔗 : l’internet avant l’internet avec Borges
Entendu👂 : le podcast un média d’avenir
Dans le secteur des médias, la monétisation des podcasts continue de susciter les spéculations de la plupart des observateurs.
Malgré la réduction du temps d’écoute pendant le confinement (liée à la baisse du trafic domicile-travail), la popularité du format ne se dément pas, il serait logique que la monétisation progresse dans les prochains mois.
Si l’on s’astreint à 3 enseignements sur ce secteur :
1) les acteurs continuent d’enrichir l’offre disponible : En France, lancement la semaine dernière de l’initiative Audio Now, lancés conjointement par M6 (qui détient désormais RTL) et son cousin Prisma Media.
Aux US, Amazon a annoncé vouloir proposer de l’ordre de 70 000 podcasts dans le cadre de son abonnement Amazon Prime sans surcoût ou dans la version gratuite financée par de la publicité, des podcasts originaux certifiés Amazon devraient suivre.
2) Hausse de la consommation et de la monétisation des podcasts :
63% of Americans have never or rarely listened to podcasts, and it is estimated that US podcast listeners will increase from ~100mn in 2020 to ~164mn in 2023.
Revenues from podcast is 3 cents per active user per month, vs Radio 13c, Internet 20c, TV 26c, Newspapers $1.90 and Magazines $2.70 … although the brand uplift seems significant (due to a low escapability ?)
Les experts s’attendent à ce que le marché publicitaire du podcast rebondisse avec la reprise du chemin des bureaux (même intermittent) : la croissance aux US est attendue à +45% pour 2021 dépassant pour la première fois, le milliard de dollars (prévision d’eMarketer).
3) Les podcasts vont continuer de susciter l’intérêt des plates-formes de streaming musical :
Il ne se passe que peu de semaines sans que Spotify, qui a été très offensif en termes d’acquisitions de podcasts (plus de 400 M$ avec Gimlet Media, Anchor FM, le contrat d’exclusivité avec la star des podcasters, Joe Rogan, et la société de podcasts sportif The Ringer), n’annonce de nouvelles initiatives en ce domaine. Cette semaine, Spotify va devenir le partenaire privilégié de League of Legends, enrichissant son catalogue de podcasts dédiés au jeu leader de Riot Games, et bénéficiant ainsi de l’opportunité de “marketer” son service de streaming musical auprès d’un public jeune et international.
De façon plus large : on va continuer à voir le podcast se développer sur les plates-formes, c’est un levier important de négociation avec les maisons de disque -celles qui fournissent la matière première et qui captent par conséquent une grande partie des revenus, de l’ordre de 70% du CA.
Pour aller plus loin sur le sujet du podcast : une présentation de janvier 2020 de Bertelsmann Digital Media Investments BDMI avec beaucoup de données à cruncher pour les amateurs du genre.
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Américanisé 🇺🇸 : Tik-Tok accueillerait malgré lui Oracle et Walmart à son capital
Difficile d’échapper à l’événement tech-géopolitico-économique de la semaine, avec l’annonce d’un accord entre Bytedance, l’actionnaire de Tiktok, et un duo d’entreprises bien américaines, Oracle (son PDG Larry Ellison est un des supporters du Président Trump) et le leader de la grande distribution, Walmart.
A retenir de cet accord :
1) La nouvelle société a promis d’embaucher au moins 25 000 personnes (!) sur le territoire américain et dotera un fonds dédié à l’éducation des Américains d’un montant de 5 milliards (!) de dollars qui selon les termes du Président, enseignerait enfin “la véritable histoire des Etats-Unis” '(sic) à ses enfants.
2) Oracle et Walmart pourraient obtenir respectivement jusqu’à 12,5% et 7,5% du capital de la nouvelle société avant sa cotation l’an prochain lors d’une augmentation de capital réservé. La valorisation retenue étant de l’ordre de 60 milliards de dollars.
Oracle avance que l’app stockera ses données US sur ses serveurs cloud nouvelle génération ultra sécurisés et monitorera le code source de Tiktok, s’assurant de l’absence de porte de derrière exfiltrant les données des consommateurs américains vers la Chine; Walmart a indiqué de son côté, fournir au service, son infrastructure d’ecommerce, de logistique et de paiement ; histoire d’habiller un peu la transaction avec un intérêt stratégique tangible pour les deux groupes.
3) Sur la portée de cet accord, les commentateurs sont assez fatalistes.
Le podcast Pivot souligne les relents de “socialisme” avec le choix par la Maison Blanche d’Oracle plutôt qu’un Microsoft pour lequel cette acquisition avait (un peu) plus de sens, même si l’on ne voit pas comment cet accord remplirait les objectifs de sécurité nationale que Trump avait mis en avant (l’algorithme un des actifs clés, restera sous contrôle des Chinois).
The Economist à son habitude, y voit des signes de nationalisme économique à comparer avec celui funeste des années 1930, provoquant la naissance de “Franken-Firms” : des firmes à l’activité dispersée dans plusieurs pays et rapiécées maladroitement sous un nom unique (l’article cite également le cas du britannique d’ARM racheté par l’américain Nvidia pour 40md$ dont une entité séparée à majorité chinoise, opère déjà en Chine et va se retrouver en situation délicate).
Subdividing businesses into national silos duplicates costs, and complex structures can leave it unclear where control lies... Despite this, expect more multinational manoeuvres as globalisation unwinds.
Quant à un éditorialiste dans le FT, il y voit un n-ième signe de la fin de l’ordre international reposant sur l’Etat de droit, avec l’émergence de cette extra-territorialité revendiquée par la Chine et les Etats-Unis pour la conduite de leurs affaires.
In the extraterritorial world, there is one set of rules for superpowers and another for everybody else. This looks less like the 21st century, as imagined by international lawyers and more like the 19th century, in which imperial powers imposed their will on others.
(A l’heure où nous mettons sous presse, il semble que l’affaire ne soit pas tout à fait terminée : Trump a fait savoir qu’il n’approuvera pas l’affaire conclue après que ByteDance a bien laissé entendre qu’il conserverait 80% du capital de la société. A suivre)
Amusés 🎲 : la gamification de l’éducation à l’oeuvre avec PowerZ
La “gamification” de l’éducation est un sujet sérieux qui mériterait une analyse quasi-philosophique du même ordre que celle qui accompagna la querelle du pédagogisme dans les années 1990 (alors portée par Philippe Merieux). L’idée centrale est relativement similaire : les enfants apprennent mieux avec des processus cognifitifs proches de ceux qu’ils pratiquent sans effort, parmi lesquels le jeu (ou la culture populaire dans le cas du pédagogisme) …
(Pour creuser : l’historien néerlandais Johan Huizinga (1872-1945) développa l’idée dans les années 1930 que le jeu était constitutif de la culture dans les sociétés européennes, il est le père de l’appélation d’Homo Ludens qui qualifie notre propension au jeu dans nos activités quotidiennes.)
C’est avec une ambition similaire, qu’Emmanuel FREUND, connu précédemment pour avoir développé l’ordinateur dématéralisé Shade de la société Blade, a annoncé une levée de fonds de 3 M€ afin de constituer et lancer la société PowerZ qui cherche à “rendre ludique l'apprentissage des matières scolaires dans un univers virtuel”. Hachette Education et l’hébergeur OVH ont investi au cours de cette levée.
A retenir :
1) la plateforme se distinguera de la concurrence d’autres apps éducatives thématiques en misant sur justemnet un contenu multi-disciplinaire :
il s'agit d'une plateforme d'apprentissage destinée non seulement aux élèves de 5 à 10 ans mais aussi à leurs parents. Nous serons les premiers à proposer tous les savoirs comme le français, les mathématiques mais aussi l'astronomie ou la langue des signes… Les quêtes à résoudre par les participants seront adaptées en fonction de leur profil mais aussi de la demande des parents pour influencer l'intelligence artificielle : les adultes pourront se connecter à un tableau de bord pour orienter le scénario et le faire évoluer vers le travail de certaines matières plutôt que d'autres tout en contrôlant le temps passé.
2) un environnement social sécurisé :
Pour la tranche d'âge de 5 à 7 ans, le joueur évoluera seul. Au-delà de 7 ans, il pourra croiser le chemin d'autres enfants mais uniquement ceux autorisés par les parents, comme les cousins, frères et soeurs, camarades de classe, …
3) la monétisation :
Comme dans Fortnite, l'accès à l’univers virtuel sera gratuit mais il pourrait être possible d'acheter des éléments pour personnaliser son personnage. (Ce modèle semble cependant risqué : la personnalisation des personnages repose sur l’idée que l’avatar sera vu du plus grand nombre, ce qui semble légèrement contradictoire avec l’environnement contrôlé cité juste au-dessus).
Ecouté 🗣: La fin du Débat (Répliques)
Pierre Nora et Marcel Gauchet ont annoncé la fin de la publication de leur revue Le Débat qui avait vu le jour en 1980. Alain Finkielkraut revient dans un échange riche avec ce premier sur l’histoire de cette revue et l’état d’esprit qui y présidait.
J’en retiendrais deux idées fortes :
1) Le nom Le Débat : la revue s’est intitulée ainsi à un moment où l’Union Soviétique périclitait et où on assistait à un ralliement quasiment unanime des Intellectuels français à la démocratie occidentale (ça peut sembler curieux aujourd’hui mais il fut un temps où une partie de l’intelligentsia était acquise au Stalinisme ou au Maoïsme).
Ce moment de ralliement appelait donc à un nouvel espace commun, à un accomodement des uns avec les autres, à se démarquer de l’engagement politique sartrien vécu comme un combat. Finkielkraut rappelle opportunément que nous assistons peut-être aujourd’hui avec la fin justement du Débat, à un retour de la pensée radicale, à ce qu’il appelle le “retour des causes parfaites”, c’est à dire de causes qui ne souffrent pas d’être discutées, argumentées (citant pêle mêle : l’anti-racisme, l’écologie ou encore le féminisme).
2) La place des revues comme institutions démocratiques : avec la fin de la revue Le Débat, et quelques mois avant elle, les Temps Modernes fondés par Sartre et Lanzmann, on pourrait s’alarmer de cet appauvrissement de l’espace intellectuel. Finkielkraut les interprètre, sans surprise, comme de mauvais augure pour notre démocratie. Et Nora de rappeler l’importance capitale des revues intellectuelles :
Une Nation sans revue a un encéphalogramme plat… les revues sont le signe extrême d’un type de culture très française… c’est une grande tradition culturelle française qui se perd.
Cependant, pour tenter de tempérer ce pessimisme, Finkielkraut cite malicieusement Kundera, qui déjà s’alarmait en 1983 de la faible portée en définitive des revues en France :
Encore ébranlé par cet événement triplement tragique qu'était l'invasion de Prague, je suis venu en France et j'ai essayé d'expliquer à mes amis français le massacre de la culture qui eut lieu après l'invasion. Imaginez, on a liquidé toutes les revues littéraires et culturelles, toutes sans exception. Cela ne s'est jamais passé dans l'histoire tchèque, même pas sous l'occupation nazie pendant la guerre. Or, mes amis me regardaient avec une indulgence embarrassée dont je compris le sens plus tard. En effet, quand on liquida toutes les revues en Tchécoslovaquie, la nation tout entière le savait et elle ressentit avec angoisse la portée immense de cet événement. Si, en France ou en Angleterre, toutes les revues disparaissaient, personne ne s'en apercevait, même pas leur éditeur. A Paris, même dans le milieu tout à fait cultivé, on discute pendant les dîners des émissions de télévision et non pas des revues, car la culture a déjà cédé la place. Sa disparition que nous vécûmes à Prague comme une catastrophe, un choc, une tragédie, on la vit à Paris comme quelque chose de banal et d'insignifiant, d'à peine visible, comme un non-événement. (Milan Kundera, novembre 1983)
Je dois confesser que j’ai rarement lu le Débat, je tente plus régulièrement de lire Commentaire, mais je dois bien avouer que cette habitude n’est pas tout à fait naturelle. Bien souvent, le trimestre passe sans que ladite revue ne soit ouverte…
Ecouter l’échange dans Répliques
Hyperlié 🔗: l’internet avant l’internet avec Borges
La lecture de Fictions de Jorge Luis BORGES est d’une fraîcheur étonnante, à travers de courtes nouvelles (des ébauches?), il aborde ses thèmes de prédilection qui tournent autour du temps, de l’oubli et de la mémoire, les correspondances entre les civilisations humaines, avec un humour très ironique et souvent la présence de la mort sous forme de roman policier.
En faisant quelques recherches sur l’auteur argentin, on se rend compte de la singularité du personnage : doté d’un savoir quasi-encyclopédique, volontiers métaphysicien, bibliothécaire de métier, il perdit irrémédiablement la vue et fut contraint de composer ses oeuvres “à l’aveugle”, goûtant l’ironie de la situation en ces termes :
Que nul n'aille penser que je pleure ou t'accuse,
Mon Dieu : la place est juste où ta main me conduit.
Un dessein magistral, une splendide ruse
Me donne en même temps les Livres et la Nuit.
D’aucuns ont vu en lui, alors qu’il était d’un classicisme opposé aux techniques modernes, un des préfigurateurs de l’internet. A travers son oeuvre, et notamment la nouvelle la Bibliothèque de Babel qui figure dans le recueil de Fictions, on retrouve des notions familières de notre contemporanéité : les liens hypertextes, la lecture infinie, les bibliothèques universelles et même sous certaines formes, la réalité virutelle. Plusieurs de ces parallèles sont relevés dans cet article du New York Times de 2008.
Pour aller plus loin, je vous recommande l’entretien (TLDH) qu’il donna à Jacques Chancel en 1981 dans Radioscopie (cet entretien vaut également pour son témoignage de l’étudition et de la grande classe de Jacques Chancel).
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